Philippe Soreil n’aime pas trop cette image qu’on lui colle parfois,
de « défenseur de la nature ». Il n’a pas trop l’âme d’un gourou, pas
plus que celle d’un militant. Et à l’écologie, il veut bien souscrire,
si l’on n’assimile pas cela à une affiliation partisane. C’est que
l’intérêt qu’il porte à la vie, l’intérêt dont il est parvenu à faire
son métier, c’est celui de communiquer son enthousiasme pour les hommes
(la culture), la nature et l’aventure. Et de ces trois termes, le
dernier est son fil rouge.
Ce n’est pas pour rien que Philippe Soreil est aujourd’hui
président des séances « Exploration du monde » et que le cycle 2012
inclut la programmation de sa dernière production : « Wallonie, le
terroir au fil de l’eau », un téléscopage intéressant entre les grands
horizons de la planète qui s’affichent fréquemment dans ce programme et
le focus du documentariste belge sur la région qu’il habite et arpente
avec empathie.
« Je rêvais d’être un découvreur, un explorateur quelque part… Et
j’ai pu toucher cela il y a quelques années déjà et faire une douzaine
de films documentaires un peu partout dans le monde. C’est là que je me
suis rendu compte que l’intérêt de la nature, du monde animal,
n’existait que par rapport à l’équilibre que l’on pouvait trouver au
sein des hommes. Je n’ai jamais pu imaginer extraire les hommes de la
nature, ni la nature des hommes. Pour moi, ce sont des choses qui sont
impliquées. Et cette maxime qui dit : « Plus je connais les hommes, plus
j’aime mon chien ! » , je n’y souscris vraiment pas. »
Son credo professionnel ? « Déployer de l’énergie pour faire
passer des idées auxquelles il croit, pour sensibiliser, non comme un
militant, mais plutôt comme un jouisseur de la nature qu’il utilise,
certes, mais qui la respecte aussi et qui intervient volontiers, quand
c’est possible, pour rendre un peu de santé à ce cadre de vie dans
lequel s’inscrit l’activité des hommes ». Sur les traces de Nicolas
Hulot, notre reporter ? Pourquoi pas. Philippe Soreil avoue sa
sympathie pour le personnage, reconnaissant volontiers que, s’il avait
pu amplifier sa vie à la télé, ses voyages et ses découvertes, c’est
certainement dans ce sens qu’il aurait été. Il le dénomme symboliquement
« l’Arpenteur de la terre », s’attribuant plus modestement le titre
« d’Arpenteur de sa région, la Wallonie ». Un terroir auquel il consacre
depuis 14 ans déjà ses émissions « La clé des champs », le magazine du monde agricole francophone de la chaîne belge de service public.
Vulgarisateur passionné
Partager son enthousiasme, c’est toucher les gens. Et communiquer une
réalité qui n’est ni leur quotidien ni leur domaine de compétence
demande de pouvoir vulgariser avec doigté. « Chaque fois que je
tourne, je pars pour raconter une histoire, qui est l’histoire d’une
situation. Il faut aider les gens à rentrer dans une histoire. Et
finalement, exceptés les scientifiques qui ont une recherche plus axée
sur l’information et qui peuvent se contenter d’un discours tout en
rigueur, les gens qui regardent la télé ou qui écoutent la radio, ils
aiment bien s’entendre raconter des histoires ». En revanche,
l’histoire doit être vraie. Il y a donc à conjuguer habilement une idée
préalable à une réalité de terrain qui s’affichera devant l’objectif et
le micro.
Philippe Soreil toujours : « En fait, il y a des démarches qui
sont mixtes selon moi, à savoir que quand je pars, je me suis construis
un objectif, un synopsis, une idée précise, des références, des lieux,
un découpage tout à fait théorique et anticipatif ». Et puis comme
dans un bon film de fiction ou dans un documentaire, on se retrouve sur
place et entre ce que l’on a imaginé et la réalité, il y a ce que la
nature nous offre de vérité. Et donc, il faut être à l’écoute et revoir
sa copie. En fait, comment cela se passe ? « Quand on arrive, on a
une opportunité qui se présente à nous soit d’une rencontre, d’une
action, d’une situation d’animaux, de nature (un orage, un ciel
magnifique ou que sais-je ?). On filme, puis le soir, on voit dans
quelle case on peut inscrire ça dans le scénario et le découpage
préalable. Et puis, au fur et à mesure du tournage et de ce que l’on
accumule alors, on réécrit le scénario pour ne pas déformer ce qu’on
avait envie de faire, mais malgré tout pour s’adapter à ce qui s’est
présenté à l’œil de la caméra. »
C’est cela qui explique encore aujourd’hui la magie des programmes « Exploration du monde », car enfin… ce qu’on y montre est aujourd’hui accessible sur DVD, à la télé ou sur Internet ! C’est quoi la recette ?
