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On ne s improvise pas communicateur


Le métier, ça s’apprend

Avis de pros (interview)

Un nouveau concept est né ces dernières années que l’on nomme « les NTIC, les nouvelles technologies de l’information et de la communication ». Plusieurs observateurs se posent la question de savoir si « plus de technologie » engendre nécessairement « plus de communication ». Nous donnerons ici la parole à un panel de spécialistes des médias. Non pas ceux-là issus du monde universitaire qui développent leur analyse par ailleurs dans des ouvrages spécialisés, mais bien des praticiens de terrain, par ailleurs formateurs ou enseignants dotés donc, d’une riche expérience professionnelle.

Le panel se compose de Laurence Garot (LG), assistance sociale de formation, journaliste à Canal Zoom Gembloux, Christine Masuy (CM), ex assistante Comu-UCL, ancienne présentatrice de Fac Télé (FUNDP-Namur) et journaliste indépendante de la presse magazine, Michel Castaigne (MC) réalisateur à Canal Zoom Gembloux, Paul Wattecamps (PW), producteur et présentateur à Fac Télé (FUNDP-Namur), Baudouin Lénelle (BL) Directeur de Canal C – Namur et Bruno Arnold (BA), Photographe de presse indépendant, fondateur de ASAPPIctures collectif de photographes de presse et enseignant .

Ligne éditoriale cadre

Faisant le lien avec l’émergence des blogs, chacun était invité à exprimer si son orientation professionnelle est en lien avec un besoin personnel de communiquer, de se dire. A des degrés divers, ces personnalités de la communication sont des femmes et des hommes de lettres, d’images ou de paroles, mais ils situent d’emblée le cadre de leur profession comme une limitation certaine à un épanchement incontrôlé. Christine Masuy : «  Je crois n’avoir jamais eu l’envie ou le besoin de m’exprimer, dans le sens d’exprimer mon opinion, d’exprimer mes émotions. Cà n’a jamais été mon cas. Je ne me suis jamais dit que je ferais du journalisme pour être au centre de mes reportages. Maintenant, c’est vrai que j’avais un besoin plutôt d’exprimer des choses dont j’avais eu connaissance. De les rendre intelligibles. C’est vrai, j’ai toujours aimé synthétiser, raconter… Rapporter au sens le plus large du terme. Et ça, c’est un peu la vision que j’ai de ce métier. Mais ce n’est pas alors de l’expression personnelle, dans le sens où l’article va rapporter mon avis personnel… »

Paul Wattecamps : «  Je suis né en 1958. C’est banal, mais c’est important. Je démarre à cette époque, comme tout élève dans la culture de l’écrit, mais la télévision est là qui va se révéler le déclencheur de ce que j’aimerai faire plus tard.. Mes parents, pas plus riches que les autres, ont le premier téléviseur à la campagne et on reçoit des voisins à la maison pour visionner ensemble des émissions. Chez moi, cela a réveillé la passion, le dynamisme, le rêve… Inscrire ma vie, mes études, ma profession à côté de Thierry La Fronde, Bonhommet et Tilapin, Plume-plume… et d’autres par la suite, cela me semblait possible… Est-ce que je n’allais pas prolonger là un rêve d’enfant ? Sans doute ! »

Bruno Arnold : « Dans mon cas, oui…une façon de m’inscrire dans la société, d’être acteur, de ne pas être passif. J’ai toujours été comme ça : désireux que ma personne soit entendue, que je ne sois pas considéré comme un mouton, comme un numéro. La photographie, c’est une autre façon d’écrire… avec la lumière. En fait, je voulais être photographe de guerre et je voulais témoigner. D’une certaine façon, j’aspire toujours à ce rêve-là,  même si ma pratique du métier et le fait de vieillir et de voir d’autres choses, font que je ne suis peut-être plus tellement sûr que ce soit le bon moyen d’arrêter les guerres. »

