Pitch : Le développement d’internet, et surtout celui des
réseaux sociaux, a fait émerger une nouvelle problématique que l’on nomme
volontiers l’identité surexposée,
laquelle fait craindre pour le respect de la vie privée. A tel point que l’on
se tracasse aujourd’hui d’un droit à l’oubli,
quand on aurait été trop transparent lors de premières confidences online
commises à un âge irréfléchi. Que dit le net de nous-mêmes ? La somme de
nos interventions, certes, mais aussi tout ce que les autres ont décidé d’y
ajouter.
« En somme », alors, qui suis-je ? Et l’autre que je rencontre
ou que je recherche, qui est-il ? A l’heure des « Seconde life »
et autres sites de rencontres virtuelles, que dit-on de soi-même dans nos
échanges ?
Plan de l’intervention :
- La question « Qui suis-je » se pose sur
le net comme dans la vie réelle ?
- Qui suis-je est un projet qui s’élabore entre
méfiance et transparence, demande du temps et passe par le regard d’autrui
- Savoir qui est l’autre demande d’aller à sa
rencontre
- Rencontrer, c’est admettre que l’autre est autre,
qu’il n’est pas un Moi mais plutôt un Prochain.
Qui suis-je ? Qui
es-tu ? Quelle relation
possible entre nous ? Que ce soit dans le domaine affectif, au travail, ou
encore en compétition sur les divers marchés de la planète… que pouvons-nous
croire l’un de l’autre ? Jusqu’où bâtir la confiance et envisager des
collaborations ou plutôt entrer en concurrence ? Nous nous cherchons tout
au long de notre vie. Vaste mystère existentiel que ce passage sur terre qui
perpétuellement nous interroge : Quel sens donner à la vie ? Que
faire des années qui nous sont données à vivre ? Quelle relation envisager
avec autrui ? Et le développement d’internet, loin d’être étranger à ce
questionnement, est venu lui ajouter une nouvelle dimension. Une nouvelle
médiation, en tout cas.
Entre méfiance…
Aussi, dans le monde de
l’éducation initié à l’usage des nouvelles technologies, il n’est pas rare
d’entendre des mises en garde à l’intention des jeunes : « Attention,
tu ne sais pas qui est vraiment derrière l’écran, méfie-toi des infos qui
circulent sur le net, recoupe tes sources, soit circonspect si le site que tu
visites est un blog plutôt que celui d’une université renommée. Etc. ». Pourquoi tant de méfiance ? Parce que
la virtualité des rapports tissés par le truchement des écrans semble permettre
toutes les mystifications. Pour preuve, la psychose largement répandue que des
jeunes puissent se laisser piéger sur le net par les rendez-vous malhonnêtes
d’adultes pervers. Pour certains, visiblement, le leitmotiv est bien :
« Sur le net, on ne peut faire confiance à personne ».
Internet serait-il à ce point un
grand carnaval de Venise, où tout le monde s’afficherait masqué ?
… et transparence
Assez paradoxalement, les experts
du net qui ont comme angle d’attaque la question de l’identité numérique, eux,
semblent dire le contraire. Selon leur analyse, les internautes sont tellement
bavards et imprudents,
dans leurs multiples usages des réseaux sociaux notamment, qu’il serait
aujourd’hui particulièrement aisé de pister leurs traces laissées
inconsidérément en ligne. A tel point que là aussi, on met en garde :
« Au moment de publier un avis en ligne (texte, photo ou vidéo… sur votre
blog, dans les forums ou les réseaux sociaux), pensez dès à présent qu’un
employeur potentiel sera en mesure de vous « google-iser ». Plus que
votre CV ou vos diplômes, votre identité numérique parsemée de longue date sur
la toile révèlera vos vrais atouts… et vos penchants regrettables ». Sur
base de cela, certains conseillent même de recourir aux existences
pseudonymiques quand c’est nécessaire, pour brouiller les pistes.
Qui croire alors ?
Tout compte fait, faut-il
nécessairement craindre le net, pour son caractère nébuleux et mensonger ou, au
contraire, pour sa capacité à faire resurgir le passé en toute transparence. Ne
faut-il pas y voir tout simplement le prolongement online de ce que nous semons
et récoltons aussi dans nos échanges au quotidien ? La question mérite en
effet d’être posée, pour être ensuite transposée dans nos usages
réticulaires : « Qui suis-je dans mes rapports interpersonnels ?
