Certes, le fait
qu’en Belgique, nous soyons à quelques mois des élections communales et que les
présidentielles françaises battent leur plein n’est pas étranger au phénomène.
Mais c’est 365 jours de l’année que certains sont en campagne sur les réseaux,
tenant des discours engagés. Liberté d’expression citoyenne bien légitime… à
condition d’être constructive. Sinon, le poujadisme n’est pas loin, mettant en
question l’idéal démocratique
S’il fallait camper le décor, la
vie locale de la Capitale wallonne pourrait servir d’exemple. Un groupe
« Namur, Belgium » a été créé qui comprend aujourd’hui 1415 membres, « habitants
de Namur en Belgique ou expatriés toujours amoureux de cette ville ».
C’est du moins le motif avoué de sa constitution. C'est aussi le groupe des
fans du site www.bia-bouquet.com,
lequel a été créé à l’initiative d’un pensionné devenu, dès sa mise à la retraite en 2005,
photographe reporter et grand arpenteur de la cité et de ses environs devant
l’éternité.
A l’heure des réseaux sociaux, la
page Facebook « Namur, Belgium » fait donc office de miroir du site
de partage de photos en ligne et constitue une vitrine supplémentaire et un
espace d’expression collectif qui est à distinguer du mur personnel de
l’intéressé : Christian Delwiche. Car c’est une des caractéristiques de
cette démultiplication des espaces d’expression : certains constituent des
canaux privés de communication (messages privés), d’autres sont des lieux semi
publics puisque personnels mais susceptibles d’être partagés en lecture, voire
aussi en écriture (mur). Les Pages enfin, sont délibéremment espaces
collectifs… même s’ils demeurent sous la responsabilité éditoriale du créateur,
lequel doit alors choisir où publier ses propos, selon les destinataires
concernés et l’affichage de commentaires susceptibles de nourrir des débats –
privés ou publics.
Beau travail de mémoire locale
En l’occurrence ici, la vie
locale est d’abord relatée par l’affichage hebdomadaire de plus ou moins deux
cents photos prises sur le vif et mises en ligne sur le site www.bia-bouquet.com avec l’accord des intéressés. Christian
Delwiche a aussi dédié un de ses albums Facebook pour collecter parmi ses
tirages, les portraits de ceux qui sont affiliés au réseau social. Une pratique
en réseau qui fédère les individus qui, s’ils ne se connaissent pas encore, se
rencontrent ainsi virtuellement et se voient présentés l’un à l’autre bien
sympathiquement. Et plus si affinités. Les habitudes se mettent dès lors vite
en place… L’immédiateté et la proximité des réseaux font que les échanges sous
forme de commentaires battent vite leur plein et prennent librement la tournure
des conversations du café du commerce. Chaleur dans les propos et sympathie
partagée quand l’artiste publie ses nouveaux clichés. Il y a là un travail de
mémoire qui participe de la sauvegarde du patrimoine humain et architectural
namurois, comme le firent les anciens dont on expose les sténopés aujourd’hui
encore au pied de la Citadelle, et qui relatent le souvenir de ce quartier des
Sarrasins détruit en 1970, sur l’espace du Grognon. Sûr qu’un jour, Christian
Delwiche figurera dans la liste officielle de ces immortaliseurs de notre riche
vie locale.
Dire que tout va bien dans la
cité mosane serait faire preuve de naïveté, on s’en doute. Comme en toute
métropole, la réflexion citoyenne a de quoi se mobiliser autour de certains
thèmes pour que la politique de demain, soit encore plus en phase avec les
besoins des citoyens. Et il est à constater que les échanges sous forme de
commentaires ont pris la tournure d’une véritable campagne, quoique s’en
défendent certains. Et c’est sans doute là qu’il y a lieu de poser un regard
critique.
Une photo a le mérite
d’immortaliser une figure, un moment, une situation... pour la postérité.
Souvenir, souvenir. La photo ne mentirait pas, ferait preuve d’objectivité,
serait factuelle… C’est oublier une série d’options de cadrage, de
scénarisation qui instrumentent la prise de vue… et ne rien dire du choix de ce
que l’on photographie et de ce qu’on laisse se perdre en le tenant hors champ.
Dénoncer sur la toile, facile…
Et donc, il est progressivement
arrivé que notre baladeur photographe sélectionne pour Facebook des clichés
dénonçant les incivilités de certains citoyens. Essentiellement des questions
de parkings sauvages. Pourquoi donc faudrait-il toujours être laudatif dans ses
propos, fussent-ils photographiques ? Mais la dimension réseau a donné sa
pleine mesure quand le succès de cette ligne éditoriale s’est vu octroyer un espace
spécifique : une page intitulée « Piétons, à Namur vous avez des
droits ». Deux raisons à cela, sans doute : ne pas inonder plus
l’espace d’expression généraliste (le « mur » de Namur Belgium) avec
une thématique quelque peu envahissante. Mais sans doute aussi donner tout son
retentissement à cette militance citoyenne sur les conditions de mobilité dans
la ville.
Comme au comptoir du café du
commerce, les propos s’enflamment vite. Ce que l’alcool peut stimuler dans un
cas, se trouve encouragé ici du fait du peu de distance psychologique que
constitue le truchement de l’écran et l’apparente cohésion du groupe qui se met
à s’exprimer. Mais tous ceux qui lisent souscrivent-ils aux propos qui sont
tenus par le groupe. Y a-t-il minorité ou majorité silencieuse ? Car tous
n’ont peut-être pas envie de s’engager dans un débat public qui participerait
de leur identité numérique.