Michel Castaigne :  « Il y a parmi nous, à la rédaction, des gens qui ont envie de faire des produits qui répondent à leurs aspirations, de pouvoir investiguer dans un domaine qui les intéresse plus particulièrement, sous une forme ou un mode d’expression qui leur permettent de créer, d’imaginer, en fonction de sons, d’images…Quelque chose qui ressemble à ce qu’on a envie de faire. Mais dans une structure comme la nôtre, qui sommes organe d’information, on reste tout de même tenu à des critères de déontologie journalistique… Pas question de faire passer des messages personnels, par exemple. »

Baudouin Lenelle :  « Nous sommes en fait des professionnels de la diffusion de l’information, nous ne faisons finalement que peu de communication. Le principe de base, c’est que l’on représente les lecteurs ou les auditeurs et que l’on pose les questions et on apporte les réponses pour les auditeurs ou les spectateurs. Le rôle du journaliste, c’est de repérer tout ce qui vit, tout ce qui bouge et permettre à son public de comprendre le monde dans lequel il vit. C’est pour cela qu’on fait ce boulot. Ce qui n’empêche pas qu’une partie de ceux qui font le métier de journaliste le font pour répondre à une besoin personnel d’expression ! En faisant cela, ils sont vus, ils sont entendus, mis en avant… Ce n’est pas loin de l’attitude du blogueur… Mais toute proportion gardée, car l’expression journalistique ne se fait pas sur des choses personnelles,  comme bien souvent c’est le cas pour le blog… Notre métier de base, ce n’est pas de communiquer, mais de vendre de l’information. Journalisme et communication, ce sont des métiers très différents… »

Un travail d’équipe

Laurence Garot aime rappeler la dimension collective du métier de journaliste et préciser combien cet exercice de la communication est un art travaillé, fruit d’un long processus de concertation entre les différents acteurs de la production.

 « En dehors du contact humain qui, bien sûr, m’a toujours attirée, il y a dans le travail d’une télé locale une dimension de travail communautaire qui m’attirait : la proximité avec les gens aussi : pouvoir mettre en avant des dynamiques… pourvoir être en contact. 

Dans le cadre d’un appel à projet de la fondation Roi Baudouin, on a eu l’opportunité de créer une petite équipe au sein des émissions « Profil », avec toute une réflexion préalable, sur la manière d’organiser cette participation effective du citoyen, à la constitution de l’émission. La dimension participative devait se retrouver à un maximum de niveaux. Rassembler autour de la table, des gens qui ont un point commun et voir, avec l’expérience personnelle de chacun, comment on peut arriver à construire une émission qui va en intéresser d’autres. Dépasser donc aussi simplement le témoignage, pour avoir une réflexion plus générale sur le message à faire passer, sur la manière de le faire passer et l’intérêt pour l’autre. Il y a là vraiment une démarche de longue haleine. C’est un travail conséquent pour lequel les gens se passionnent très rapidement, car si cela n’est pas naturel, c’est ça qui est intéressant dans le métier qu’ils approchent. »

On l’aura compris, le journaliste est là pour ouvrir la perception du vécu, pour rejoindre un public, pour élargir le sens et certainement pas pour focaliser sur un nombril, pour apitoyer, pour espérer en retour des commentaires laudatifs comme, il faut en convenir, en attendent prioritairement les auteurs de blogs.

L’importance du public-cible

Malgré cette différence notoire entre bloggueur et communicateur de métier, il y a chez l’un comme chez l’autre, cette envie d’être lu.