« Pour moi, Exploration du monde, c’est une aventure merveilleuse qui
arrive encore à exister malgré le temps et malgré la multiplicité des
medias, ce qui est énorme… L’aventure a commencé en 1950, tout de même !
La seule chose, c’est que nous devons retrouver maintenant un troisième
souffle, le premier, c’était l’exploration. Le deuxième, c’était la
découverte. Maintenant, c’est un petit peu l’interprétation… car on
continue, non plus à révéler des faces du monde qui seraient encore
ignorées du grand public, et puis parce que tout le monde a accès à
l’image… Qu’est-ce qui fait que les gens vont encore se déplacer dans
une salle de spectacle, qu’ils vont devoir s’habiller, prendre leur
voiture, rouler à travers la pluie, se garer, payer leur entrée, mettre
leur manteau au vestiaire… plutôt que de regarder tout cela derrière un
clic sur Internet ? Selon moi, c’est le regard du cinéaste, le regard du
conférencier… Il reste encore cette dimension humaine, cet élément de
spectacle vivant et personnalisé qui différencie « Exploration du
monde » de tout le reste. Et puis, il n’en reste pas moins que la bonne
vieille tradition des conteurs des veillées d’antan n’est pas morte :
écouter une histoire racontée par quelqu’un qui sait parler… avec à
l’appui, de belles images. A tel point que l’on reconnaît parfois notre
erreur quand mettant le son sur le film, on bascule vers la facilité du
format télévisuel… le conférencier se contentant alors d’introduire,
d’être présent à l’entracte pour d’éventuelles questions. Non, ce que le
public attend, c’est une aventure où le conférencier se mue en conteur,
en passeur d’émotions ».
Dessine-moi un mouton
Quand on réalise un documentaire, jusqu’où se compromet-on dans une interprétation du spectacle de la nature ? « Prenons un exemple : un film que j’ai présenté en avant première au Festival du Film nature et qui s’appelle « Félins »
(Wildcat, un film distribué par Disney et produit par la BBC avec un
réalisateur qui avait été un des collaborateurs de Richard Attenborough,
un maître en la matière, à mes yeux). Lui, il a travaillé exactement
comme ça sauf que, pour Disney, il a raconté une histoire en donnant des
noms aux animaux ». N’était-ce pas aller un cran trop loin. Était-ce nécessaire ? Vous l’auriez fait ? «
Disons ceci : Heureusement qu’il y avait le gros lion avec sa dent de
travers pour que le public le reconnaisse, qu’il y avait la femelle qui
était un peu rachitique et très reconnaissable et ainsi de suite… parce
que sinon, c’est très difficile pour quelqu’un de non initié de
continuer à suivre une histoire, en l’occurrence ici, celle du
développement d’une famille de guépards ou de léopards… sans être
perturbés et en reconnaissant les intervenants à chaque plan ». C’était en fait pour la facilité de la compréhension du grand public ? « Oui !
Et là, je ne donne pas tort au niveau éthique, parce que l’on parle là
de cinéma grand public, de grand écran, de grande diffusion populaire…
Ce n’est pas comme un documentaire qui se retrouve dans une case
« nature ». Ici, c’est un film qui se retrouve dans une case « cinéma
grand public ». Et donc là, je ne lui ai pas donné tort ». Mais vous, vous auriez un peu plus de mal à le faire, personnellement ?
« Je m’y adapterais peut-être à supposer qu’un jour, Disney me demande
de travailler avec Richard Attenbourough et qu’on me demande d’écrire
une histoire comme ça. Tout ça pour dire que j’ai des principes
éthiques, mais qui ont une souplesse d’adaptation en fonction de ce qui
se présente tant que je ne renie pas des choses qui sont
fondamentales, du genre : réécrire des choses fausses pour pouvoir
simplement faire du spectacle, provoquer des situations dangereuses pour
l’homme ou pour l’animal au moment du tournage, pour créer la scène qui
va marquer le coup… On a reproché des choses comme celles-là à Frédéric Rossif, au commandant Cousteau, à ceux qui ont fait du grand spectacle.