La discussion citoyenne à
connotation politique est saine pour le débat populaire. Sa tenue dans les
réseaux tient à l’évolution des technologies. Normal que cet espace de
rencontre soit aussi annexé à cette fin. Mais, comme pour le journalisme
citoyen développé en toute spontanéité, on s’aperçoit rapidement que les propos
sont assez déjantés. Non qu’ils fassent toujours preuve de malhonnêteté
intellectuelle, mais du fait, à tout le moins, qu’ils sont désincarnés de tout
engagement concret. « Facile à dire, pas si facile à faire »
pourrait-on commenter.
L’espace Facebook créé par notre
« amoureux de sa ville, désespéré certains jours » a en effet très
vite vu les commentaires de ses abonnés s’emballer pour dénoncer
systématiquement des manquements
politiques. C’est un fait, on ne s’improvise pas modérateur online. Difficile
d’arbitrer des propos tenus en public, surtout quand il faut faire la part des
choses entre la sympathie interpersonnelle dont on est l’objet et la nécessaire
tempérance quand on exprime des points de vue partisans. Quoi de plus simple en
effet de dénoncer, tous partis confondus. Un point de vue radical qui, s’il devait
se concrétiser dans un mandat concret, ne trouverait aucun parti pour être mis
en programme électoral, ni aucune coalition pour être mis en œuvre dans une
politique concertée.
La démagogie n’est pas loin quand
on lance ainsi des propos incendiaires sur la place publique que constituent
les réseaux, et de surcroît au nom d’une liberté d’expression que l’on n’aurait
plus non plus dans les médias, eux aussi tous pourris ! Le parallèle avec
le journalisme citoyen est rapide… Combien s’expriment aussi sur la toile
aujourd’hui pour relater leur vision de l’actualité, en se démarquant des
médias officiels dans lesquels leurs propos ne trouveraient pas place. Certes
fondamentalement, il y a lieu de s’en réjouir quand cela élargit le débat
citoyen… mais cela réclame alors de la part de ces acteurs amateurs, un
savoir-faire et une conscience « professionnelle » qui n’est pas
fournie avec l’hébergement du site ou du réseau dans lequel on s’exprime en
toute facilité. Faire campagne sans fonder parti, proposer une vision politique
généreuse sans assumer la responsabilité du pouvoir, c’est un peu facile. Et
c’est très populiste… surtout si le réseau, finalement, fait s’exprimer ceux
qui au comptoir du café du commerce auraient la gorge chaude sans que, pour
autant, on puisse dénombrer ceux qui se tenant dans la salle désapprouvent
silencieusement mais fermement les propos échangés.
La réponse des intéressés mis ici
en cause sera sans doute rapide et à l’image des acteurs de la blogosphère qui
pratiquent semblablement en développant leur ligne éditoriale : « Si
cela ne vous plait pas, allez voir ailleurs ! ». A la différence
toutefois qu’ici, par le fait que les amis de ses amis sont ses amis dans un
réseau, l’internaute est bombardé des réactions et commentaires auquel
participe son contact. Des débats auxquels il n’a pas personnellement toujours
choisi de vouloir participer, mais qui s’invitent dans le flux d’actualité
rapatrié automatiquement.
Le modérateur jette le gant
Trop lourde tâche alors pour le
modérateur improvisé qui, interpellé en message privé par l’un ou l’autre de
ses contacts, a préféré fermer la page Facebook infectée de virulence
incontrôlable. Le débat se devait donc de trouver d’autres voies pour continuer
de s’exprimer… des canaux finalement plus appropriés… où les interlocuteurs se
choisissent désormais en toute clarté. Faut-il en conclure que le net ne
convient qu’à l’expression d’un consensus mou, où qui se ressemble s’assemble
pour s’auto congratuler en se pavanant ? Certes pas… mais sans doute y
a-t-il des outils de communication qui ne conviennent pas à certaines
expressions… le privé et le public, le généraliste et le dédié s’y mêlant dans
une ambiguïté regrettable, les acteurs silencieux donnant peut-être alors à
tort l’impression de souscrire aux propos échangés.
La morale s’apparenterait-elle
finalement à une dénonciation des « grandes gueules » trop invasives
dans la sphère publique ? Sans doute faut-il plutôt conclure qu’en matière
de débat politique (comme en situation de journalisme citoyen, nous avions déjà
proposé ce parallèle), il est peut-être facile de défendre des points de vue généreux mais théoriques
qui n’ont que peu de chance de se voir un jour proposés au suffrage de
l’électeur (ou à la sanction d’un lectorat exigeant). La sanction populaire
n’aboutissant jamais, dans ce cas, il est très facile de s’auto satisfaire en
cercle restreint, sans admettre que l’exercice de la chose publique est encore
une autre affaire… un leurre que la pratique des réseaux sociaux risque de gonfler
encore un peu plus et de façon illusoire. Qu’est-ce finalement que 1514
membres, (seraient-ils même tous d’accord avec la teneur des échanges…) face à
la population globale constituée des quelque 120.000 namurois ? A ceux qui sont en campagne toute l’année,
ne faut-il pas rappeler que la politique se décide par la voie des urnes… et
pas dans les engueul… d’un groupe Facebook, quand bien même il s’y échangerait
des vérités, incontestables aux yeux de plus d’un ?