Christine Masuy :  « La volonté d’être lu, ça c’est évident. Je prendrai pour l’illustrer un exemple tout à fait marginal mais révélateur. Il m’arrive, une fois par an ou une fois tous les deux ans, qu’un de mes articles, commandé, terminé, envoyé et payé ne soit pas publié pour des raisons x, y z . Ce n’est donc pas un problème de finance, puisque j’en ai été payée ! Eh bien, je suis fâchée. A partir du moment où il n’est pas publié, moi, ça m’énerve. Comme si cela n’avait servi à rien ! Comme si ma démarche n’était pas de gagner ma vie, mais vraiment d’être lue. C’est vrai aussi que, quand je suis devant mon écran d’ordinateur, et selon le journal pour lequel j’écris, j’ai le lecteur ou la lectrice à l’esprit… Parce qu’une lectrice de « Flair » n’est pas une lectrice de « Plus magazine » et que clairement, on ne peut pas lui dire la même chose. Elle n’a pas les mêmes connaissances, le même monde culturel…  Donc c’est vrai que le lecteur, la lectrice est toujours présent à l’esprit… même s’il y a tout de même comme une espèce d’abstraction.  Restons sérieux ! »

Cet investissement viscéral des professionnels, on le retrouve partagé par le grand public aujourd’hui. Est-ce une généralisation du phénomène de télé-réalité, toujours est-il qu’ils sont de plus en plus nombreux, ceux qui veulent « passer dans les médias ».

Christine Masuy toujours : « Souvent les gens disent :  « Je veux témoigner pour aider les autres ». C’est le grand classique… : « Pour que mon expérience n’arrive plus à d’autres… «  C’est toujours par rapport à d’autres, c’est donc aussi de l’ordre de la reconnaissance, être lu et entendu, là aussi … Et c’est une part de ces gens-là que l’on retrouve sur internet, des gens qui ont d’une part été confrontés à la maladie et qui veulent en témoigner… Généralement, ce sont des épreuves de la vie dont ils sont sortis grandis et ils ont l’impression qu’ils en ont tiré une expérience qui pourraient être utile à autrui : leur éviter de se retrouver aussi démuni qu’eux face à telle ou telle situation. Dans la presse féminine, on nous propose des tas de témoignages de cet ordre. Ces gens se retrouvent donc maintenant sur Internet. Outre le besoin d’aider les autres, il ont d’abord un énorme besoin de vider leur sac… Alors oui, on peut écrire toute sa vie sur Internet, mais qui va la lire ? On a certes vidé son sac, mais a-t-on communiqué pour autant !? S’il n’y a pas l’établissement d’une relation, la naissance d’une interactivité, il n’y a pas de communication. Autant parler à son canari ! Ou parler seul ! Si on n’est pas publié, c’est comme un tas de personnes âgées qui ont un manuscrit… Le manuscrit de toute leur vie… enfermé dans un tiroir…C’est pas de la communication ! Cela le deviendra peut-être un jour, si quelqu’un les lit… On peut rêver ! Effectivement, la personne qui met des choses sur Internet, elle a l’impression peut-être de communiquer avec le monde entier… mais avec qui communique-t-elle réellement ? »

Pour notre journaliste, la pratique est trop souvent consensuelle : « Effectivement, c’est très souvent : « Je te comprends, je suis avec toi… ». Et cela se limite souvent à cela ! Ce n’est pas de la vraie communication, ça ! Si, à la fin de son exposé, on applaudit un conférencier, c’est du même ordre… on affirme par là qu’on est d’accord, certes… Mais c’est pas de la communication. En fait, quelqu’un est venu transmettre un savoir et puis de l’autre côté… Avec le conférencier pourtant, c’est un savoir qui est exprimé. Sur Internet, c’est l’intimité de quelqu’un qui est mise en pâture par l’auteur, volontairement… C’est sa responsabilité, mais qu’est-ce que cela apporte à celui qui va le lire ? Sauf, il est vrai, certains cas particuliers où le blog tourne autour de quelque chose d’extrêmement précis : une maladie, un problème de vie particulier… Sinon, qu’est-ce que cela apporte de lire au quotidien la vie de truc-machin… »