« Oui, mais d’un autre côté, ces gens-là au détriment de certains
individus animaux et de certaines remises en scènes, ont quand même joué
un rôle extrêmement positif de sensibilisation. Donc, on ne peut pas
leur donner tout à fait tort ».
La question éthique est tout de même centrale quand on conçoit
son projet ? C’est même un peu ce positionnement qui définit l’esprit
d’un documentaire, d’une émission ou de toute une série ? « Partons de nouveau d’un exemple : entre « Ushuaïa » et « Ushuaïa Nature », il y a eu « Opération Okavango »,
que Nicolas Hulot a pourtant arrêté après quelques émissions.
Volontairement ! Alors qu’il avait des budgets pas possibles… mais parce
que le montage était fait de telle manière que ça devenait une mise en
spectacle des populations chez qui il se rendait, et qu’il ne pouvait
souscrire à cette posture éditoriale ».
« Rendez-vous en terre inconnue », c’est un autre bon exemple, car il y a tout un repérage et une charte de tournage. « En
effet, Frédéric Lopez et son équipe ne débarquent pas comme ça non
plus ! Il y a un choix d’invités par rapport à des hôtes, les hôtes
sont également choisis. Ils sont mis au courant, reconstituent
vraisemblablement un peu la vérité de ce que l’on a envie de mettre en
scène, mais ne peuvent pas tricher sur ce point là ! La seule chose
c’est qu’ils doivent accepter de faire entrer dans leur quotidien deux
caméras, un réalisateur et une équipe de tournage avec un invité. Mais
voilà une émission qui, pour moi, est un peu à la frontière entre
l’éthique et le spectacle. C’est une émission que j’aime beaucoup, dans
laquelle il y a une vraie émotion, chez l’invité, chez ses hôtes et y
compris chez le spectateur… mais elle est honnête ». Mais c’est comme dans tout : la nature est bien mieux si on la protège des hommes ? « Oui,
mais la nature ne peut pas rester ainsi vierge, parce que les hommes
sont sur terre et qu’il n’y a pas de raison de laisser la nature aux
seuls naturalistes et aux scientifiques. Tout le monde a le droit d’en
profiter, mais intelligemment. Pareil pour les échanges entre les
populations… les distances se sont raccourcies, les cultures se sont
interpénétrées, il y a plus d’intérêt qu’auparavant au sein du public
qui reste malgré tout, cela dit, toujours un peu voyeur ».
La nature, terrain de « je » vidéo
Cela explique peut-être alors le développement de la production
documentaire amateure qui fait l’objet aujourd’hui d’un Festival dont
vous vous occupez aussi. Peut-on s’improviser cinéaste naturaliste ou
animalier ? Cela réclame-t-il une formation ? Est-ce cela que vous
proposez en mettant sur pied une « Nature Vidéo Académie », en
collaboration avec la Médiathèque de la Fédération Wallonie Bruxelles ?
« L’idée, c’est de pouvoir être au départ d’une vocation de gens qui
ont envie de faire des choses mais qui ne savent pas comment s’y
prendre. Soit ces gens ont déjà dans leur entourage un contact
particulier avec un réalisateur, une personne qui sait manipuler une
caméra, soit on crée ce petit pôle d’éducation… Mais il ne faudrait
pourtant pas niveler la créativité d’un festival comme celui-là, car la
force d’un festival comme celui du Film Nature de Namur, un festival
amateur rappelons-le, c’est de créer des genres qui n’existent pas parce
qu’ils sont complètement anti-académiques et que ça donne une force
créative et une liberté de création totale. Ce type de festival-là
révèle aussi des gens qui, au départ, arrivent avec une nature, mais
qu’ils n’ont pas encore réussi à bien la canaliser. Or, il y a quand
même un minimum de savoir-faire du maniement d’une caméra aussi petite
soit-elle, d’un banc de montage, d’un commentaire, d’une musique, d’un
mixage et d’un équilibre général où l’on raconte une scénario… même s’il
s’agit d’une petite histoire qui fait 5 minutes. Je pense qu’il y a les
deux, celui qui a envie d’aller plus loin dans une formation de
laquelle il tirera ce qu’il a envie de tirer, qui rejettera des choses
qu’il aura envie de rejeter… car il ne faudrait pas non plus que la
Nature Vidéo Académie devienne, disons, le fil conducteur lissant de
toutes les réalisations qui devraient rentrer dans un moule où tout le
monde se ressemblerait. Ca, c’est un petit peu le danger. Il ne faudrait
pas que tous ceux qui sortent brillamment de la Nature Vidéo Académie
deviennent les mètres étalon de ce qu’il faut faire pour pouvoir être
programmés au Festival du Film Nature de Namur ».
