Je ne peux apprendre que
SI JE ME POSE DES QUESTIONS
Toujours intéressantes,
ces conversations de table en famille, quand les propos dévient vers la
question des « Nouvelles technologies » et que je reçois de mes
proches une volée de questions issues des pratiques de terrain. Ils sont tous
pareils, et me décrivent en cela ce qui se passe aussi dans la vie des profs
que je côtoie en formation mais qui ne sont pas toujours enclin, eux,s à
partager si platement leurs maladresses parfois et leurs questionnements.
Belle dernière journée de
vacances, hier qui rassemblait autour d’un pique-nique familial, quelques
adultes, utilisateurs par ailleurs des nouvelles technologies. Mais des adultes
issus de la génération des mutants… celle qui, comme moi, a dû s’ouvrir à
l’émergence des technologies alors qu’elle était née (et donc très à l’aise)
avec la technologie du livre. En cela, la conversation était très différente de
celle que j’ai avec mes enfants et beaux-enfants… où c’est souvent moi qui en
apprend de leurs usages façon « Digital natives » !
Hier, c’est tout juste si la
liste des questions n’avait pas été mise par écrit pour me soumettre à un tir
en règle à l’heure du pousse-café (fallait quand même pas plomber l’ambiance du
repas par ces questions techniques… mais ne pas non plus laisser repartir le
(beau)frère sans avoir eu ses apaisements ou reçu l’un ou l’autre trucs pour se
sortir d’embarras).
Des problèmes techniques, bien
sûr
Ce qui avait la priorité, ce sont
bien sûr les soucis techniques. Le départ de la conversation : un
téléchargement foireux qui avait eu pour résultat de planter tous les
raccourcis d’application et surtout, conséquence plus grave… d’effacer tous les
favoris du navigateur de l’utilisatrice du poste en usage partagé ! Des
années de compilation de bonnes pages identifiées sur Internet qui s’étaient
envolées à tout jamais (fort probablement… mais il ne faut jamais dire
jamais !). « Tu ne te rends pas compte de ce que cela
représente ! Moi, je mets
tout là-dedans ! » Et d’évoquer
alors (et je ne fus pas en reste d’illustrations personnelles) d’autres
situations de perte de données fondamentales compilées années après années (ah,
bien sûr… les photos de famille, le sujet sensible) et qui ne faisaient l’objet
d’aucun back up ! Les accidents, c’est toujours pour les autres… jusqu’au
jour où cela vous arrive. Ce risque de plantage machine, qu’il soit le résultat
d’une invasion malveillante (virus) ou non… c’est sans doute le risque numéro
un dans l’esprit des jeunes aujourd’hui. Ils n’ont pas trop de crainte dans
leurs pratiques ouvertes en ligne… mais les défaillances machine qui plantent
le système… pour eux, c’est le pire à craindre. Car c’est souvent radical et
cela engendre des frais financiers auxquels ils ne sont pas en mesure de donner
parfois la réponse, sans solliciter le porte feuilles de papa et maman. Les
limites machine, c’est aussi cela qui fait peur aux enseignants, lesquels
n’aiment pas « entrer en technologie » sans l’assurance que tout fonctionnera
et qu’ils maîtriseront la situation (technique).
Alors certes, il y a des réponses
techniques pour s’assurer un plus grand confort et un moindre risque, mais
avant tout, ce que profs tout autant que mes frères et belles-sœurs avaient
besoin hier, c’est de comprendre en quoi ils ont été en défaut de posture dans
cet univers où, malgré tout alors qu’ils ne sont pas formés, ils prétendent –et
ils ont raison- faire des usages abondants de cette avancée technique.
Côté solution technique, aborder
la notion de « Cloud computing » était naturellement prioritaire.
Citer des produits et des services en ligne aussi ! Il fallait bien être
concret. Mais la réflexion fut pourtant essentiellement tournée vers la
signification de ce que représentait la perte des renseignements stockés en une
seule place. C’était l’occasion de mettre en avant et de conscientiser chacun
de la place qu’à pris aujourd’hui la dimension réseau dans nos vies. Et je dis
« réseau » pour ne pas laisser entendre seulement la dimension « informatique ».
Car à côté des anecdotes liées à la technique (il y en eut d’autres) les
agacements et les accidents évoqués furent surtout liés à la dimension sociale
des technologies de communication.
Des problèmes virtuels très…
humains
Facebook, bien sûr, en tête des
difficultés à gérer sa présence en ligne, la divulgation contrôlée des éléments
de vie privée et pourtant aussi, positivement, le partage en réseau de données
intéressantes.
