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Quand les médias font autorité
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Quand les médias font autorité, il est sans doute temps de se réveiller Abstract
[Dernièrement, une nouvelle banque (fictive) débauchait ses clients en proposant des bénéfices plantureux sur fond de placements non-équitables. Paul Hermant (RTBF) voyait dans cette mise en scène, un rappel des expériences de St. Milgram sur la soumission à l’autorité. Dans la foulée, cette analyse avance que l’Education aux médias participe du mouvement de réveil des consciences et du sens critique face aux potentas des représentations, notamment massmédiatiques.]
« La vie est sans doute comme une grande pièce de théâtre dans laquelle chacun est tenu de jouer un rôle. Mais une chose est claire, si le scénario n’est pas encore écrit, c’est alors aux acteurs qu’ils appartient de construire la narration et d’avouer par là même leurs choix existentiels ».
Amusante, cette comédie interprétée par des acteurs, huit jours durant, dans le centre de Louvain-la-neuve. A moins qu’il ne s’agisse d’une dramatique ! Ils ont répondu à un casting orchestré par quatre étudiants en Sciences économiques qui avaient comme projet d’ouvrir sur le campus une banque d’un genre nouveau. Aux clients qui se présentent, particulièrement curieux en ce temps de crise financière, les employés décrivent une politique d’investissement spectaculaire qui peut rapporter gros, très gros, aux investisseurs. Car la « Rising bank », la banque qui monte, est ambitieuse pour elle-même et pour ses clients (encore une qui partage ses bénéfices). Il ne faut toutefois pas être regardant : on vous le dit haut et fort, les placements sont faits dans des fonds très controversés : industrie de l'armement, du jeu, du tabac, de l'alcool. Ici, on ne fait pas non plus dans l’éthique, ni le politiquement correct : placement dans des entreprises et des multinationales qui délocalisent dans le tiers monde pour recourir à l’emploi d’une main d’œuvre quasiment gratuite, notamment celle des enfants, et qui profitent du fait qu’en ces régions, les lois sur le travail sont quasi inexistantes. « Tous les placements qu’on propose, les banques classiques le font. On n’a fait qu’une caricature de ce qui existe et on a été plus transparents quant à son application » dira Céline Delcamp, une des étudiantes à l’origine du projet (1) . Et les clients se montrent très intéressés. Seuls 37% se rebiffent. Et ce sont 55% des sondés qui prennent les renseignements pour engager prochainement des fonds et réaliser, si possible, les bénéfices que l’on a fait miroiter. A ceci près que l’entretien se termine par une révélation : il s’agit d’une action choc de sensibilisation, les employés sont des comédiens. Le processus relève d’une analyse en situation des comportements clients pris dans le jeu d’une proposition financière, par certains côtés alléchante, mais dépourvue de tous scrupules éthiques et citoyens. Paul Hermant, le chroniqueur radio de la RTBf, revient le 5.12 sur cette farce, à moins qu’il ne s’agisse d’une expérience humaine très profonde et révélatrice des process humains. Car, en effet, il la compare aux expérimentations d’un déjà bien ancien Stanley Milgram (1933-84) qui avait, lui aussi, mis en scène des comédiens pour tester les réactions du candide quand on lui fait miroiter des bénéfices sans trop devoir se soucier de la manière dont il les obtient. P. Hermant s’exprimait ainsi sur antenne : « Je ne sais pas si c'est ce qu'Isabelle Stengers appellerait un « miracle discret ». Et je ne sais pas non plus comment elle nommerait cette fausse banque, une « vraie fausse banque » alors pour le coup, montée par des étudiants de Louvain la Neuve et que nous montrait le JT hier, une agence qui, sur la place publique, proposait des rendements jamais vus. Pour la raison, expliquaient les guichetiers, que les placements n'étaient pas éthiques : tiers-monde, travail des enfants, multinationales, pas de droit du travail, enfin une horreur. Pour vérifier quoi ? Que les taux d'intérêt, c'est comme le principe de Milgram, il y a des gens qui n'hésitent pas à appuyer sur le bouton. Et si ça fait un peu, beaucoup, mal, tant pis. 55%, précisent les étudiants. 