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Droit à l erreur
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« Ca ne compte pas… j’ai deux » L’école félicitant et diplômant les élèves méritants, on peut légitimement se poser la question du droit à l’erreur dans le parcours scolaire. Interviewé sur l’erreur en informatique Charles Duchâteau commençait par dire que l’école a, sans doute, été inventée en partie pour ça. Je le rejoins en tout cas sur cette nécessité de reconnaître à l’erreur en apprentissage, un droit de cité.
L’école aurait donc été inventée aussi pour cela : pour que les apprentissages se déroulent dans un lieu où les tentatives hésitantes, maladroites de l’apprenant en formation ne portent pas d’effets irréversibles et catastrophiques dans la vie réelle. Imaginez la coupe-coiffure d’une tête (encore anodin quant aux conséquences), le réglage de plaquettes de frein (déjà beaucoup plus grave), la construction d’un escalier, d’un pont (plus conséquent encore), la réussite d’une opération chirurgicale ou (peut-être le sommet) l’éducation maternelle d’un petit enfant…
L’affirmation d’un « droit à l’erreur » en pédagogie fait-elle problème à certains ? Partant de ma propre pratique enseignante, j’argumenterai ici pour justifier de la légitimité de cette dimension qui me paraît essentielle, tant comme formateur d’adultes que je suis devenu, que comme parent. Je le dis tout de go : le droit à l’erreur fait partie de ma trousse pédagogique au quotidien.
Ce qui me parle le plus dans ce droit à l’erreur, c’est le principe d’éducabilité sur lequel il se fonde : le fait que l’individu n’est jamais à concevoir comme définitivement abouti. Quant bien même le système –pour son confort d’abord- et par nécessité pratique ensuite doit bien délimiter des niveaux d’apprentissages, des seuils et des socles et des sessions d’examens pour les évaluer « à un moment donné ».
Si on ne peut nier en rien la nécessité d’une organisation de l’évaluation des apprentissages, je souscris d’abord à cette intuition que l’on trouve dans le système de certification par degré (et non plus par année)… lorsqu’il se base sur le fait que l’individu n’a parfois besoin que de peu de temps supplémentaire pour faire la preuve de l’acquis lié à la réussite de l’année scolaire qui se termine,. La seconde chose qui me fait réclamer une place à l’erreur dans la démarche scolaire, c’est la reconnaissance des imperfections de la communication humaine.
S’entendre sur la questionQuand l’école évalue, elle pose question. Et l’élève répond, comme il peut, à la question qu’il a l’impression qu’on lui a posée. Certes, nous les enseignants, parlons français et demandons des choses précises… Ce qui se conçoit bien, s’énonce clairement et, au moment de l’examen, nous l’attendons libellé précisément . Mais c’est bien là le premier problème de l’école : la pratique de la langue maternelle ! Combien de professeurs de sciences exactes reconnaissent que les problèmes de beaucoup d’élèves sont la compréhension de l’énoncé et l’énonciation de la réponse. « Tu connais la réponse, mais ce que tu m’écris sur ta feuille, n’est pas juste et c’est très différent de ce que tu me dis maintenant que je t’interroge oralement ! » Ce constat n’est bien sûr possible que si on complète l’examen écrit d’un entretien oral, que si l’enseignant a le temps, la patience et la volonté d’interroger finement l’élève… Que l’élève passe cet examen dans des conditions correctes (désolé pour X, Y et Z de la fin de l’alphabet) et que tout cela se passe dans un climat qui cherche à identifier ce que l’élève sait, avant que de situer le niveau de ce qu’il ne sait pas !
Quand l’élève est-il dans l’erreur ? Quand il n’a pas compris un contenu ou intégré un savoir-faire ? Quand il ne sait pas dans l’instant, et du premier coup, le restituer, le mettre en œuvre ? Quand il ne comprend pas la commande qui lui est faite ?
Je me remémore régulièrement ce principe fondamental en éducation… canine (je ne dis pas dressage, mais bien éducation) : on ne sanctionne JAMAIS un chien qui n’a pas compris la consigne. Il ne désobéit pas, il ne se trompe pas, il est simplement hors jeu. Qu’est-ce que cela a à voir avec l’éducation scolaire, dira-t-on ? Sans l’adaptation quotidienne de ce principe à ma vie professionnelle actuelle, je serais souvent amené à dire à des profs qui viennent en formation : « Vous vous trompez, vous êtes dans l’erreur, vous ne faites pas ce que j’ai demandé. Vous ne répondez pas aux objectifs définis… ». Et je ne dois pas faire un dessin pour illustrer le ressenti que cela éveillerait –bien inutilement- chez eux. Car ce n’est pas de cela qu’ils ont besoin pour réussir.