Qu’est-ce que je révèle de moi au quotidien ? Entre
transparence totale et mystification, comment s’élabore mon identité et
comment se construit ma réputation ? Est-ce que je suis au clair avec
moi-même et est-ce que je le suis avec les autres ? »
Une seconde question surgira
également quand, passant d’une centration sur moi, j’irai vers l’autre pour
m’interroger : « Qui est l’autre que je rencontre ? Que dit-il
de lui ? Qui est-il vraiment au delà de ses multiples manifestations sur
le net ? ».
Et enfin, dernière question et
non des moindres dans le cadre de la rencontre : « Qui est-ce que je
cherche dans l’autre : un autre moi-même (le Même, selon l’expression de
Lévinas) ou une altérité qui révélera l’enrichissement mutuel de nos
différences ? » Car, parfois, la méprise sera d’abord dans le regard
posé sur autrui. Alors détaillons un peu ces trois scénariis.
Gnothi seauton :
connais-toi toi-même
Le débat existentiel que l’on
entrevoit ici tient d’abord à la complexité de la nature humaine. Se connaître
n’est pas chose simple. C’est l’intellectuel
cosmopolite d’origine palestinienne Edward Saïd qui disait : « J'ai l'impression parfois,
d'être un flot de courants multiples. Je préfère cela à l'idée d'un moi solide,
identité à laquelle tant d'entre nous accordent tant d'importance ». Se connaître, cela demande du temps. Cela passe
aussi par les regards portés par les autres sur moi, regards qui
progressivement me révèlent à moi-même. Des relations privilégiées donc qui
doivent aussi perdurer suffisamment longtemps, pour permettre la découverte de
qui l’on est aux différents âges de la vie !
Si l’on est déjà d’accord sur ce
principe, on admettra que l’émergence du net et des technologies nouvelles de
mise en réseaux permettent un déploiement nouveau de ces relations privilégiées…
Nous avons en effet à notre disposition aujourd’hui, des canaux de
communication qui cumulent le texte, l’image et le son et qui autorisent la
reproduction et la diffusion aisées pour des cercles restreints (à condition,
toutefois de leur préserver le caractère intime qu’ils ont dans la vie en
présentiel – pensons par exemple au nécessaire paramétrage des niveaux de
confidentialité d’un réseau social). ou, au contraire, pour la planète entière.
Pas étonnant, dès lors que les écrits que l’on confiait jadis à la
confidentialité d’un carnet intime ou d’un service postal sécurisé aient trouvé
leur déclinaison virtuelle… intégrant de surcroît la richesse des images et du
son. Grâce à ces nouveaux outils de réseautage l’expression, démarche centrale
de l’affirmation de soi, dispose de nouvelles voies de créativité.
Mais du fait de la complexité de
la nature humaine, un autre élément est à prendre en compte : ne se
connaissant pas vraiment, quand bien même on le voudrait, il ne nous est donc
pas possible de nous livrer totalement, et dans l’instant, à qui que ce soit.
Aucune rencontre n’est donc la mise à nu immédiate de notre identité complète.
Découvrir qui on est –et réciproquement- demande donc un travail de
construction : le collectage laborieux et l’analyse des manifestations
successives de notre personnalité. Et ce travail de collectage, sur le net,
c’est la recherche d’infos liées à nos traces éparses. En cela, nous avons un
outil formidable et redoutable à la fois,
pour nous-mêmes mais également aux mains de nos interlocuteurs… Connais-toi
toi-même, le gnothi seauton de Platon, est au cœur de la recherche d’une
identité numérique, de son identité
numérique. "Chacun de nous est une foule, même si, avec le temps, on
préfère le simplifier jusqu'à la pauvreté d'une singularité. L'obligation
d'être des individus, de répondre à un nom et à un seul, habitue la variété des
personnes qui s'entassent en chacun de nous à rester silencieuse. Ecrire aide à
les retrouver".
L’écriture
de nous-mêmes sur le net, une nouvelle voie sans doute à explorer, pour
apprendre à s’identifier soi-même.