55, pour cent. Pas mal… » En effet, la procédure était identique et les observés n’étaient pas, là non plus, ceux que l’on croit. Milgram engageait par voie d’annonces publiées dans des toutes-boîtes des candidats chichement payés (là n’était donc pas leur motivation première) pour qu’ils participent à une expérience de laboratoire cherchant à définir l’impact d’une sanction sur la capacité d’un individu à mieux se concentrer lors d’un exercice simple de mémorisation. L’objet de recherche pouvait sembler légitime et, dès lors, on admettait bien volontiers que le monde scientifique (en l’occurrence ici, sociologie et psychopédagogie) se mit en devoir de réunir des preuves de ce qu’il formulerait peut-être à l’avenir sous un intitulé de loi comportementale du genre : « Soumis à une menace de sanction, l’humain développe de nouvelles compétences mnémotechniques ». Si ce n’est que la mise en situation attribuait le rôle du mentor qui sanctionne… au candide et que les sanctions étaient, ni plus ni moins, des décharges électriques de plus en plus fortes au rythme des erreurs commises, décharges pouvant aller jusqu’à des taux mortels d’électrocution. Informés de leur rôle, c’était donc aux acteurs à entériner –ou non- le scénario de la pièce, et à la jouer. Selon les variantes, les résultats montaient à plus de 80% d’envoi de décharges mortelles… au comédien pauvre-type. Et donc, pareillement, les candidats aux placements financiers de Louvain-la-neuve étaient-ils testés sur leur volonté –ou non- de souscrire à un jeu bancaire qui écrasent les individus-travailleurs du tiers monde pour tenter des bénéfices personnels de haute envolée. Certes, on aurait pu croire que tout citoyen responsable mis dans cette situation, fasse preuve d’éthique et de sens civique. Mais c’était compter sans le poids joué par le cadre institutionnel d’expérimentation : le milieu scientifique chez Milgram et le monde bancaire en col blanc à Louvain-la-neuve. Le civisme voudrait que l’on se refuse, dès la proposition de départ, à entériner pareille entreprise que l’on devrait immédiatement dénoncer plutôt pour son caractère abject. Mais voilà, il semble que l’humain soit moins regardant sur ce volet éthique, une fois qu’il est soumis à l’autorité d’un tiers tout auréolé des compétences de son milieu ou de sa science. Dans la pièce de théâtre qui se joue alors, les acteurs enfilent chacun leur rôle, acceptant des degrés divers de soumission.
Certes, s’il est inquiétant d’identifier le nombre de ceux qui se soumettent imperturbables, il est réjouissant d’entendre que le scénario réveille le fond d’humanité d’un bon nombre (ils sont 37% à s’être rebiffés à LLN) qui tentèrent alors une remise en question du scénario de la pièce entrain de se jouer. Certains vont même jusqu’à prendre la main sur la poursuite de l’histoire. Dans le cas de la Rising bank, des candidats au placement, non contents de s’opposer à ce qui leur était suggéré, ont ensuite interpellé leur banque pour savoir ce qu’elle faisait comme types de placements avec l’argent qu’ils leur confiait. Une fois conscientisés, ils affirmaient ainsi leur volonté de rester maître de leurs interactions et de pouvoir choisir à quel type de projet de société ils souscrivent par l’investissement de leur personne et de leurs biens. Il n’est jamais trop tard –mais parfois grand temps- pour se mobiliser en ce sens.