Un média qui se cherche

Paul Wattecamps nuance un peu en admettant que ce nouveau contexte de communication médiatique grand public est une opportunité intéressante à observer: « Les jeunes d’aujourd’hui ont 30 chaînes de télévision devant eux, ils ont en plus la possibilité de faire de la photographie alors que, pour nous, cela relevait d’une économie de plusieurs années, voire du cadeau exceptionnel. Ils auront aussi la possibilité de faire de la vidéo alors qu’à notre époque, cela relevait probablement d’une première année de vie professionnelle. Ils ont la possibilité de s’épancher sur le Net, d’y consommer, quand et où ils veulent, ils ont la possibilité d’utiliser un GSM sans demander l’autorisation pour chaque appel… Moi, je n’avais pas tout cela. (…) Dans ce chaos, je constate, notamment à travers l’usage d’un MSN fort prisé par nos ados… que l’on a affaire aussi à la création d’un langage nouveau. Je reste prudent, je m’y intéresse… Il y a, me semble-t-il, la création d’un langage qui intègre du dicton, de la morale, du code… et il est donc encore un peu tôt pour y voir clair ! »

Baudouin Lenelle s’exprime aussi sur ce sujet : « La jeune fille qui fait son blog, par définition, elle ne sait pas qui va le lire. Mais c’est aussi comme ça qu’elle se fait des copains. Elle a une quinzaine de visiteurs réguliers son blog qui ont, eux-mêmes, fait des blogs et ils se sont créés vraiment des réseaux de relations qu’on se faisait avant autrement, en allant à la messe, en étant dans un mouvement de jeunesse, dans un club de tennis de table… Maintenant, on se fait des relations en rédigeant un blog et en partageant des idées. Naissent comme ça, des communautés d’idées et de pensées… J’observe cela avec beaucoup d’intérêt parce que je suis personnellement passionné par l’évolution des rapports humains et par l’utilisation que l’on fait davantage du temps libre, que l’on a à notre disposition et par l’équilibre que l’on tente toujours de trouver entre le professionnel, le privé , le personnel, le familial… ».

Des repères à construire

Bruno Arnold aussi est positif, mais il déplore tout de même l’absence de repères : « Les nouvelles technologies ont quelque chose de positif, parce qu’elles permettent à un plus grand nombre de faire des choses qui étaient limitées à un groupe « élitiste » ou limité. Ca, c’est positif. Maintenant, le problème, c’est qu’il n’y a plus de canevas. Et donc, cette liberté fait que les choses partent parfois un peu dans tous les sens… Cela a le mérite de remuer un peu les pratiques ! Mais, si cela part trop dans tous les sens, il n’y a plus de message compréhensible, il n’y a plus de lisibilité du récit. Le gros problème de cet afflux de technologie et de nouveaux locuteurs, c’est qu’il n’y a plus de guide, de référence ! Et donc, on se retrouve avec des sites où il y a beaucoup de contenu, mais 50 fois trop de photos. C’est donc qu’on n’a pas fait le travail nécessaire de sélection. Des sites où il n’y a que des photos. Des sites où il n’y a pas d’information.
Pour le spectateur, intéressé par l’info, cela devient de plus en plus difficile de faire un choix. Quand on va sur Google et qu’on cherche quelque chose, il faut vraiment être un expert pour le réussir en moins de coups possible. Tout cela, ce sont des choses qui doivent s’apprendre. Il faut des formations à l’utilisation de ce genre d’outils et de Google en particulier ! »
Il ironise un peu autour de cette prétention du grand public à communiquer vers un large public : « Tout le monde sait faire des photos avec un appareil digital !  Bon, ben, dans ce cas-là, alors, tout le monde peut être premier ministre, prof, etc. Et on peut transposer cela à tous les métiers.  Je peux m’improviser chauffagiste, le jour où on aura inventé des chaudières en kit !"

