Une expo virtuelle, ... le déclic
!
par Bob Webteacher(1)
Tout avait commencé par une interpellation de quatre de
mes élèves, dans le cadre du cours de Sciences Sociales, en
quatrième générale de transition. Parce qu'à
mon habitude, je leur avais annoncé en début d'année,
la tenue d'une exposition rassemblant leurs travaux personnels, exposition
présentée dans le grand réfectoire de l'école,
lors de la journée portes-ouvertes.
Comme à l'accoutumée, cela avait d'abord été
les hauts cris, puis progressivement, les choses s'étaient tassées,
comprenant que je ne céderais pas. Les exigences étaient là,
les travaux devraient non seulement affronter la cotation du prof. mais
le regard curieux et impartial des élèves et des visiteurs
: les parents, les anciens et les nouveaux candidats à l'inscription.
Impossible d'imaginer encore se contenter d'un petit dossier mal ficelé,
que l'on proposerait vite fait à la veille de l'échéance
et qui, sans remettre en cause une moyenne déjà acquise, irait
tout au plus gonfler le paquet d'archives stockées pour cinq ans
dans les greniers de l'institut. Ils avaient clairement compris que l'enjeu
était ailleurs : communiquer son savoir et s'enrichir du partage
des recherches des autres.
Y a comme un petit problème
Cela s'était poursuivi par une réflexion en petits groupes,
sur le choix du sujet et les modalités de la recherche documentaire.
Certes, le programme de Sciences sociales était ouvert; il permettait
donc d'accepter toute proposition, pourvu que son traitement se plie à
la démarche recommandée. L'imagination n'était pas
en panne et le temps imparti pour cette mise en commun vit le papier se
noircir allègrement. Beaucoup de pistes possibles, mais se heurtant
chaque fois à un même problème : le sujet proposé
suscitait d'abord un enthousiasme primesautier qui laissait place ensuite
au constat amer que l'on manquait de documentation approfondie. Certes,
on avait bien quelques documents et des ressources personnelles, mais très
vite on s'apercevait que cela ne suffirait pas. Puis un second obstacle
était à lever : le travail d'équipe. En effet, les
groupes s'étaient constitués selon les affinités et
rassemblaient à la fois des élèves externes et internes.
Certes, ils disposaient des infrastructures de l'école pour se rencontrer
en dehors des heures de cours, mais pour la recherche documentaire, ...
le règlement de l'internat n'autorisant les sorties qu'aux aînés
des classes terminales, seuls les externes devraient assurer !. Bref, à
part les we. déjà bien chargés, impossibles pour les
internes de sortir des limites du Centre de documentation.
Question de démocratie
C'est là que l'idée avait germé. "M'sieur,
si on pouvait avoir une ligne téléphonique au Cédoc
(le centre de documentation), ce serait vach'ment plus facile !" J'avais
naïvement répondu qu'ils disposaient déjà d'une
cabine téléphonique dans la cour de récréation,
mais ils me firent rapidement comprendre qu'il ne s'agissait pas de téléphoner.
Leur proposition était plus audacieuse : ils voulaient se raccorder
à Internet, le réseau des réseaux. Ma première
réaction avait été de penser : " Vous n'avez qu'à
faire ça de chez vous !" Mais rapidement, je m'étais
ressaisi, refusant cet éternel réflexe que nous avons, nous
les enseignants, de se soumettre à cette implacable loi : selon les
milieux, certains peuvent prétendre, ... et d'autres pas. Si j'admettais
que l'on recourt à Internet pour la recherche documentaire, il faudrait
que ce soit accessible à tous, et pas seulement à l'extérieur
de l'école. Mais il me semblait que pas mal de difficultés
se dressaient encore en travers de la route, et rien n'était plus
incertain que ce défi que mes quatre hurluberlus disaient vouloir
assumer. La ligne téléphonique était certes à
installer, mais il fallait en obtenir, non seulement l'autorisation de la
direction, mais aussi son financement. Et, je savais que c'était
un poste conséquent, car des conversations de couloirs entre "accrocs"
du réseau m'avaient rapporté que l'on oublie trop facilement
que "surfer", c'est occuper une ligne téléphonique
tout le temps de la navigation. Bien sûr, que vous soyez en contact
avec l'autre bout de la terre ne vous coûte pas plus que l'appel zonal
vous reliant à votre fournisseur d'accès (le provider), mais
tout de même ! Et puis, il fallait envisager ce service en ligne et
assumer le coût de l'abonnement. De combien d'heures de connexions
auraient-ils besoin ? Difficile d'évaluer quand on a aucune expérience
de la chose. Enfin, dernier obstacle, et non des moindres, "la bécane"
comme ils l'appellent ! Nous n'avions pas l'ordinateur... du moins n'était-il
pas équipé en multimédia ! Car enfin, nous n'étions
pas en plein désert, le Centre de documentation disposait bien d'un
ordinateur personnel, mais son usage était exclusivement réservé
au classement des fiches des sources documentaires et au petit programme
de gestion des prêts aux élèves. Pas de modem donc !
Qu'à cela ne tienne, mes quatre mousquetaires avaient de la répartie.
Ils trouveraient la solution techniques eux-mêmes. Ils me demandaient
seulement d'obtenir l'autorisation de la direction. De ce côté,
je savais que la partie serait gagnée dès le moment où,
proposant un changement, je pouvais également mettre sur la table
les modalités de sa réalisation. La balle était donc
dans le camp de mes élèves.