Vie de tamagoshi
Notre identité, on le voit bien,
et peut-être encore mieux sur le net, est une identité fragmentée. Ses
composantes éparpillées demandent à être rassemblées. Mais pour chacune, c’est
aussi leur niveau de transparence qui demande à être analysé. Car sur le net,
les choses se compliquent peut-être un peu plus. Et avec une grande aisance
technique ! Quid en effet, des identités d’emprunt, plus faciles à enclencher
que dans la vie courante. Quid des existences parallèles : pseudonymiques
ou sous forme d’avatars. Sans parler éventuellement aussi des usurpations
d’identités. De fait, on touche ici à une technologie qui met en oeuvre très
facilement ces détournements. A tel point que l’on peut non seulement perdre
les autres dans un dédale de mystification, mais se perdre également soi-même
du fait des existences parallèles que l’on met parfois en route. Risque de
schizophrénie sur Internet, alors ? Peut-être ! Car , dans
certains mondes dits « virtuels », le temps qui passe est bien réel.
Quittez votre clavier quelques heures ou la nuit entière pour répondre à votre
besoin de sommeil, et zou… votre existence virtuelle sera éventuellement
rétrogradée à un stade antérieur « de vie », du fait de l’immobilité
prolongée de votre clavier ou de votre joystick. Passer de vie à trépas est
fréquent dans les parts successives d’un jeu vidéo. Mener une vie parallèle
dans Seconde life est très courant. Laisser libre cours à la curiosité de votre
envie de changer de sexe, tout aussi simple. Multiples identités pour incarner
une identité multiple ! Voilà le caractère complexe de la présence online…
que l’usurpation d’identité pousse à son degré ultime, bien sûr ! Car si
la personne avec qui vous êtes en relation sur le net n’est peut-être déjà pas
transparente sur elle-même, le summum est atteint quand c’est une autre
personne qui s’adresse à vous, après s’être immiscée dans la session de votre
interlocuteur. Rien d’étonnant alors que, sur le net, des individus qui ne sont
encore nulle part dans la vie physique (notamment du fait de leur jeune âge)
soient déjà des leaders, du fait de leur expertise médiatique. Certains sont
aux commandes de communautés de jeux en ligne, d’autres ont déjà fondé une
entreprise et produisent une véritable activité économique d’envergure… Des
acteurs du showbusiness, on dit ce qu’ils sont « à la ville et à la
scène »… Pareillement, certains qui évoluent aujourd’hui dans la
virtualité des réseaux ont-ils parfois des identités parallèles très
développées.
Identité ou réputation
Sur le net, la question de
l’identité se confond allègrement avec celle de la réputation. Les experts
écartent la réflexion ontologique (qui suis-je ?) pour n’évoquer que la
stratégie de promotion de sa personnalité (que dit-on de moi ?), de sorte
que l’on vous identifie correctement (attention à l’homonymie qui peut jouer
des tours) et que l’on agrège pertinemment vos multiples traces dispersées à
tout vent. Le leitmotiv est généralisé : plutôt que de laisser votre
réputation se construire sur ce que les autres disent de vous, prenez en main
les rênes de votre destin et évoquez vous-mêmes de façon centralisée (sur un
site, un blog, via la création d’un porte folio…) ce que les gens doivent
savoir de vous. Les spécialistes de la question évoquent même les nouveaux
services en ligne qui instrumentent la réponse à ce besoin de plus en plus …
vital. Ainsi l’exprime par exemple Olivier
Zara : « Avec Internet, il n’y a plus d’inconnus. Inutile de débrancher
votre ordinateur, inutile de résilier votre abonnement à Internet, il suffit
que votre voisin, votre collègue ou un ami publie des informations ou son
opinion sur vous et vous ne serez plus un inconnu. Internet est une place
publique mondiale sur laquelle va se construire votre image de marque. … On ne
choisit pas d’avoir une marque personnelle. Tout le monde en a une : positive,
neutre ou négative. Grâce ou à cause d’Internet selon le point de vue, elle
deviendra tôt ou tard publique et accessible mondialement. Si vous ne
définissez pas votre marque personnelle, ce sont les autres qui la définiront
pour vous et il y a des risques qu’elle ne vous corresponde pas. »
Votre profil
Depuis
