"J'ai même l'impression qu'ils feraient bien sans moi."
C'est en ces termes qu'un enseignant décrivait la sensation que lui inspirait l'autonomie de ses élèves au travail
Peut-on rêver mieux, pour un enseignant que d'arriver au constat que ses élèves travaillent en toute autonomie, sans qu'il faille se soucier de les motiver, de les relancer et sans que des menaces ne doivent être proférées qui les rappellent à la réalité scolaire ? C'est un peu ce que tire comme conclusion André D. de Hannut, en voyant ses élèves de 6° qualification technique, travail de bureau, évoluer de plateau à plateau, dans cet univers informatique qu'ils commencent à apprivoiser.
Il affirme n'avoir jamais obtenu un tel engouement pour les tâches scolaires qu'il propose. Voir le matériel informatique mobilisé durant les temps de midi par des élèves désireux de finaliser la mise au propre de leur travail, c'est un résultat qu'André n'avait jamais atteint par sa seule intervention. Mais voilà que le multimédia est entré dans ses classes et y a changé un certain nombre de paramètres, pour le plus grand bénéfice de chacun des partenaires.
Dites, Monsieur, à votre avis ?
Certes, le fait que l'on puisse toujours faire machine arrière, avec un CD-Rom ou un CD-I, invite à tenter par soi-même tel ou tel choix de réponse, sans rien hypothéquer de la suite. Mais on perd alors parfois du temps. De plus, quand on réfléchit à la réponse à donner à une question posée par la machine, on sait que l'option que l'on va prendre ne sera pas neutre et l'avis du professeur, dans une conversation d'égal à égal avec lui, peut se révéler intéressant. Donc, on l'appelle à la rescousse. Mais vous l'aurez compris, il ne s'agit pas alors de demander la réponse et de faire porter la responsabilité du choix de celle-ci à l'adulte, mais bien, dans un colloque singulier comme disent les médecins, de faire un choix réfléchi, un choix d'adulte. Concevoir ainsi l'apprentissage responsabilise drôlement l'élève. Bien sûr, ce n'est pas la machine qui est la cause première de cette situation pédagogique, mais bien le choix pédagogique de l'enseignant. Mais il est indéniable que le mode de fonctionnement du multimédia pousse plus loin cette option. Du moins, si on s'interdit un usage frontal de l'instrument, qui le mettrait au service d'une pédagogique traditionnelle, aujourd'hui dépassée.
En effet, les jeunes ont une consommation télévisuelle qui leur donne à connaître bien plus que ce que l'école n'a la capacité d'évoquer et ce, avec un pouvoir d'imprégnation de loin supérieur à la prestation de l'enseignant, si bon comédien soit-il. Il faut donc en prendre son parti et jouer le jeu de cette société en constante évolution. Sentir d'où vient le vent et manier le gouvernail, judicieusement, pour ne pas se laisser mener en bateau, mais profiter toutefois de la brise porteuse. L'écrit linéaire cédera progressivement du terrain à l'interactivité multimédia. Il s'agira tôt ou tard d'assumer cette tendance !
Un p'tit coup de main, M'sieur ?
L'intégration du multimédia à l'école participe donc à cette dynamique d'adaptation au monde moderne. Bien sûr, l'enseignant qui ne maîtrise pas encore bien ces nouvelles technologies se sent-il un peu gauche, au début. Mais c'est là que les générations se rencontrent et que, loin de profiter de la faiblesse de l'autre, l'élève découvre que "l'on est en écolage à tout âge". Quand le prof montre que lui aussi continue à se former, à apprendre des choses nouvelles, par l'intermédiaire d'instruments nouveaux, il n'attire pas les sourires moqueurs mais bien la sympathie. Il n'est pas rare alors, l'expérimentation de Média 2000 l'aura montré, que des élèves conseillent leurs enseignants, voire se substituent fièrement à eux, lors de la mise en place de telle ou telle démarche de consultation informatique.
De son côté, l'enseignant revenu sur les bancs de l'école, apprend à réévaluer parfois l'importance de certains principes méthodologiques qui lui échappaient peut-être un peu trop souvent auparavant : l'importance de la clarté des consignes, l'importance de la démarche, tout autant que celle du résultat final, la nécessité de cent fois sur le métier remettre l'ouvrage avant que d'avoir parfaitement intégré un savoir-faire, l'importance de laisser faire le temps, ... et dont la nécessité lui est rappelée par ses propres tâtonnements.
Et à l'heure de la délibération ?
L'évaluation qui clôture l'année se construit alors autour de commentaires qui vont beaucoup plus loin que l'appréciation de seules moyennes arithmétiques. Le professeur a, en effet, pu profiter de ces longs moments d'observation que constituent les séquences de travail de l'élève devant l'écran, et au sein de petits groupes, pour affiner son regard. Ses remarques attestent d'une autre connaissance de celui dont il doit évaluer le travail. Il est mieux outillé pour évoquer ainsi ce que l'élève sait faire, plutôt que ce qu'il ne sait pas, ce qu'il doit encore mettre en place, plutôt que ce qu'il a raté. De nouveau, ce n'est pas l'apport propre du multimédia qui permet cela, mais le choix pédagogique de l'enseignant. Mais force est de constater que les nouveaux médias mettent en place un mode de fonctionnement de l'école qui favorise grandement ce choix pédagogique.
Une école pour aujourd'hui d'abord
Ainsi renouvelée à la fois dans ses méthodes pédagogiques et dans ses outils, l'école d'aujourd'hui met-elle en présence des partenaires dont le statut a quelque peu évolué. C'est l'élève qui doit se rendre à l'évidence que c'est son avenir qui est en jeu, et qu'il est lui-même responsable de son apprentissage. Celui-ci se conçoit aujourd'hui, non seulement en milieu scolaire, mais alimenté par toute une série de sources de connaissances et de savoir-faire qui se situent hors de cet espace. La spécificité de l'école est donc de pourvoir l'apprenant d'un accompagnement pédagogique, pour sélectionner correctement les documents les plus divers sur lesquels faire porter, dans un deuxième temps, une analyse critique de qualité. C'est là que l'enseignant se révèle être un partenaire de choix dont la motivation première sera de mettre son expérience de chercheur au profit du projet de développement personnel de l'élève. Le prof devient donc plus un accompagnateur qu'un puits de connaissances. Il est en effet impossible aujourd'hui encore plus qu'hier, de vouloir concurrencer la croissance exponentielle des savoirs. Il importe plus, pour l'avenir de notre jeunesse, de pouvoir compter sur des alliés dans un travail de débroussaillage des sources toujours plus nombreuses de savoirs.