Quel rapport avec l’Education aux Médias, alors? Il semble qu’à la lecture des supports médiatiques que l’on nomme « massmédias », presse et télé principalement, le public de la rue se soumette assez facilement et en grande proportion, à l’autorité médiatique. On connaît le leitmotiv assez populaire : « C’est écrit dans le journal » qui a son équivalent « Je l’ai entendu à la radio » ou encore « On l’a dit à la télé ». Slogan à tel point convaincant, semble-t-il qu’il en est devenu un argument commercial : « Vu à la télé » est aujourd’hui apposé sur pas mal d’emballages d’articles ayant bénéficié d’une campagne publicitaire sur les écrans. Comme si cet affichage médiatique était garant d’une quelconque qualité intrinsèque du produit ou du service. Or, on devrait admettre avec lucidité qu’un écran publicitaire reste un support marketing comparable à un folder déposé dans la boîte aux lettres, par exemple. Mais voilà, le crédit n’est pas identique : on n’imaginerait en effet pas un auto-collant sur-apposé à l’emballage disant : « Vu dans vos toutes-boîtes ». Et donc, se pose légitimement la question : « Où se trouve la raison du renforcement de crédibilité dont jouit le massmédia ? » Car c’est bien de cela qu’il s’agit !
Sans doute la réponse est-elle à chercher dans les deux éléments du concept : la « masse » et le « média ». Entrer dans une vision collective, la plus large possible, est une manière de se sentir de son temps, intégré à la société ambiante. C’est « l’effet de mode » qui justifie tous les renversements de pratique. Un jour, on dit que mettre une chemise à lignes avec un veston à carreaux est du plus mauvais goût. Et le lendemain, cela devient curieusement le signe le plus tendance de la mode suivante. Un cas concret ? Qui aurait imaginé, il y a quelques années encore, que les filles et les femmes mettraient des robes par-dessus leur pantalon comme elles le font toutes aujourd’hui, quand elles se veulent un peu banchées ? L’effet de masse, donc. Mais l’effet médiatique aussi. Qui peut en effet imaginer la mobilisation d’une si sophistiquée technologie réclamant un tel savoir-faire dernier cri… au bénéfice de produits ou de services qui seraient, malgré cela, de mauvaise qualité ? Beaucoup souscrivaient déjà au principe : « Les marques doivent être de bons produits puisqu’elles coûtent cher ! » Pourquoi alors ne pas admettre assez naïvement que si des équipes cinématographiques tournent des clips publicitaires de quelques secondes avec des budgets de courts ou moyens métrages de fiction, c’est qu’il s’agit de promotionner de bons produits. Pensez donc, Nicole Kidman ou Audrey Tautou se sont compromises dans le clip de N° 5 de Channel… Tout est dit ! Ce doit être un must, ce musc !
Et pourtant, à la suite de Milgram, les étudiants en Sciences économiques de Louvain-la-neuve nous invitent à plus de réalisme et partant, de responsabilité citoyenne. Toute cette mise en scène interprétée par des comédiens ne doit-elle pas nous faire réfléchir ? Sommes-nous capables de nous extraire un instant de la configuration de masse dans laquelle on nous impose un rôle prédéterminé, pour oser une réflexion personnelle et un jeu d’acteur mûrement choisi ? Serons-nous du lot des suiveurs insensibles aux enjeux ou prendrons-nous l’initiative d’interroger le système, de le dé-construire, de leur remonter selon notre envie, si celle-ci s’avère plus nuancée.
Tout le travail d’éducation aux médias s’inspire de cette vision de vigilance citoyenne. Les massmédias proposent un discours sur le réel qui n’est, après tout, qu’un regard, qu’un point de vue, qu’une « représentation » comme dit le référent bien connu : les six thématiques de l’éducation aux médias (2) .
Quand le discours médiatique se développe au creux du genre publicitaire, on sait –on devrait savoir avec d’autant plus de lucidité- que c’est un argumentaire marketing. Mais quand il s’agit d’un discours médiatique sur l’actualité du monde, ce que l’on nomme « l’information », les enjeux sont plus délicats, puisqu’il s’agit bien de reconnaître, là aussi, un regard porté sur le monde parmi d’autres possibles. Il ne s’agit plus alors de se retrancher derrière le sempiternel « C’est écrit dans le journal » ou « On l’a dit à la télé ». Il faut se mobiliser dans une attitude critique qui se rappelle à tout instant que le « Journal ne dit pas ce qui s’est passé dans le monde, mais uniquement –et de façon partiale- ce qui s’est passé dans ce journal » (3) .
