Pédagogie scolaire et pédagogie des OJ
Confier sur un CV que l’on a été animateur en mouvement de jeunesse ou en OJ est un atout qui vous ouvre des portes, notamment quand vous postulez dans l’enseignement. On s’attend en effet à ce que vous développiez plus aisément que d’autres, peut-être, des qualités de leader, un sens du groupe et des responsabilités. Un certain feeling et une forte dose de pédagogie. Mais, serez-vous prof-animateur ou chef-enseignant ?
Lord Baden Powell, paraît-il, n’aurait jamais été bon élève. Il aurait même raté son examen d’entrée à l’université. Mais lors du concours qui lui ouvre les portes de l’armée, il se classe deuxième. Il ne manquait donc pas de capacités ! Quand il fonde le scoutisme, c’est parce qu’il est convaincu que faire confiance à un ado dynamise sa capacité pour mener à bien une mission. C’est loin des principes guerriers qu’il va travailler à l’éveil du jeune en mettant au point une pédagogie encore bien populaire, cent ans plus tard. On est loin de l’armée, on n’est pas pour autant dans le monde scolaire. Et pourtant, le scoutisme, les OJ, c’est une fameuse « école de vie » ! La confiance, le partage des responsabilités, la vie d’équipe, le sens commun… tout converge vers l’édification. Même si, dans ces activités ludiques de we, la nature des rapports entre animateurs et jeunes est d’abord toute concentrée sur le jeu au grand air. Tout l’opposé, diront certains, de la vie en classe : milieu de la compétition, de la sélection et donc de la réussite personnelle… ou de l’échec. Lieu d’austérité aussi : horaires stricts, espaces fermés, manuels… « scolaires », processus d’évaluation certificative, redoublement… Pfuuuttt ! Vive le temps des vacances, le temps des camps d’été.
Et pourtant, il n’y a peut-être pas si grande différence entre ces deux milieux par lesquels, d’ailleurs, le jeune transite de façon simultanée et qui, chacun avec leur spécificité, concourent à la tâche d’éduquer. C’est une vision un peu caricaturale qui ferait peut-être croire que la vie des sections des OJ, n’est faite que de farniente, de délassement et que, par contre, le monde scolaire ne serait que laborieux et amer. C’est oublier que ces deux univers ne fonctionnent pas en vase clos. Ce sont les mêmes jeunes qui y vivent et parfois aussi, d’anciens animateurs qui ont charge d’enseigner. Les psycho-pédagogues, formateurs des futurs enseignants, n’ignorent pas non plus tout l’intérêt des options pédagogiques développées dans le cadre non scolaire, et s’y intéressent. L’école n’est pas le seul lieu d’éducation, loin s’en faut. La famille en est le creuset initial. Les organismes de jeunesse y collaborent grandement. Les médias aussi, qui sont aujourd’hui un vecteur important de la création des représentations chez les jeunes. C’est donc l’assistance concertée de beaucoup d’intervenants qui pourra faire du jeune, une femme ou un homme debout. Ou qui manquera sa mission.
OJ versus école
Y a-t-il une spécificité absolue qui répartisse les bons plans pédagogiques selon les intervenants ? Une pédagogie propre à la famille, au sein des rapports filiaux ou de la fratrie. Une méthodologie scolaire travaillant à la fois le cursus personnel et l’épanouissement du groupe-classe ? Et une dynamique des mouvements de jeunesse qui développe une autre partie encore de l’individu, plus ludique, plus tournée vers la nature… ? Sans doute, la réponse est-elle à chercher dans l’individu qui bénéficie de ces accompagnements cumulés. C’est en effet, une alchimie mystérieuse qui s’opère, quand le jeune ado tente la synthèse, toujours personnelle, des interactions qu’il noue avec son entourage. Pas de panacée qui garantisse le résultat. Tout juste peut-on espérer que tous collaborent à la même œuvre en tirant la corde du même côté. Même si, on le sait (et ce n’est pourtant pas dramatique), ce n’est pas toujours le cas.
N’est-ce pas plutôt dans la reconnaissance du caractère éducatif de certains comportements ou de certaines valeurs qu’il y a lieu de se retrouver ? Que l’on soit parent, enseignant ou animateur. N’y aurait-il pas une base sur laquelle les trois milieux éducatifs auraient tout intérêt à s’appuyer de commun accord. Le sens de l’effort, clameront certains. Bien sûr ! Mais le droit à l’erreur aussi, et tout autant, quand on apprend ! Le travail personnel. Certainement ! Si on y ajoute aussitôt le sens du partage, de la communauté et de la solidarité. La rigueur. C’est bien vrai ! Importante, elle ne doit pourtant pas empêcher une certaine spontanéité, un tâtonnement intuitif… La transmission d’une culture générale solide. Sans aucun doute ! A condition qu’elle n’obère pas la créativité qui ouvre des pistes non encore explorées. Des savoirs scientifiques et techniques efficaces ! Très bien, quand ils trouvent place à côté de sensibilités humaniste et artistique qui peuvent, elles aussi, s’exprimer. La gratitude envers les anciens. Là aussi, une vérité fondée ! Que l’on conjuguera habilement avec l’audace d’une personnalité affirmée.