l’émergence du Web 2.0, nombreux sont les sites qui vous demandent de vous
inscrire dans le cadre d’une session personnalisée. A cette fin, il vous faut
remplir un formulaire plus ou moins fouillé que l’on nomme
« profil ». De la sorte, les utilisateurs du service en ligne duquel
vous venez de vous faire membre pourront en savoir un peu plus sur vous. C’est
le concept des réseaux sociaux : plus vous partagez d’informations sur
vous-mêmes, plus les autres auront tendance à en faire autant, et plus les
relations s’étofferont. Y compris avec des personnes que vous ne connaissiez
pas auparavant. Des « relations virtuelles » avec qui parfois
vous construirez progressivement un certain niveau d’intimité sans jamais les
avoir rencontrées dans la vie réelle. Taxer ces relations de
« virtuelles » ne devrait toutefois pas faire oublier qu’elles
sont bien réelles et produisent sur les intéressés de vraies interactions aux
effets concrets. Dans le domaine de l’affectivité, des romances virtuelles
peuvent être à ce point denses qu’elles déboucheront parfois sur un mariage, ou
provoqueront un divorce ! Des relations commerciales aussi peuvent
s’établir entre des personnes qui ne se sont jamais rencontrées dans la vie
réelle mais uniquement par les réseaux. Les utilisateurs de la plate-forme
Ebay, par exemple, en font l’expérience au quotidien. Il est également
important de rappeler dans ce contexte qu’une vente « virtuelle » en
ligne est un acte commercial réel, l’acquéreur se soumettant aux droits, mais
aussi aux devoirs de tout candidat à l’acquisition d’un bien ou d’un service…
fut-ce par le truchement de l’internet.
Au
moment de remplir un profil d’utilisateur donc, quel que soit le service en
ligne auquel on s’abonne, on peut jouer ou non la carte de la transparence.
Sauf si le site est vraiment trop intrusif, on est assez souvent libre de
répondre ou non à certaines questions laissées « facultatives ».
Chacun y va donc de son impulsion, la nature reprenant le dessus assez souvent.
Certes, une éducation aux médias spécifiques pourra rappeler les conséquences
éventuelles de délivrer ainsi des données personnelles et conscientiser
l’utilisateur sur l’usage commercial qui peut être fait de ces renseignements
monnayables auprès des grandes multinationales avides de publics bien
ciblés. On peut ainsi insister sur
le fait par exemple, que, pour envoyer une carte postale virtuelle à un neveu
qui a son anniversaire, il n’est pas nécessaire de livrer en pâture des
renseignements personnels comme : état civil, métier, convictions
politique ou religieuse, hobby… On doit pouvoir faire l’impasse sur tout cela…
ou alors biaiser en répondant n’importe quoi, le cas échéant. Mais s’il s’agit
de s’inscrire à un réseau social d’échanges, c’est évident : la
transparence –une certaine
transparence- est de mise.
Pourquoi ?
Parce que le principe est justement d’avancer à visage découvert. Comment
entrer dans la dynamique de Facebook, par exemple, sous le couvert d’un
pseudonyme si, finalement il s’agit d’y retrouver des personnes qui vous
connaissent dans la vraie vie ? Pour renouer sur le net, il vous faudra
inévitablement vous donner à re-connaître… et donc l’usage d’un pseudo sera
totalement inopérant. Reste à savoir à qui de votre entourage virtuel vous
donnerez à connaître tel aspect de votre personnalité, telle activité de vos
loisirs, telle relation de votre entourage. Car outre les connaissances qui
vous retrouveront dans Facebook, vous serez sans aucun doute sollicité par de
nouveaux contacts. Une opportunité de rencontre comme dans la vie au quotidien,
somme toute. Le problème alors n’est sans doute pas tant de savoir que dire ou
ne pas dire… mais plutôt de ne le dire qu’aux personnes à qui il est
intéressant de le communiquer.
Livrons-nous
à un échange
Jusqu’où
« se livrer sur le net » ? Certains diront que l’expression
répond elle-même à la question : « Se livrer » c’est courir le
risque de finir à l’échafaud ! C’est, en tout cas se condamner :
offrir à la société qui nous entoure les armes de notre supplice. On connaît le
dicton populaire qui fait parfaitement écho à cette conviction : « Pour
vivre heureux, vivons caché ». Ne faut-il pas, sur le net aussi, opter
pour le principe de précaution ?