Les mousquetaires du réseau
Quinze jours de temps et de détermination de leur part eurent
raison des principaux obstacles. L'abonnement au fournisseur d'accès
serait provisoire, mais il présentait le très net avantage
d'être gratuit. Distribué gracieusement au salon Média
planet (auquel un élève "branché" s'était
rendu à ses heures perdues) cette offre de connexion publicitaire
nous permettrait de faire connaissance avec le réseau et les services
en ligne, sans bourse délier. Même les logiciels de navigation
étaient fournis. (A croire qu'ils s'y retrouvent que nous soyons
leurs clients. Pensez donc, non seulement ils attirent ainsi les consultants
que nous sommes sur des offres de service annexes, mais en plus, ils accompagnent
les premiers pas de nouveaux utilisateurs dont les familles sont de nouveaux
clients potentiels). Allez donc, ils savent ce qu'ils font ! Faudra que
je pense à faire de cette expérience, une réflexion
d'Éducation aux Médias ! Le comité de l'association
des parents d'élèves avait également été
informé du projet et avait décidé de soutenir celui-ci
à titre d'expérience-pilote : résultat : l'octroi d'une
petite cagnotte couvrant les frais téléphoniques. Enfin, la
fourniture du modem avait été obtenue auprès d'un parents
d'élèves marchand de matériel informatique. La remise
consentie mettait l'accessoire indispensable à portée de notre
budget pédagogique. Pas la peine de s'orienter vers du matériel
de seconde main, la durée de connexion étant liée à
la capacité machine, le compte était vite fait ! Restait donc
à solliciter l'installation de la ligne téléphonique
dans le Centre de documentation. Belgacom a réagit en professionnel,
selon la promesse publicitaire : dans les trois jours ! Tout était
donc en place.
Une révolution de plus
Me restait à découvrir l'engin ! Car en fait, c'était
à moi qu'il incombait de porter la responsabilité de cette
nouveauté technologique au sein de mon cours, sans que j'ai été
formé le moins du monde à cela. C'est toujours pareil ! Mais
si cela peut aider à l'apprentissage ...
Bref, lorsqu'il s'est agi d'installer et de paramètrer la "bécane",
j'avoue que j'ai laissé faire les jeunes. N'en étaient pas
à leur premiers pas ! Quelques heures de vol derrière eux,
à coup sûr ! N'a pas fallu longtemps pour que je me prenne
au jeu. Avec les moteurs de recherche, la partie documentaire du dossier
de fin d'année, cela devenait une véritable partie de plaisir,
tant "le monde est à portée de mains", sur Internet.
Bien sûr, une fois l'information rapatriée, il y a tout le
travail de mise à distance critique, d'analyse scientifique de sa
crédibilité, notamment. Mais c'était déjà
le cas avec les documents qu'ils me ramenaient des bibliothèques,
où revues scientifiques, magazines féminins et extraits d'ouvrages
complètement dépassés se côtoyaient allègrement.
Par contre, ici, on traite plus que de l'information livresque : des images,
des sons, parfois même des séquences en mouvements ! Pas toujours
simples à télécharger. Mais il faut les voir se débrouiller.
Et je te "download" tel "shareware", (comprenez :"
je te télécharge un utilitaire libre de droit", un graticiel
comme on dit maintenant) et je t'ouvre une application qui lit les fichiers
wav, ou gif, ou encore jpeg, et tu reçois dans l'instant une séquence
de décollage de la navette Atlantis ou la bande-annonce de ce musicien
américain, joueur de blues" sur lequel tu réalises ton
travail. A moins qu'il ne s'agisse des derniers chiffres d'une enquête
réalisée par tel groupe de presse sur l'attitude des Libanais
suite à la Visite de Jean-Paul II dans leur pays.
L'école globale, j'y enseigne
Mais ce qui m'a épaté, je dois bien l'avouer, c'est qu'en
plus de la recherche de documents proprement dits, mes élèves
se sont mis en tête de rencontrer des gens, via les réseaux.
Déjà entre eux : internes, externes, plus de frontières.
"Je travaille ce soir chez moi, et puis je t'envoie le dossier en fichier
lié dans ta boîte aux lettres électronique". Mais
en plus de cela, les forums de discussions ont été pour eux,
le tremplin d'une mise en commun de sources documentaires, ... et aussi
de questionnement. Poser des questions sur tel ou tel thème, rien
de plus facile. J'avais finalement dans ma classe, des élèves
du monde entier ... (allez, j'exagère un peu, car ils se sont limités
aux contacts en langue française) mais je peux dire que mes réflexions
sur les documents rapatriés, mes élèves se les sont
partagées avec d'autres jeunes qui travaillaient sur des sujets de
recherche semblables, dans d'autres écoles, à l'étranger.
Jusqu'au jour où j'ai été contacté par ce professeur
, habitant la région de Grenoble, qui me proposait de mettre en commun
certains documents pédagogiques, étant donné les similitudes
pédagogiques qui étaient les nôtres. Ses élèves
et les miens étaient entrés en contact via un forum de discussion
sur la manière de construire un échantillonage représentatif
dans une enquête sociologique, et voilà que les profs étaient
amenés à des échanges pédagogiques. Il s'avérait
de jour en jour que nous avions fait un choix technologique qui se révélait
une aubaine pour le renouvellement de notre pédagogie. Le meilleur
était pourtant encore à découvrir, car mon intention
de donner à voir les travaux d'élèves sous la forme
d'une exposition s'est trouvée décuplée quand le Centre
de ressources en Éducation aux Médias de notre réseau,
informé de notre expérimentation, nous a fait la proposition
d'héberger nos dossiers de fin d'année sur un site web. Voilà
que notre grand réfectoire prenait la dimension du village global
et qu'en plus des anciens et des parents, tout qui le voulait, pouvait désormais
visiter et télécharger notre exposition.
[Note]
(1) Virtual teacher