sur l'air de la harangue du poissonnier (1)
C'est quotidiennement, sans doute, qu'il nous est nécessaire
de prendre information de chose et d'autres, en passant par la
médiation de documents. Produits dans un contexte déterminé,
par un auteur intentionné pour un public spécifique,
ces médias colportent des représentations que nous
ferons nôtres ou, à tout le moins, qui demanderont
que nous réajustions celles que nous avions déjà.
La force de ces messages est aussi contenue dans le langage particulier
du média. Quelqu'un n'a-t-il pas dit un jour que "le
média était le message" ? Et la distance critique
alors ?
L'Education aux médias est une démarche qui
construit une capacité de réflexion sur le mode
de fonctionnement des médias. De la sorte, au-delà
de la prise d'informations véhiculées par le support
médiatique, l'attention se porte également sur
le processus médiatique. Car celui-ci est également
porteur d'enseignements, ses effets pouvant parfois dépasser,
et de loin, ceux du message même. Prenant ainsi progressivement
conscience de mécanismes qui sont propres à cet
univers médiatique, le "médiacteur" deviendra
capable non seulement de lire les messages, mais aussi de communiquer
en se servant de ces modes d'expression toujours plus technologisés.
Des tics
Car voilà bien un second constat qui s'impose : communiquer
aujourd'hui est non seulement fonction de notre capacité
de médiatiser, mais également d'user des technologies
modernes dites "TIC", Technologies d'Information et
de Communication. Dans la réflexion qui nous occupe ici,
nous n'aborderons qu'un vecteur de transmission : la publication
de site web. Or, le web n'est pas tout l'Internet, loin s'en
faut. Il constitue une part importante de cette interconnexion
de réseaux dans laquelle circulent des masses d'informations
numérisées. Mais, transferts de fichiers, messageries
électroniques, dialogues en ligne, visioconférences,
forum de discussion ou liste de diffusion ne seront pas abordés
ici. Reconnaissons-le, chaque mode nécessite une approche
critique spécifique même si le type de questionnement
que nous évoquons ici est transposable à ces autres
moments, ces autres lieux.
Des trucs
Comment lire un site Internet en faisant preuve d'esprit
critique ? Comment le rédiger, si l'on est webmaster,
pour qu'il communique bien ? Entendons-nous pour dire qu'il
ne s'agit pas ici de donner des recettes toute faites qu'il n'y
aurait plus qu'à reproduire. L'Education aux Médias
ne procède jamais de cette façon, quand elle se
veut véritable éveil à l'esprit critique.
S'il ne s'agit que de donner des consignes à suivre servilement,
on renverra volontiers aux hébergeurs de sites en ligne.
La plupart fournissent des informations sur les règles
de composition (et donc de lecture) d'un "bon" site
Internet. Ces règles, différentes d'un serveur
à l'autre, peuvent être recoupées, testées
et finalement validées à titre personnel. Voilà
qui répondra aux demandeurs de recettes.
Mais notre réflexion d'Education aux Médias
doit se situer dans la mouvance des technologies en perpétuelle
évolution et dépasser donc "les 10 bons conseils".
Tout change, et à une telle vitesse, qu'il n'y a pas de
"maître-type" (2). Il s'agit de se poser les
bonnes questions en essayant, compte tenu de cette évolution
non seulement technologique mais aussi des habitus des internautes,
d'adapter les réponses que l'on y apportera. Un site pour
qui ? Un site pour quoi ? Un site comment ?
De bonnes questions
Rappelant ici les premières questions à se
poser lors de la lecture/ou de l'écriture (3) d'un article
de presse, on resitue automatiquement la création de site
dans ce contexte spécifique des médias de communication
de masse. Définir clairement mon positionnement de producteur
(ou le déceler à la lecture), choisir un ou des
publics-cibles et adapter son langage à sa sensibilité,
sa culture. Faire un choix technologique qui soutienne mes ambitions,
qui rencontre les nécessités de support de mon
contenu à communiquer (des images animées, de la
vidéo, du son... ?) et qui demeure à la portée
de mes contraintes budgétaires (on peut toujours rêver
de mieux et de plus, mais...).Voilà une série de
premiers choix conjoints. Si ma technologie réclame, pour
être lue, un équipement qui ne cadre pas avec mon
public-cible, je passe à côté de mes destinataires.
Un site que l'on prendra la peine de référencer,
de promotionner, sans quoi il existera mais ne sera pas visité.
Et enfin, un site pourquoi faire... ultérieurement ? Si
mon site ne vit pas, est prometteur de contacts sans lendemains,
ou constamment en construction car l'ambition des débuts
ne suit pas... ! Vous aurez compris qu'il ne sera pas ce "bon"
site auquel vous prétendiez.