Reconnaissons-le
pourtant, sans une certaine ouverture à l’autre, pas de rencontre possible. Pas
d’enrichissement mutuel. Si ni l’un ni l’autre ne consentent à ce pas de
l’ouverture, peu de chance que la rencontre ait lieu. Dans ses écrits,
le philosophe Emmanuel Lévinas exprime ce qui, selon lui, contrecarre le succès
de la rencontre vraie. Premièrement, dit-il, la connaissance procède par
réduction de la différence. « Connaître c‘est toujours prétendre
reconnaître pour s’y reconnaître. Le moi ne sort pas de lui-même pour se
laisser envahir par l’inconnu. Dans l’acte de connaissance, il ne recherche
qu’à se retrouver lui-même. L’objet qu’il pose d’abord comme extérieur à lui,
il veut le totaliser, le maîtriser. En cela, Lévinas retrouve les analyses de
Nietzsche et de Bergson : l’instinct de connaissance procède de l’instinct
d’appropriation et de conquête. La connaissance opère par réduction et assimilation
de l’inconnu au connu ».
Selon
Lévinas toujours, le besoin procède aussi par appropriation réductrice et
identification. « A chaque fois que le rapport à l’autre est vécu sous
de mode du manque, l’autre n’est visé que comme moyen de satisfaction d’un
manque préalablement défini. […] Il n’y a pas de véritable ouverture à l’autre. L’autre est identifié
comme moyen de rétablir la
tranquillité du moi ; l’épreuve du manque cherche à se résorber dans le retour
à soi et le sentiment de complétude. Enfin, le pouvoir (le rapport de
commandement et de domination) est aussi réducteur des différences :
Pouvoir, c’est toujours faire l’autre à son image. ». Pour Lévinas, c’est sûr : l’ouverture est un
passage obligé pour apprendre à se connaître et pour rencontrer véritablement
l’autre. Ce sont les échanges interpersonnels qui vont progressivement aider
chacun des partenaires à se découvrir dans la relation qui s’instaure.
Connais-toi toi-même. Découvre-toi à toi-même et aux autres… voilà une lente
maturation existentielle que les nouvelles technologies peuvent aider à
accomplir.
Vedettes
des écrans du net
Cela
dit, au delà des relations en ligne qui prolongent celles vécues dans la vie en
présentiel, il est donc des interactions qui s’amorcent via les technologies et
qui s’y développent conséquemment. L’éducation aux médias devra s’interroger
sur les critères de mise en place de ces nouvelles rencontres. Identifier les
facteurs de crédibilité qui alimentent la confiance réciproque et nourrissent
l’engagement mutuel. Le phénomène se produit dans diverses situations bien
identifiées aujourd’hui. Citons entre autres : devenir « amis »
dans les réseaux sociaux, accepter d’échanger des mails, publier des
commentaires sur un blog, débattre ensemble dans des forums ou se consacrer du
temps par chat interposé, s’abonner au flux Rss de tel ou tel, accepter de
partager avec lui l’accès à des documents… en lecture et/ou en écriture, voire
confier des responsabilités de modération dans un espace co-géré (wiki, par
exemple …). Autant de mises en situation de nouvelles relations privilégiées
par ordinateur interposé.
Pourquoi
se fait-on alors confiance ? Que recherche-t-on ? Qui
rencontre-t-on ? Tout internaute aurait intérêt à s’interroger sur ses motivations profondes d’entrée
en nouvelle relation. (Rappelons-nous les propos de Lévinas sur les raisons
manquées de la rencontre vraie). En effet, à titre de média, Internet n’échappe
pas au phénomène -classique- de la starification. Ainsi sur Skyblog, par
exemple.