« Mais c’est vous qui êtes occupés à reproduire la dichotomie caricaturale qui séparerait les transmetteurs de connaissances et les constructeurs de savoirs ? » me direz-vous peut-être. Loin de moi, cette idée ! Car on le constate régulièrement sur le terrain de l’animation, de l’enseignement, ou celui des familles : il y a partout des tenants de la rigidité et des adeptes de la souplesse. Sans doute est-ce là ce qui fait le démarcage entre deux attitudes, quand elles se présentent en principe suprême. Quelles que soient les méthodes pédagogiques choisies alors, pour les premiers, il s’agit de rentrer dans un moule qui a fait ses preuves, de souscrire à des théories qui ont permis de fonctionner de longue date, de prolonger un mouvement qui a convenu à une majorité sans qu’il faille aujourd’hui le remettre en question. A ceux-là, le slogan « Grandir, c’est muter » fait peur !
Et puis, il y a sans doute aussi les autres qui, presque par principe, remettent en cause l’ordre établi, échafaudent des théories nouvelles sous prétexte d’originalité ou qui prennent un malin plaisir à déstabiliser ceux qui ont besoin de repères pour continuer de s’orienter. A les entendre, rien ne sera jamais vrai, il faudrait douter de tout ! Ils n’ont sans doute raison, ni les uns, ni les autres. Car on court sur deux pieds, inévitablement. Et si l’on veut filer droit, on fait malgré tout, qu’on le veuille ou non, un pas à gauche et un pas à droite.
Pédagogie toujours différentiée
En pédagogie, on le constate tous les jours : pour faire acquérir des apprentissages variés à des enfants différents il faut faire feu de tous bois. Etre un jour magistral et asseoir des principes solides. Le lendemain, proposer un défi et laisser s’égarer le temps nécessaire à l’expérimentation. D’autres fois, appeler à la rescousse le témoin qui illustrera de son expérience un cas d’école à transformer ensuite en hypothèse plus générale, encore à vérifier. Travailler parfois la mémorisation au point d’en faire un exercice ludique mais efficace et laisser s’approprier d’autres contenus dans un formulation personnelle, plus souple et créative. Des différences encore ? A l’un, il faudra énoncer, puis répéter et encore paraphraser ce que l’autre aura compris dès le début de votre prise de parole. Pour certains, la concentration au travail sera de courte durée, sans que pour autant il manque de perspicacité. Pour d’autres, il ne sera même pas question de se mettre au travail aujourd’hui, car le cœur a ses raisons que la raison ignore. Avec eux, c’est par là qu’il va falloir commencer. Et, en disant cela, je pense aux élèves, mais j’élargis à la fratrie, tant il est vrai que, dans une famille, des enfants peuvent être si différents. Aîné, second, cadet… des places, mais aussi des rôles et des personnalités diversement interprétées selon les individus.
La même diversité se retrouve dans les OJ, au moment de proposer un grand jeu nature ou une soirée casino. L’animateur n’est pas exempté de réussir un « pieds au mur », parfois, pour emmener à sa suite tout le groupe. Enfin la grosse majorité, car il y a aussi les irréductibles. C’est le défi de tout éducateur, qu’il soit parent, enseignant ou animateur. Et l’ère des médias qui a appris aux petits comme aux grands à zapper aussi sec, n’a pas diminué le stress. « Il n’y a pas d’école pour être parents », dit-on souvent. Alors que, pourtant, on enseigne le métier de prof et que l’ICC forme des animateurs. Mais souvent, on reconnaît, en élargissant le constat à l’ensemble du secteur non marchand, que c’est plutôt de « vocation » dont il faudrait parler. Peut-être est-ce pour cela que les CV se trouvent tout ragaillardis de votre expérience d’animateur en OJ, au moment de postuler pour un emploi.
Est-ce dire qu’en éducation tout est, et uniquement, affaire de feeling ? Certes non ! Admettons cependant que l’incorporation au groupe (la famille nombreuse, la classe, la troupe ou le patro) et la confrontation à ses lois internes activent les processus d’autonomisation, de responsabilisation, de dépassement de soi, et l’acquisition d’un sens commun qui performent la recherche d’équilibre. Pour être femme ou homme debout, bien dans ses souliers, bien dans ses rapports avec les autres. Pour trouver sa place au monde et y apporter sa contribution constructive. Scout toujours, prêt.