Panorama de la Nature à la RTBf
Interrogé sur la ligne éditoriale « Nature » développée par
la RTBf, la chaîne belge francophone de service public, Philippe Soreil
fait le tour des programmes et en fait l’analyse avec nous. Son
diagnostic : une variété d’approches qui ouvre bien le champ des
possibles et rencontre, dès lors, une diversité de publics et
d’attentes.
« Il y a d’abord la programmation de « films documentaires »
magnifiques, qui sont généralement diffusés le dimanche après midi et
qui proviennent des grandes sociétés de productions de documentaires ».
On touche là le public familial, notamment par le fait que l’on diffuse
le we, à une heure de grande écoute… C’est sans doute aussi le même
public qui est devant sa télé pour assister au « Jardin extraordinaire ». « Oui,
et cette émission qui ne se démode pas, conserve un côté militant, tout
en restant plus ouverte que ce ne fut le cas à une certaine époque, sur
la diversité des choses : le discours s’est un peu ouvert, on ose
rentrer dans des sujets qui sont un peu plus sensibles. Le « jardin
extraordinaire » a, selon moi, une place… et une place indéfectible qui
caractérise aussi la RTBf à travers cette émission-là ». Bien que
programme de délassement, on est proche du service « Education » avec ce
« Jardin extraordinaire ». C’est autre chose avec les « Carnets du bourlingueur », qui passent aussi en prime time ? « Là,
on est dans la nature, mais on se sert davantage de la nature comme
d’un élément de base pour faire un spectacle amusant, interpellant. Hier
encore, mon ami Philippe Lambillon montrait comment préparer des
crapauds farcis, si on se retrouve perdu au milieu de la brousse. C’est
pas Mr. Tout-le-monde qui va prendre note… mais c’est amusant ! Et puis,
à côté de cela, il y a des reportages qui sont des reportages forts, en
dehors du côté « gagman » de Philippe Lambillon, qui n’est pas que
cela, car il est aussi convaincu de ce qu’il peut apporter… ». « La clé des champs »
votre émission, fait la part belle à tout ce que nous avons autour de
nous en dehors de villes. Relevant du genre « média de proximité », elle
toucherait plutôt un public de niche ? « Cette émission, développe
essentiellement les thèmes ruralité, campagne, produits de terroir et
loisirs liés à la campagne quoiqu’on va aussi dans les villes parfois
(on a visité Liège, Namur, Charleroi…), mais c’est pas la ligne
éditoriale majeure de l’émission. C’est le mot « campagne » plus que
celui de « ruralité » qui englobe le plus ce qui caractérise cette
émission ». Parlant de loisirs, il y a « Jardins et loisirs »
de Luc Noël et de son alter ego Marc Knaepen. Paysans et jardiniers,
c’est le public de ceux qui travaillent la nature plus qu’ils ne la
regardent, et qui vivent à son rythme ? « Là, on est avec un Monsieur qui est un vrai pro, formé, qui a présenté « Objectif terre »
il y a de nombreuses années… Voilà une émission un peu plus militante,
une sorte d’ « Ushuaïa Nature » avant la lettre. Luc Noël, vraiment
compétent dans son domaine, ce que je ne suis pas moi, je ne suis pas un
spécialiste du monde agricole, je suis sensible au monde agricole… lui
est un spécialiste des jardins. Et qui se fait aussi entourer de
conseillers, comme tout le monde dans ce métier. Lui aussi, il a sa
place ». Et Guy Lemaire ? « Avec « Télé tourisme »,
on est un peu plus dans le patrimoine, dans le tourisme, dans le
folklore, dans la culture… mais tout cela se marie très bien et comprend
une dimension nature, en effet . Et puis il y avait aussi « Planète Nature »,
une émission un peu plus militante et thématique, faite de reportages
pour, non pas dénoncer, mais pour tout de même s’attaquer à certains
grands problèmes à l’échelle plus macro . Enfin, des émissions comme « Nord-Sud » (anciennement appelée « Dunia » ?),
où l’on pense globalement et où l’on gère localement… c’est aussi pour
moi quelque chose de très important dans cette programmation
diversifiée. Chercher à comprendre ce que nous faisons ici en se mettant
en perspective avec tout ce qui existe dans le monde : donner à voir à
la fois nos problèmes à nous en les mettant en balance avec les vrais
soucis de ceux qui ont des… vrais soucis ! » |
Michel Berhin
Média Animation
Novembre 2012