Il s’y produit une sorte de montée en puissance de l’une ou l’autre
personnalité : un plébiscite par voie d’audimat en quelque sorte. Des
individus qui ne sont pas connus selon les critères classiques du monde
professionnel (diplômes ou palmes académiques, expériences professionnelles,
publications d’ouvrages de référence ou à caractère scientifique, …) deviennent assez rapidement des
« leaders d’opinions ». Soit que les services en ligne les repèrent
et en font la promotion par élection au titre d’ « internaute de la
semaine ou du mois ». Soit que cette popularité s’acquiert par un
mouvement de foule dont les paramètres d’émergence seraient intéressants à
identifier et analyser. (On constatera vraisemblablement que parmi ceux-ci, la
créativité, la nouveauté et l’inventivité se livrent une rude bataille,).
Classiquement,
pour être publié, dans le monde de l’édition, il fallait convaincre le comité
de sélection. En ce sens, la notoriété de l’auteur et la qualité intrinsèque du
manuscrit étaient décisives. Et
c’est toujours le cas aujourd’hui. Sur internet, il en va tout autrement. En
effet, la mise en ligne de textes, d’images ou de vidéos est techniquement à la
portée de Monsieur Tout-le-monde. Et la validation du degré d’expertise des
propos publiés est laissée à charge du lecteur qui devra recouper les infos
publiées. Dans cette dynamique, seuls les internautes rodés à la tâche, les
« alphabêtes du multimédia », s’en sortent. Le risque est donc bien
réel que les autres se laissent subjuguer par la beauté (la technicité aussi
parfois) de l’emballage ou l’apparente scientificité des propos. On n’est
jamais à l’abri de diverses formes de populismes. Sur Internet pas moins… la
sophistication de certains aspects techniques pouvant même y ajouter une
couche.
Recommandations
Arrivons-en
alors à des conclusions. Qui suis-je sur le net ? C’est à moi de le
décider dans un juste équilibre entre méfiance et transparence. C’est aussi à
moi de sérier les infos que je livrerai en fonction des publics auxquelles je
les destine. Dès lors, apprendre à régler ses paramètres de confidentialité va
devenir une pratique centrale de la construction de son identité numérique.
C’est à moi aussi de choisir au sein de quel réseau je décide d’apparaître et
en compagnie de qui. « Dis-moi qui tu fréquentes sur le net et je te
dirai qui tu es ! » Et c’est
encore à moi que revient le choix de mes relations virtuelles : sur
quelles bases est-ce que je noue contact sur le net ? S’agit-il pour moi
d’ouvrir mon horizon, de me créer des occasions d’interpellations
mobilisatrices (de nouveaux regards sur moi-même qui m’apprendront un peu plus
qui je suis ?) ou serai-je en permanence animé d’une attitude narcissique
qui me fera me mettre à la recherche de ceux qui pensent et agissent comme moi,
de sorte à ce que nous nous regroupions aussi sur le net.
« Chassez le naturel, il reviendra au galop », dit-on. Il n’y a sans
doute pas de raison que les relations que nous établirons via les nouvelles
technologies soient différentes de celles qui constituent nos tissus sociaux
habituels. Sauf à s’imposer un changement d’attitude fondamentale. En ce sens,
réussir ou rater nos prises de contacts sur le web ne seront pas d’abord
affaire de technologie, mais plutôt de positionnement ontologique. Il y a fort
à parier que l’attitude que je développe dans la vie de tous les jours trouve
sa transposition –à l’identique- dans les réseaux. En ce sens, l’éducation aux
médias sera un bon allié pour instrumenter mes comportements. Mais les choix
ontologiques, eux, relèvent de mon éducation globale et de mes choix
philosophiques. C’est donc en ce sens que, dès les premières lignes, nous
introduisions notre présente analyse en disant que « l’émergence
d’internet, loin d’être étrangère à ce développement ontologique, est venu lui
donner une nouvelle dimension. Une
nouvelle médiation, en tout cas ».
Ce qui
serait intéressant, c’est de constater que le présent débat, mis en œuvre dans
un scénario d’Education aux Médias, mobilise suffisamment les apprenants que
pour les faire réfléchir à leur positionnement philosophique et de citoyen.
Sans doute avons-nous ici un excellent exemple de ce que l’Education aux Médias
n’est pas d’abord une fin en soi, ou une réflexion sur nos seules médiations
techniques mais qu’elle constitue une réflexion au cœur de nos engagements
citoyens.
