débat à se taper dessus
On ne compte plus les émissions, les articles de presse, les sondages d'opinion et les études scientifiques qui, avec régularité, reviennent sur ce sujet tant décrié : la violence des émissions télévisuelles et leur impact sur une jeunesse avide de modèles, de héros. Faut-il laisser tout voir ou préférer la censure ? Si la vérité ne se trouve pas dans les extrêmes, une voie moyenne est-elle défendable ?
Chacun a son avis sur la question, car le sujet ne laisse pas de marbre. Les interprétations d'écoles se divisent classiquement en deux clans. Il y a ceux qui pensent que le spectacle de la violence a un effet démultiplicateur, le spectateur ayant tendance à s'identifier au héros violent et à reproduire son comportement dans des situations de vie. Qui n'a surpris des enfants en cours de récréation, mimant les attitudes violentes de héros issus non seulement de films réservés aux adultes, mais également de dessins animés jugés violents (citons en illustration le très décrié japonais Dragon Ball Z). Et puis, il y a ceux qui voient un effet cathartique dans le spectacle de la violence : l'élimination des tendances latentes par une extériorisation médiatisée, le héros servant alors de transfert, la violence vue à l'écran dispensant de la nécessité de la produire soi-même, le jeu servant éventuellement alors de simulacre inoffensif. entre les deux écoles, parfois, les débats sont... musclés !
Il y a violence et violence
Mais peut-être faudrait-il d'abord s'entendre sur le terme. Est violent ce qui fait violence, ce qui génère chez celui qui la subit, soit comme victime, soit comme témoin, un désagrément voire un traumatisme. Celui-ci pouvant être physique, mais aussi moral. Il y a donc, on s'en rend compte, une échelle du ressenti, selon la sensibilité de la personne, son histoire personnelle et les influences issues de sa culture et de son milieu. Ainsi, la mise à mort d'un animal sera forcément ressentie différemment, selon qu'on vit en ville ou à la compagne. Selon que l'on achète tous les aliments dont on se nourrit en grandes surfaces ou que l'on élève le bétail qu'il faudra ensuite abattre et consommer. Celui qui vit dans un monde de promiscuité, de bruits, de mouvements brusques voire brutaux, n'a pas la même sensibilité que celle d'un individu épargné de toutes ces agressions. Là où certains afficheront un comportement d'hyper-émotivité donc, on constatera que d'autres sont à tout le moins vaccinés. La notion même de violence est dès lors à étalonner selon les individus et les modalités de leur existence.
Le spectacle de la vie
Partant de ce constat, il y a ceux qui estiment que la vie comporte ses scènes de violence et qu'il est donc normal d'y accorder une part de nos représentations médiatiques. "Ainsi va la vie !" diront-ils. D'autres encore qui minimisent les conséquences de ce spectacle en rappelant la distinction à faire entre fiction et réalité. "Ce n'est que du cinéma !" Il est vrai que s'il on analyse la provenance des scènes les plus fréquentes de violence à la télévision, on y retrouvera les émissions d'information et les documentaires, car la vie contient sa part importante de cruautés. Toutefois, se pose la question de l'interprêtation du spectacle de cette violence. Le spectateur sait-il reconnaître les scènes de direct et les reconstitutions ? Perçoit-il les procédés de style qui banalisent, ou au contraire dramatisent, telle ou telle scène ? Perçoit-il les trucages qui cherchent à produire des effets ? Sans devoir nécessairement être violent même, lors des tournages. Ces effets sont-ils mis au service d'une promotion de la violence, ou au contraire au service de sa condamnation.
Prenons des exemples
Un excellent film belge comme "Daens" contient des scènes violentes. Celles-ci décrivent la dure réalité du monde ouvrier des milieux textiles flamands du milieu du siècle. Ces scènes toutefois ne sont pas gratuites. Elles permettent de comprendre le contexte et la narration des faits historiques. Elles sont évoquées avec un réalisme qui, toutefois, ne s'appesentit pas de façon malsaine mais permet de comprendre le bienfondé du rôle que tiendra le héros principal : la violence affichée est à la fois physique, morale et structurelle. C'est à un véritable fléau social que le prêtre cherche à mettre un terme. La mise en images a été faite par le réalisateur en fonction d'un public, d'une époque et d'une sensibilité déterminée. A l'évidence, ce traitement des faits ne peut parler à tous de la même façon.