Baudouin Lenelle illustre aussi l’usage parfois désordonné que l’on fait de ces technologies qui devraient pourtant augmenter l’efficacité de la communication.
« La technologie nouvelle est là, mais l’efficacité n’est pas toujours où l’on croit… Ainsi, certains jeunes ont besoin de trois coups de téléphone pour se fixer un rendez-vous… Une fois le rendez-vous fixé, il y a encore d’autres messages échangés à la périphérie de la décision : quand on se met en route, on téléphone pour se dire « Je me suis mis en route, est-ce que toi aussi tu es prêt ? » Puis on arrive, on se téléphone et on dit « J’arrive et toi, t’en es où ? ». Et le dernier coup de fil, c’est « Je suis là et j’te vois pas, t’es où ? » -Ben… lèves les yeux, t’auras l’image en même temps que le son ! ». On a donné six coups de fil pour un rendez-vous. Et en donnant ces coups de fil, on n’a pas beaucoup écouté l’autre. Cinq des six coups de fil sont destinés uniquement à se rassurer ! Oui, je serais là, oui, tu seras là, Oui, je ne serais pas tout seul. Oui, tu m’as bien reçu ! Oui, c’est bien à tel moment ! Alors qu’un coup de fil pour dire : « Donnons-nous rendez-vous à telle heure, et on se fait confiance. Et si quand on y est, il faut attendre dix minutes, on attendra les dix minutes ».  C’est ce besoin d’être rassuré qui émerge, ce que j’appellais tout à l’heure le renforcement du cocooning. Tout le temps besoin de sentir que l’on est des gens aimés, proches,  Et la plupart des réactions des blogs, tu peux les résumer à cela ! C’est : « Je suis avec toi, on trouve que tu es génial ! »

Besoin urgent d’esprit critique

Michel Castaigne partage aussi cet avis selon lequel il faut apprendre à se détacher de l’emballage technologique pour réellement apprécier les choses : « C’est l’expression d’internet : « Vu à la télé »… Parce que c’est passé à la télé, c’est bien ! Pouvoir avoir une lecture critique de l’audiovisuel est quelque chose d’important. Je pense que, dans l‘enseignement, on devrait pouvoir apprendre à décoder l’internet et, aussi bien sûr, décoder un journal écrit… Avoir un esprit critique sur ce que l’on voit, ce que l’on entend… et qui permet de se forger une opinion.
Quand on voit la manière dont les gens font leurs films de vacances, il y en a qui ont bien compris que si l’on fait 3-4 heures de tournage, on ne les regardera pas ! Par contre, il y en a d’autres qui ont le sens du découpage et qui savent que, quand on voit que j’ouvre ma porte 3 sec., on a compris. D’autres mettront 3 min. pour filmer la scène, sans recours à l’ellipse. Sans comprendre le sens de l’image… Cela n’est pas si facilement acquis par tous les jeunes de la génération dite de l’image. Il faut avoir certaines aptitudes pour cela.
On peut être très proactif dans l’usage des médias ou être consommateur passif, se servir d’une caméra ou regarder la télévision de manière très passive. Mais l’utiliser de manière communicative, c’est tout à fait autre chose ! C’est pour cela que c’est important pour les gens de pouvoir décoder ce qu’ils voient en télévision. Voir différents JT, se rendre compte du traitement différent que l’on peut faire de la même information, savoir analyser les images aussi, puisque maintenant, on peut les manipuler, les transformer. Maîtriser le langage AV, c’est pouvoir être conscient de toutes ces choses-là aussi. Côté création, même chose : manipuler des caméras, etc, cela va vite. Le montage, c’est un travail plus lourd, plus structuré, qui nécessite plus de réflexion. Arriver à construire un produit qui soit « de communication », c’est naturellement autre chose ! »

C’est également l’avis de Bruno Arnold. Il le contextualise dans le domaine de la photo qu’il connaît bien : « Il y a des tas de gens qui regardent les choses au premier degré. Dans une photo, ils décrivent exactement ce que l’image contient, mais ils ne voient que la chose représentée, ils ne voient pas comment la chose est mise en scène, comment elle se situe dans l’espace. Ils sont focalisés sur le sujet, mais pas sur la façon dont ils vont le traiter (cadre, mise en scène…). Donc forcément, il y a un hiatus. Nous, professionnels, nous travaillons là-dessus : fond et forme (cadrage, lumière, profondeur de champ…). Mes élèves, je dois les conscientiser à tout cela. Par exemple, leur dire que quand ils photographient un bâtiment, s’ils restent au niveau du sol, la base sera plus large que le sommet ! Je travaille donc beaucoup sur le fait de leur faire dessiner leur photo quand ils ont pris leur cliché ! »