A ajouter :
Dire en quoi la recherche
inconsciente du Même peut amener à plébisciter dans ses relations en ligne, des
personnalités du fait de leurs ressemblances à mes idées et convictions… En
fait, je serais alors en recherche permanente de moi-même et de la confirmation
de mes hypothèses et choix existentiels. Mes leaders d’opinions pourraient
alors n’être finalement que la transposition d’autres moi-même. Pourtant, cette
recherche de relations virtuelles pourraient aussi être le tremplin de la
définition progressive de mes propres opinions : qui se ressemble
s’assemble. Je suis mon réseau, mes relations. Ne pouvant exister seul et me
découvrir du seul voyage intérieur, c’est dans la constitution de mes réseaux
qu’émerge progressivement mon identité.
A développer
A mes différents interlocuteurs, je ne présente que l’une ou
l’autre facette de mon moi. Ce n’est qu’en en faisant le tour, la somme de ces
facettes que je commence à donner une plus grande consistance à mon être, que
je prends peut-être aussi moi-même conscience de qui je suis. De qui je suis
réellement, et /ou virtuellement. Car au delà des composantes de mon identité,
il y a aussi, volontairement ou non, des avatars, des masques, des profils, des
filtres qui peuvent aussi altérer la fidélité de la représentation
Identité d’emprunt ? Clone de soi-même ? Risque de
schizophrénie ?
Identité fragmentée, en tout cas ! ou
Cyber-réputation ?
Attention :
Homonymes et usurpateurs d’identités
Il est à noter que, pour le moment, le suicide numérique n’existe
pas, comme le soulignait Serge Ravet, président d'EIfEL (European Institute for
E-Learning), lors de la conférence ePortfolio et identité numérique26, à
Montréal, en mai 2008.
les manifestations du moi : construire et manifester
son identitéSources :
L’individu foule :
"Chaque fois que je me suis cherché,
J'ai trouvé les autres
Et à chaque fois que j'ai cherché les autres,
Je n'ai trouvé en eux que mon être étranger.
Serais-je l'individu-foules ?"
Mahmoud Darwich murale
"Chacun de nous est une foule, même si, avec le temps, on
préfère le simplifier jusqu'à la pauvreté d'une singularité. L'obligation
d'être des individus, de répondre à un nom et à un seul, habitue la variété des
personnes qui s'entassent en chacun de nous à rester silencieuse. Ecrire aide à
les retrouver"
Eri de Luca
http://kalima.hautetfort.com/archive/2006/02/27/l-individu-foule.html
Edward Said écrit (cité dans Le Monde)
J'ai l'impression parfois, poursuit-il, d'être un flot de courants
multiples. Je préfère cela à l'idée d'un moi solide, identité à laquelle tant
d'entre nous accordent tant d'importance. (...) Les discordances de ma vie
m'ont appris finalement à préférer être un peu à côté, en décalage."
http://www.mafhoum.com/press3/91C33.htm
Frédéric Martel :
Obama est devenu président des États-Unis grâce à un travail
complexe de redéfinition de son identité personnelle : la diversité culturelle
d’Hawaï, l’Indonésie musulmane, ses racines au Kenya, les tensions ethniques du
ghetto du South Side à Chicago, la contre-culture du campus d’Harvard, le monde
de la justice américaine, la classe moyenne du Kansas, la machine politique
washingtonienne. Il est l’illustration même des identités multiples chères à
Amartya Sen.
http://www.nonfiction.fr/article-1765-identites_multiples.htm
http://www.identites-numeriques.net/
Gérer son identité numérique par Fred Cavazza :
http://www.fredcavazza.net/2006/10/22/qu-est-ce-que-l-identite-numerique/
(cartographie de son identité numérique)
+ une réaction : e 23 octobre 2006 à 10:36
flyintiger a dit :
Très beau travail de synthèse. Je pense qu’il y a en germe dans le
web 2.0 la notion de schizophrénie, avec, d’une part, les éléments constitutifs
de l’indentité numérique “publique” (réseaux professionnels, email perso, blog)
et, d’autre part, la gestion de son avatar, soit son identité numérique
“privée” (blog, rencontres, réseaux sociaux). Je pense que la notion d’avatar
va bien au delà des seuls mondes virtuels et englobe la notion d’un autre moi,
qui dispose aussi de ses emails et d’une vie propre (il est marchand sur ebay,
il tchate sur meetic, il a un blog etc…). L’individu numérique gère en
parallèle ses deux moi, chacun ayant son autonomie et remplissant une fonction
sociale différente.