Ce n’est pas pour rien que se mobilisent aujourd’hui des énergies pour dire que le monde tel qu’il est décrit dans les massmédias n’est pas le reflet de la réalité (4). Trop pessimistes et trop soucieux d’audimat, les médias s’intéressent plus volontiers aux trains qui arrivent en retard qu’à ceux qui arrivent à l’heure. Ils placent leurs caméras au bord des courses automobiles, non dans les lignes droites où apparemment rien ne se passe, mais là où la rudesse d’un tournant annonce plutôt des sorties de routes spectaculaires . (Endroit, il est vrai, privilégié également des spectateurs… ce qui fait dire aux responsables médiatiques que l’on a les médias que l’on mérite). Face à cette tendance médiatique généralisée, il en est pourtant qui militent aujourd’hui pour une presse ou une télévision plus avides des nouvelles positives de notre société que de ses actes manqués.
C’est une première mobilisation citoyenne, encore marginale, face au système massmédiatique : produire une autre presse, une autre télévision. Mais sans attendre que cette tendance ne puisse inverser les pratiques (le pourra-t-elle d’ailleurs, mais il ne faut pas nécessairement réussir pour entreprendre) il importe d’éduquer le public qui est confronté au quotidien à ces massmédias, pour qu’il se positionne en consommateur actif et responsable de ce qu’on lui suggère.
Dans la pièce où il est invité à tenir un rôle, c’est à lui d’orienter non le casting, mais la dévolution des rôles. Il fera certes partie des sélectionnés –tous le sont- mais à lui de refuser un rôle trop servile s’il lui apparaît que le scénario doit être renégocié parce que les choix existentiels inscrits dans l’histoire ne lui conviennent pas.
Certes, et c’est heureux, on n’est pas quotidiennement confronté à des personnages démoniaques qui nous invitent à investir nos fonds de placement dans des multinationales de l’armement ou qui nous proposent d’envoyer des décharges électriques mortelles à de pauvres types qui ne nous ont rien fait et qui ne sont pas capables de retenir une liste de 25 substantifs accompagnés de leurs qualificatifs respectifs. De même, dans le monde des médias, la publicité reste la plupart du temps politiquement correct et les infos ne sont pas de la propagande éhontée. Mais il n’en demeure pas moins vrai que c’est sur le principe même que le candide de l’expérimentation doit se positionner. Jusqu’où se soumettre, annihiler son libre-arbitre face à un système qui se drape des insignes de la compétence, de la scientificité, de la haute technologie, etc. pour nous convaincre du bien-fondé de ses représentations ?
S’il est envisageable que toutes ces personnes ou institutions, avides de potestas (5) , fassent campagne pour convaincre d’entrer dans leurs vues, le citoyen doit revendiquer le droit de prendre distance pour décortiquer ces messages et, au final, se faire son avis personnel. Comme l’électeur qui se retire dans l’isoloir pour y exprimer individuellement sa vision de la société et reconnaître ses « auctoritas (6) » dans un acte vraiment démocratique. L’éducation aux médias relève de cette responsabilité politique au sens noble du terme. Y former, c’est donc éveiller au quotidien une prise de responsabilité citoyenne.
1. http://www.rtbfinfo.be/info/societe/divers/savez-vous-que-votre-argent-finance-larmement-le-tabac-lalcool-61559 2. http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89ducation_aux_m%C3%A9dias 3. Citation libre d’un dialogue du « Chat » de Ph. Geluck. 4. http://www.televisiondumonde.be/ ou encore http://www.reportersdespoirs.org/ 5. Et pour les médias, ne parle-t-on pas de Quatrième pouvoir ? 6. Pour la distinction, lire par exemple http://leportique.revues.org/document562.html#tocto1
Sources : Séquence RTBf Télé : JT du 4.12.08 http://www.youtube.com/watch?v=5tHU6AkMTHg La chronique de Paul Hermant du 5.12.08 (texte) http://blogrtbf.typepad.com/matin_premiere/2008/12/0512---la-chron.html#more La chronique de Paul Hermant du 5.12.08 (audio) http://podaudio.rtbf.be/pod/LP-MAP-CHR-PH_La_Chronique_de_Paul_Hermant_5-_6317871.mp3
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