Car c’est clair, toutes ces
situations évoquées avec leurs risques de pannes ou de dérapages plus ou moins
contrôlés, le furent au détour d’usages intéressants dopés dans leur efficacité
par les technologies modernes de l’informatique et des réseaux.
Aucun, autour de la table, ne
refuse les usages machinés… Tous ont plongé il y a un moment déjà. Mais presque
tous déplorent leurs méconnaissances des règles du jeu… Oui, bien sûr,
identifier l’existence de tel ou tel outil pour faire ceci ou cela…et connaître
leurs modes d’emploi … mais surtout nourrir une réflexion plus globalisante sur
« ce qui se passe quand on les utilise ». L’éternelle question de
l’Education AUX médias en sus de l’apprentissage des modes d’emploi techniques.
Mes beaufs et mes profs forment
une même grande famille. Ils utilisent à titre perso, bon an mal an, les
technologies d’aujourd’hui. Ils ont bien compris que c’est un « net
avantage ».
Mais à l’usage, ils se rendent compte qu’il faut prendre de la distance, sortir
le nez du guidon pour observer ce qui se passe. Mais le constat est bien là…
pour apprendre, il faut pratiquer. Beaucoup pratiquer. Et commettre, parfois
voire souvent, des erreurs ! C’est vrai pour tous les apprenants… même
quand ils sont adultes.
- Des années de favoris patiemment compilés perdus en un
instant, tu ne te rends pas compte ! Et tu me dis que c’est
définitif ? (Risque de déception ultime… que va dire le formateur de
la famille ?)
- Sans doute « oui » ! (petit silence)
Mais il est où le (vrai) problème ? Et c’est quoi le début de la
solution ?
Les pratiques de sécurisation
(back up et autres…), tous en connaissaient l’existence. Et ce n’est qu’une
demi-vérité de dire que le problème résidait dans la conviction naïve de croire
que « l’accident, c’est toujours pour les autres ». La raison plus
fondamentale, c’est que trop souvent, on ne SE pose pas de question. On en pose
peut-être à d’autres… aux spécialistes qui sont de fait en mesure de donner un
éclairage compétent. Mais ces avis experts restent la plupart du temps des
réponses extérieures à des problèmes théoriques qui ne sont pas notre vécu. Ce
n’est pas soi qui est en questionnement. Dès lors, la réponse n’alimente pas
une situation personnelle de remise en question. A ce moment, sans doute que
l’on ne fait qu’entendre l’expression d’une solution. Mais cela ne touche pas.
Apprendre passe sans doute
d’abord par la mobilisation personnelle. Construire de nouvelles
représentations et fonder ensuite de nouveaux usages réclament sans doute, si
pas de s’être cassé la figure, d’avoir au moins un doute, de souhaiter se
forger un autre avis que ce que l’on pense ou que l’on sait déjà…
Apprendre commence sans doute
alors par cette phrase « Je ME demande si… ». Un questionnement qui
m’invite à constater que la réponse est donc EN MOI… quitte à ce que d’autres
m’éclairent sur la réponse qu’ils se sont forgée et qui leur permet de plus ou
moins bien solutionner leur questionnement.
Le pique-nique a repris sa
conversation insouciante après que quelques noms d’outils et de services en
ligne aient été jetés sur le papier, à charge pour chacun de prospecter sur le
fonctionnement de ceux-ci. Mais une chose est sûre, le débat a renvoyé chacun à
sa posture personnelle : « Qu’est-ce que je recherche et qu’est-ce
que je ne veux pas dans mes usages technologiques
contemporains ? Compte tenu du fonctionnement de ces outils, quelles
stratégies vigilantes je mets en place pour m’observer de façon un peu critique
dans ce que j’entreprends ? ».
Mon espoir au bout du compte,
c’est d’avoir éveillé à la perception que la solution n’est pas que dans le
choix du bon outil ou dans sa manipulation experte, mais aussi et d’abord dans
mon interrogation sur moi-même, ma remise en question et mon envie de
progresser dans ma lucidité. Formateur, cela me rappelle inévitablement la
méthode socra-tic…
Alors... à Ludovia ? Oui... mais
pas d'abord pour y découvrir de nouveaux outils et de nouvelles procédures
technopédagogiquement performantes (encore que c'est toujours utile)... mais,
comme le dit Jacques Cool (voir ici)
pour en revenir à la pédagogie et personnellement donc... pour me poser
beaucoup de questions sur mon métier et sur l'accompagnement que je
peux apporter aux apprenants que je côtoie en situation d'apprendre.