Un véritable métier

Laissons la conclusion à nos deux journalistes féminines. Christine Masuy d’abord, à propos de l’écriture de presse, et Laurence Garot ensuite, concernant le caractère très construit des supports de communication professionnels.
« Ecrire, cela reste un métier, quoiqu’on en dise. Il y a des tas de gens qui écrivent bien et puis il y en a beaucoup, beaucoup d’autres qui n’écrivent  pas bien du tout !
Et quand, comme journaliste, je reçois des courriers de gens qui veulent témoigner, ils ont souvent l’impression que l’on va publier telle quelle leur lettre…Or, c’est parfois à peine compréhensible. Donc que fait-on ? On prend tous les éléments séparés et on essaye de reconstituer le puzzle ! Il n’y a pas de raison, en effet, que parce que ces gens ont un outil technologique à leur disposition, ils soient capables tout d’un coup de bien raconter leur histoire. Si on publiait leur histoire telle qu’ils nous l’écrivent, il faudrait être très courageux pour arriver au bout de la quarantième ligne ! »

« Internet c’est presqu’à l’opposé de notre pratique ! Nous, c’est un lien vrai, une communauté locale réduite… où l’on est en lien avec les gens… car ils nous connaissent, ils nous voient arriver, la zone de pratique est réduite, les liens se créent très facilement… Sur internet, l’anonymat…, tous ces pseudos que ces gens utilisent…. C’est un peu biaisé… C’est moi et c’est pas moi…avec toi qui n’est pas vraiment toi ! Et de toute façon, je te dis absolument ce que je veux ! Vrai ou pas vrai ! Il n’y a pas d’engagement dans ces relations : l’engagement de base qu’il y a quand on rencontre quelqu’un, qu’on le découvre et qu’on se sent dans la relation. Sur Internet, on est vraiment dans le « tout est possible ». Je peux même être quelqu’un d’autre que qui je suis ! Blonde, mince et d’1,90 m… sur internet. C’est perturbant, car ça ouvre la possibilité d’être qui on veut, et cela pose la question de la relation vraie Je trouve que cette démocratisation des outils, c’est génial… mais que c’est dangereux. Génial, parce que c’est un outil formidable… Cela dépend bien sûr de ce qui est diffusé et de l’ampleur de la diffusion,.. Mais le danger est là : on peut faire tout et n’importe quoi et cela peut être à la fois extraordinaire et, à la fois, oui…, dangereux.»

Revenant sur les projets de la Fondation Roi Baudouin, elle ajoute en contrepoint : « Avant d’entamer le processus de création d’une émission, les gens n’imaginent pas, jamais… comment se réalise un reportage, comment se monte une émission, comment se passe l’enregistrement d’un plateau…
Sans cette connaissance, c’est très difficile pour eux de tourner en pensant qu’ils vont ensuite monter. Et donc, ce qu’ils font généralement, c’est ce que l’on voit partout : ils bougent tout le temps, ils se déplacent en filmant, ils zooment pour aller voir de plus prêt…  et ça n’a rien à voir avec les images dont on a besoin nous, pour faire un bon montage.. Tant qu’on n’a pas une approche plus professionnelle, cela ne pourra jamais ressembler  à ce qui se passe en télévision ! Jamais, jamais ! C’est, je pense, pour eux à ce niveau-là, une découverte.
C’est tout notre job de les accompagner : « Oui, ok, tu vas passer à la télé, toi, ton projet… mais que va-t-on amorcer comme réflexion plus globale à partir de là ? ». C’est là notre boulot : amener les gens à sortir de leur situation particulière pour avoir une vision plus générale…. Changer d’étage pour voir les choses plus largement et réfléchir aussi sur « Comment le faire passer ? ».
Un vrai travail d’éducation aux médias, en somme.
 

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