Sur nos écrans actuellement, les cinéphiles se posent la question : "Faut-il sauver le soldat Ryan?" Tout le monde s'accorde à dire que le réalisme est fort ! Mais beaucoup s'entendent également pour dire que, pour des jeunes qui n'ont (heureusement) pas connu la guerre, on ne peut se contenter des caricature à la Louis de Funès, le film de Spielberg, comme sa précédente "Liste de Schindler" faisant véritablement oeuvre d'éducation. Cotation : E.A (enfant admis) donc !
Autre exemple issu cette fois de la production canadienne : le film "Youngblood" peut-être moins connu chez nous. Il raconte la vie trépidante d'une jeunesse assoiffée de succès sportifs dans les milieux du hockey sur glace. Toute la narration qui porte sur un acte de violence handicapant à vie un des jeunes joueurs est néanmoins un éloge de la vengeance longuement préparée et fermement consommée. Bien qu'il n'y ait pas de véritable paroxisme violent rendu par des images dures, on peut néanmoins constater que l'on est constamment mis en situation de violence latente. Le profit final de cette tension n'est pas donc pas positif. Plus que la condamnation de la violence, il y a lieu d'exprimer ici le refus d'une apologie de la vengeance.
Question de langage
Car si la télévision peut imprégner les consciences et suggérer des comportements chez le spectateur, alors il faut être clair : ce n'est pas nécessairement l'image de violence qui fait problème, mais le discours qui l'accompagne. La même séquence peut glorifier celui-qui-massacre ou celui-qui-fait-le-sacrifice de sa vie. Tout est alors question de scénario, d'idéologie. Il s'agit bien ici d'audio et de visuel. Concordance du son et des images. Sens nouveau naissant de l'adjonction, sur telles ou telles images, de tel commentaire qui révèle l'intention finale. Car la violence est aussi parfois verbale.
Eduquer
Dès lors, il faut que le décodage de tous ces éléments de langage s'apprenne. Il s'agit aussi de prendre en compte le contexte dans lequel le document est visionné. Laisse-t-on le jeune assister à ce spectacle de façon passive, sans présence adulte à ses côtés ? Sans verbalisation ultérieure ? Sans éveil à la mise à distance critique ? Attention au risque de banalisation : tout voir, tout croire et trouver tout normal ! Voir est une chose. Comprendre le message émis en est une autre. Investir de sens par projection personnelle en est encore une autre, dans laquelle interviennent, nous l'avons dit précédemment, des tas d'éléments liés au parcours personnel du spectateur concerné. Le même document ne produit pas les mêmes effets chez chacun.
Voie médiane
Va-t-on dès lors militer avec les tenants de la censure ? Va-t-on, à contrario, laisser tout voir, sans prendre de disposition particulière ? Sans doute faudra-t-il naviguer entre les extrêmes. Il faut apprendre à décoder, certes. C'est un premier devoir d'éducation médiatique. Mais il faudra aussi resituer cette réflexion dans une démarche éducative plus large. Utiliser les médias, c'est communiquer. Communiquer, c'est échanger. Echanger, ne se conçoit que si l'on est prêt à changer... changer ses représentations, ses points de vue, pour en adopter d'autres ! C'est donc un travail décisif, car l'adhésion à de nouvelles représentations engendre de nouvelles valeurs et de nouveaux engagements. Donc de nouveaux comportements aussi. Il ne faut toutefois pas se laisser envahir par la paralysie de l'effroi : ne rien changer de ses représentations et points de vue, s'est rester cramponné héroïquement à ses valeurs de toujours. Or, il n'est pas sûr que, la société évoluant et le monde continuant de tourner, il faille se satisfaire d'un immobilisme béat.
Quand les modèles ont la vie dure
Il faut donc sans cesse réinventer "les petites filles modèles". Car si les filles d'aujourd'hui annonce pour demain des femmes qui sont, plus qu'hier, chefs d'état, militaires de carrière ou judoka de compétition, sans doute faut-il aussi leur donner une éducation nouvelle. Les représentations de la violence sont relatives à l'époque et aux moeurs en vigueur. La place consentie à la violence dans l'éducation doit dès lors toujours être relative à la présence d'un discours éducatif qui mette toujours mieux à distance la médiatisation de la violence, sa mise en scène, et qui s'accompagne d'une réflexion citoyenne à la démocratie, au respect d'autrui et de la sensibilité. De la sorte, la violence réévaluée à sa juste mesure, participera à l'éveil d'un individu toujours plus sain, car toujours plus critique.