Et aussi : e 25 octobre 2006 à 20:06
ropib a dit :
Excuse moi Fred d’insister un peu mais sommes-nous vraiment
partitionnés de cette façon ? Si nous cumulons plusieurs identités, plusieurs
rôles, ils y a bien des liens à chaque fois entre les diverses notions que tu
as séparées et parfois des liens entre ces différentes identités, parfois des
murs (voir des tabous). Dans la culture aborigène chaque personne a plusieurs
noms, est appelée différemment par chacun. Il y a des relations entre le nom,
le rôle, le lieu, le temps, les mots, les esprits etc., Barbara Glowczewski en
fait une très belle description mathématique avec un hyper-cube (je ne me
rappelle plus combien de dimensions elle trouve, peu importe) ; je l’avoue je
n’ai pas tout compris.
myfenek a dit
l’hyper réalité est en train de se réaliser.
Si les recherches Google ne donnent pas à proprement parler mon
identité, elles permettent de m’identifier. Elles disent ce que je fais, et ce
que j’ai fait par le passé. Elle permettent de lier l’objet de la requête à des
domaines.
Yann Leroux sur : http://www.web-perlaboration.net/blog/jeu-en-ligne
Identité numérique et visibilité
Avec de déplacement progressif des activités vers Internet, chaque
publication de contenu a pour effet de semer des « petits cailloux numériques
». Ce sont comme les pièces d’un puzzle qui compose l’identité numérique d’une
personne ou d’une entreprise. Publier régulièrement du contenu, adhérer et
participer à des communautés et des médias sociaux renforce cette présence
numérique. On parle désormais de « Googler » une personne pour accéder
justement à tous ces éléments. Un prospect, un client, un partenaire faisant
une recherche sur Internet aura ainsi accès à toutes vos « présences », cela
lui permettant de rapidement connaître votre expertise, produits, savoir-faire,
réalisations. Et comme une image vaut mille mots, une vidéo en vaut peut-être
dix mille.
http://www.nayezpaspeur.ca/blog/2007/10/bloguer-pour-etre-vu-le-videoblogue-vlog-5.html
Sur CLIC, bon article de fond :
http://clic.ntic.org/cgi-bin/aff.pl?page=article&id=2110
notamment : L’auteur Olivier Zara invite d’ailleurs les
internautes à demeurer maîtres de leur identité numérique, rappelant ceci :
«Avec Internet, il n’y a plus d’inconnus. Inutile de débrancher
votre ordinateur, inutile de résilier votre abonnement à Internet, il suffit
que votre voisin, votre collègue ou un ami publie des informations ou son
opinion sur vous et vous ne serez plus un inconnu. Internet est une place
publique mondiale sur laquelle va se construire votre image de marque. … On ne
choisit pas d’avoir une marque personnelle. Tout le monde en a une : positive,
neutre ou négative. Grâce ou à cause d’Internet selon le point de vue, elle
deviendra tôt ou tard publique et accessible mondialement. Si vous ne
définissez pas votre marque personnelle, ce sont les autres qui la définiront
pour vous et il y a des risques qu’elle ne vous corresponde pas28.»
Personal branding : http://www.reputation.axiopole.info/2008/01/10/creer-votre-marque-personnelle-personal-branding/
Bonne biblio sur le sujet, via Urfist
http://affordance.typepad.com/mon_weblog/2010/05/identite-numerique-et-ereputation-une-bibliositographie.html
Vidéos
Tu es ce que tu partages :
http://www.youtube.com/watch?v=88Y8mjSknIc&NR=1
A la façon du jardinage, cultiver sa réputation (henri Kaufman –
Videopeps : en 7 points et moins de 7 minutes) :
http://www.youtube.com/watch?v=mHgzjEYoqM4&feature=related
FBrahimi : part 1
http://www.youtube.com/watch?v=0m4XGbeHKg8&feature=related
part 2 :
http://www.youtube.com/watch?v=er-yjmZKZpI&NR=1