Pédagogie de la réussitePremier principe : pratiquer la technique du petit pas. Et féliciter abondamment les réussites. On échoue moins souvent sur des petits plans que dans de grands parcours. Ce choix pédagogique n’évite bien sûr pas des démarches de synthèse lors desquelles des apprentissages nombreux et complexes parfois sont rassemblés dans la réalisation d’un chef d’oeuvre final. Petit pas et nombre de consignes restreint. Il paraît que les psychopédagogues fixent à 3 consignes simultanées la capacité d’amorcer l’enseignement primaire. Je constate pourtant qu’il y a des adultes qui enseignent et qui n’en sont pas capables. Faut-il pour autant les exclure de tout parcours de formation continuée ? Deuxième principe : s’assurer que les consignes sont clairement passées, lors de l’apprentissage et quelles passent encore correctement au moment de l’évaluation. Sinon, mon évaluation ne porte pas sur ce que je dois mesurer ! Troisième principe : donner sa chance à l’erreur. Elle est un constat personnel d’abord, et collectif peut-être ensuite, de ce que l’acquis ou l’acquisition est imparfait(e) et qu’un approfondissement, une remédiation sont nécessaires.
De cet examen de l’erreur commise, beaucoup de leçons peuvent être tirées. Car celui qui ne se trompe pas ne donne jamais l’occasion au professeur qui l’observe de comprendre comme il réfléchit. La seule chose que le maître peut percevoir chez le « bon élève », c’est que le cheminement enseigné est reproduit et le résultat exact. Celui qui s’est un moment égaré a montré lui, toutes les divagations dont il est capable, révélant par là son originalité, sa créativité et ses erreurs de raisonnement. Tout peut alors être saisi pour expliquer en quoi originalité et créativité peuvent être intéressantes quand elles ouvrent de nouvelles voies ou abordent la réalité par d’autres chemins corrects. Les égarements eux, étant l’occasion d’une rectification de ce qui n’est pas correct. Rien de tout cela n’est perceptible chez celui qui ne commet que la juste restitution. Telle est la base d’un enseignement constructiviste où essai-erreur et rectification sont un cycle fertile d’apprentissages contextualisés.
Solidaires dans l’échecComme formateur, je trouve fondamental d’entendre dans les questions d’éclaircissement qui me sont posées en quoi je me suis égaré dans ce qui a précédé, entraînant à ma suite tel ou tel formé qui a « mal compris ». En voyant comment tel enseignant tient sa caméra, son micro, pose ses questions d’interview ou rédige son article, crée sa page html ou classe ses fichiers informatiques de sites internet, je mesure les faiblesses, parfois, de mon expression. L’intérêt alors est d’exploiter ce constat pour y remédier, plutôt que de déplorer une communication qui n’a pas abouti avec succès… par la faute du récepteur, bien sûr. Une communication n’est jamais réussie que lorsqu’elle met les deux locuteurs sur la même longueur d’onde. Sans cela, les deux sont perdants. L’erreur de communication est des deux côtés. Il ne s’agit pas de culpabiliser ici l’enseignant, mais simplement de reconnaître la solidarité qui unit les partenaires en communication, comme en éducation. « Il faut s’entendre ». Et je comprends avec finesse la déception que ce jeune enseignant partageait sur son weblog, fin du trimestre dernier : « Fini… J’ai enfin terminé ces corrections d’examens. Je suis dégoûté. Quatre mois pour ça… Le tiers des questions est mal lu par les élèves, qui répondent alors à des kilomètres de là, ou qui ne répondent pas du tout… ».
Est-ce que la reconnaissance d’un « droit à l’erreur » oblige le professeur ou le formateur, à tolérer les égarements des apprenants et à les supporter… le temps d’une assimilation progressive ? Bien évidemment ! Sinon, c’en est fini de mon crédo en l’éducabilité de mes élèves, eux qui ailleurs, enseignent et évaluent. Que resterait-il sinon ? L’exclusion de l’égaré, hors de la classe, hors de l’école, hors du système. En marge de la société… le seul échec inadmissible, la vraie erreur à ne pas commettre, sans doute.
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