« Voulez-voooouuuus…. jouer ? (1) »
Excitant de « Gagner des millions », de risquer une voiture contre une brosse à dents au « Bigdil ». Etre « Seul contre tous », « Le maillon fort », promu « Star ce soir » après avoir affronté les « Questions pour un champion ». Ils sont nombreux les téléspectateurs qui disent « C’est mon choix », « Ce soir, je passe à la télé ».
On considère généralement que « regarder la télévision » est un acte passif, à sens unique. Or, il faut reconnaître que le concept télévisuel a évolué, depuis ses débuts, notamment, parce que des sociétés de production ont imaginé une autre interaction avec le spectateur. Certes, la télévision est avant tout un massmédia de communication de contenus à destination de publics variés. Son mode de fonctionnement lui fait concevoir la production ou l’achat d’une série de programmes qu’elle fournit à ses auditeurs, selon une grille savamment établie de sorte que les horaires de l’offre et de la demande coïncident. Audimétrie oblige !
Mais on s’est imaginé que le spectateur passif, pouvait aussi devenir acteur à part entière, de chez lui ou mieux encore, en studio. Devenir la chose regardée et non plus le simple spectateur. En télé, les jeux télévisés sont un des créneaux les plus porteurs. Rien ne remplace dans l’intérêt du spectateur, la recherche d’un autre soi-même dont il peut rire ou auquel il peut se mesurer. Rien ne mobilise autant l’audimat que la mise en compétition, l’appât du gain (fut-il symbolique) et la recherche des honneurs par la médiatisation cathodique.
Car il ne faut pas être dupe, dans ce petit jeu, tout est encore question d’audimétrie. La loi du marché est bien là : produire des programmes qui attirent, pour justifier la présence massive d’un public auprès des annonceurs d’espaces publicitaires, lesquels fourniront la manne nécessaire au bon fonctionnement de l’outil télévisuel qui ne peut se contenter des subventions des pouvoirs publics.
Mais pourquoi donc les jeux télé marchent-ils si bien ? Les raisons sont de deux ordres. Côté production, on a affaire à un style d’émission peu coûteux puisqu’il n’y a pas de gros frais. Pour faire bref : pas de cachets de vedettes de fiction ou de variété. De ce fait, la production d’une heure de jeu télévisuel coûte dix à quinze fois moins qu’une heure de fiction, six fois moins qu’une émission de variété, quatre fois moins qu’un JT., trois fois moins qu’un magazine. Et puis côté spectateur, il y a cet engouement inaltérable… « Pour la gloire », fut-elle d’un soir, avec le risque de paraître « Le maillon faible » et de subir le discrédit du « One point ».
Les producteurs ont bien saisi ce qui en fait l’attrait : le jeu est une des activités compulsives de l’homme. On y touche, on se brûle, on ne sait plus s’en défaire. Si, en plus, la réussite tient au hasard, donne l’impression que n’importe qui peut s’y risquer, que les règles établies ne portent pas nécessairement les plus intelligents en finale, mais les plus stratèges, fut-ce par le détour de la mauvaise foi…(2) et ce, pour gagner des cadeaux plantureux, en regard de l’effort consenti… alors tous les ingrédients sont réunis pour que cela soit un succès. Ne soyons, malgré tout, pas totalement négatif : il y a des programmes sympathiques où l’on mise sur la complicité intergénérationnelle (« Esprit de famille »), la complémentarité des genres (« La tête et les jambes»), l’interculturalité (« Jeux sans frontières »), la générosité ( « Fort Boyard » par exemple, quand des célébrités s’essayent aux épreuves et que les gains sont versés à des associations caricatives)…
Mais reconnaissons que l’évolution a plutôt tendance à filer vers des pratiques plus contestables. Le « Maillon faible » fait la promotion du croc en jambe à des concurrents présentés faussement comme des co-équipiers. « Fear factor » exploite le glauque sensationnaliste, « Ko-Lantha » et autres « Star Academy » misent sur le voyeurisme du spectateur et l’ambiguïté d’un apparent direct permanent, alors que l’émission est méticuleusement construite, sur base de scénarios pour lesquels les acteurs ont subi un véritable casting. Il arrive même que les très honnêtes « Génies en herbes » se plaignent de la manière dont les émissions se déroulent, pour un point donné ou repris. C’est que les enjeux sont parfois tellement démesurés que les ébats n’en sont plus ludiques. Qui se joue alors de qui ? Identifions-nous toujours « Le juste prix » à payer pour s’amuser à la télé ? Saurons-nous garder raison dans cet univers médiatique, ou suivrons–nous docilement l’ordre du chauffeur de salle quand il affiche son carton « Applaudissez » ?
(1) Dans les années ’80, la RTB a produit, sur un scénario d’André-Paul Duchâteau, une émission présentée par André Deguelle et Jacques Careuil, mettant en compétition des couples. Les vainqueurs se voyaient renouveler l’ensemble de leur parc électro-ménager. Le public, lui, était gratifié à chaque émission, d’un cadeau de l’office régional des produits agricoles et horticoles : des choux-fleurs, des carottes, un panier garni. Merci à l’Orpah et au fournisseur d’appareils électro-ménager, principaux bailleurs de fonds.
(2) Laurence Boccolini est formelle, dans son émisssion, « Pour gagner, il faut faire des erreurs ».