C'est Net
Un cas concret. Si j'ambitionne que mon école soit
présente sur le web : quel projet de communication vais-je
élaborer ? L'uvre d'un seul ou d'une équipe ? Officielle
ou officieuse ? Constituée de profs ou comprenant aussi
des élèves ? Avec une mainmise des informaticiens
ou incluant des gens qui ont d'autres profils ? Pour présenter
une institution, un projet d'école... son histoire, ses
bâtiments, son règlement et les modalités
d'inscription ? Des travaux d'élèves ? Des souvenirs
d'activités parascolaires ? Des ressources et des outils
de travail en ligne ? Des jeux pour occuper les temps passés
à la salle d'étude ? A destination de qui ? Des
futurs élèves, des parents, de la Fédération
de l'enseignement, des élèves au travail ou désuvrés
à la salle d'étude, d'autres écoles partenaires
? En recourant à quel niveau de technologie et de savoir-faire
? En disposant de quels moyens, non seulement technologiques,
mais aussi humains, financiers, de temps et de créativité
? Car alimenter ou renouveler sa ligne éditoriale, ça
compte énormément. Dans quel but : être là
simplement par nécessité, pour construire une communication,
une collaboration, pour proposer des ressources, pour participer
à des débats ? En ajustant selon quel équilibre
professionnalisme et participation ouverte au plus grand nombre
? En laissant place à quelle remise en question, à
quel réajustement ?
Et toc
Toutes ces questions qui habitent la réflexion sur
l'opportunité de créer un site se retrouvent dans
la démarche d'analyse critique du site que l'on visite.
Quelles réponses ont été données
à toutes ces questions ? Quels choix ont été
faits ? En bénéficiant de quelle mise en uvre,
de quelles opportunités ? Ainsi, en consultant aujourd'hui
le site de l'école où j'ai passé ma scolarité,
je pourrai dépasser la seule lecture des informations
fournies pour "lire plus consciemment" une série
d'autres communications qui transpirent par tous les pores du
média et qui, auparavant inconsciemment, influençaient
déjà l'impact global que me laissait cette visite.
Moteur & Action
Fort de cette tendance à la vigilance, je suis alors
mieux équipé pour entreprendre des recherches documentaires
sur le Web. Par l'introduction de mots-clés dans les annuaires
et moteurs de recherche, j'accède à une masse d'informations
relativement indifférenciée (4). Il me faut alors,
pour faire preuve d'esprit critique, observer un certain nombre
d'éléments révélateurs. Ainsi l'adresse
de localisation qui incorpore des renseignements sur l'hébergeur,
l'émetteur, son pays d'origine, son secteur d'activité
Mais aussi les logos qui avouent parfois des partenariats dans
l'édition qui sont très significatifs. Et puis
bien d'autres choses encore : les liens préférés
qui sont l'aveu d'accointances intellectuelles, idéologiques
ou commerciales, les niveaux de langages, etc.
Profiler
Comme tout bon enquêteur ou journaliste, il me faut
ensuite apprendre à recouper mon information. Rechercher
non seulement l'objet de ma requête, mais enquêter
sur la source qui s'offre à moi par l'intermédiaire
du moteur sollicité. Quelle est cette institution ou ce
quidam qui publient sur le net ? Ils peuvent eux aussi faire
l'objet d'une requête. Grâce à des moteurs
spécialisés, je peux aussi solliciter les forums
pour savoir si l'auteur du document qui m'intéresse prend
position dans d'autres questions débattues en ligne. Plus
qu'à son identité, c'est à son profil que
j'accède alors, découvrant ainsi la ,liste et tout
le contenu de ses interventions. Et puis, on peut aussi rechercher
les sites qui citent... Certains moteurs permettent cette requête
: "Affichez-moi tous les sites qui contiennent un lien vers
telle adresse web". Les réponses à cette demande
(5) sont autant de sites qui cautionnent (à moins qu'ils
ne citent pour condamner) la page cible que je veux évaluer.
Bric à brac
Si certains pensent que le web, c'est vraiment "la grande
brocante où l'on trouve de tout", qu'ils sachent
qu'il y a toujours moyen, avec un peu d'astuce et de savoir-faire,
d'exercer sur chaque document des critères de fiabilité.
Dire qu'il n'y a pas d'approximations, d'aberrations, voire de
mensonges sur Internet serait une grossière erreur. Mais
sans doute pas plus là que dans tout ce qui s'échange
comme propos dans la vie courante. Si, toutefois, on peut craindre
la facilité avec laquelle ces "on dit" déboulent
sur mon bureau, on ne peut oublier que la même stratégie
permet la récolte des démentis les plus catégoriques.
Cette capacité cognitive d'un nouveau genre requiert toutefois,
il faut le reconnaître, de nouvelles compétences
et représente donc pour les profs et leurs élèves,
de nouveaux défis. Passionnant, non ?
Michel Berhin, Chargé de mission en Education aux Médias
et au Multimédia au service de l'Enseignement secondaire.
Notes
(1) Non, la harangue n'est pas la femelle du hareng.
(2) Permettez-moi ce néologisme qui évite de parler
de site-type (pas très heureux au niveau phonique) tout
en jouant sur le parallèle site/responsable de site puisqu'en
franglais on parle maintenant de web-master.
(3) Vous aurez remarqué mon va-et-vient entre lecture
et création. C'est un des principes essentiels de l'Education
aux Médias : la construction/déconstruction.
(4) Concernant la question complexe des choix et libellé
de requête, ainsi que celle de la ponctuation propre à
chaque outil de recherche, on renverra à des temps et
des lieux de formation spécialisés.
(5) Allez, voici un petit truc. Chez Altavista, frapper <<link:
l'adressehttpdusitequevouscherchezàvalider>> puis
activez <<enter>>