Témoignages
On nous le chante sur tous les tons, les nouvelles technologies sont là, facilitatrices des contacts interpersonnels. Plongeons dès lors dans l'expérience d'utilisateurs aguerris, tout en rappelant qu'il y a quelques mois encore, tout ce qui va être décrit était à l'état latent, inimaginable pour certains d'entre eux.
Il y a un an à peine, Pierre S. fait l'acquisition d'un micro ordinateur pour envisager le montage de ses films vidéo. Dans la foulée, il découvre Internet et s'interroge sur la manière d'entrer en communication avec des membres de sa famille habitant l'étranger. Mieux, de renouer des échanges qui avaient tendance à s'effilocher. Français, habitant le Nord (en fait en Belgique) il reprend ainsi contact avec ses neveux et nièces dispersés sur l'hexagone français. "Il est non seulement possible d'échanger des messages mais aussi , avec la WebCam, d'envoyer des vidéos du petit dernier (Victor bientôt 1 an) à sa marraine qui vit dans les îles du Pacifique". Pour ce faire, Pierre a sollicité l'hébergement (gratuit) d'une communauté virtuelle sur un serveur en ligne. Dans son message d'accueil, il la présente comme un lieu privé d'échanges entre membres d'une famille, accessible de partout à travers le monde. "Un écran à messages permet à chacun qui est affilié de laisser des petites nouvelles accessibles à tous les membres de la communauté familiale. Les discussions en direct dans la salle de conversation (virtuelle) annoncent les derniers résultats aux examens par exemple. L'album de photos (actuellement l' album compte plus ou moins 75 photos rappelant les vacances ou 1 photo suite à l'achat d'une moto.) permet à celles et ceux qui n'ont pu être là lors d'un événement important, de voir comment la journée, le repas, la cérémonie se sont déroulés, qui était présent, comment chacun était habillé... Ainsi, lors de la naissance du petit dernier, sans attendre de développement papier, ses parents ont pu adresser les premières photos avec une très bonne restitution sur l'écran d'ordinateur, photos que chacun a pu éditer pour transmettre celles et ceux qui ne disposent pas encore d'outils micros. La marraine trés éloignée (Tahiti) a pu, par le même message et au prix d'une communication locale, également admirer ce nouveau sourire. Maintenant avec la WebCam, les "amoureux" peuvent communiquer en se voyant sur l'écran et s'échanger des clips vidéos.Pour organiser les futures vacances, un calendrier est à la disposition de toutes et tous, à charge de chacun de le compléter. Ce même calendrier qui permet de ne pas oublier de fêter le plus petit événement. Intéressé par la généalogie, chacun est en charge de venir compléter lesi nfos liées à l'évolution de notre tribu".
Curieux de savoir comment s'élabore et se construit une telle communauté virtuelle au sein de la famille, nous avons posé quelques questions à Pierre, le porte-parole.
"Nous sommes dix inscrits qui possédons une adresse email personnelle. Mais cela représente plus de 25 personnes compte tenu qu'il y a des couples avec enfants qui n'ont créer qu'une adresse électronique. Donc de 12 à 82 ans, soit 3 générations, et ce depuis septembre 1999. Pareil développement en moins de 9 mois c'est encourageant; Il reste à échanger ses adresses emails pour développer ce nombre de participants.
Les anciens n'étant pas encore aguerris avec ces nouveaux outils, ils ont tendance à attendre l'aide d'un spécialiste. Les jeunes échangent plus facilement, directement par courrier personnel plutôt que sur le site du Web de famille qui est quand même assez lent.
D'autre part, les jeunes préférent écrire leur texte avant d'être branchés sur internet pour une question de coût, alors que sur le site il faut d'abord accéder lire les messages et y répondre ensuite en étant connecté. Ce qui est qu'en partie vrai, car il est également possible d'écrire son texte et de le joindre... mais il y a les habitudes. Nous n'avons pas constaté de différences de comportement entre filles et garçons.
Notre vie communicationnelle s'est créée entre les plus éloignés, ou les isolés, mais après un début prometteur et compte tenu des aléas de MSN (gestionnaire du site) les échanges hebdomadaires se sont stabilisés à des échanges mensuels qu'il est parfois nécesssaire de relancer ou de motiver par des jeux...par le concours de la plus belle grimace par exemple Par conttre il est à noter que cette façon de tchatter (dialogue en temps réel) avec une WebCam commence à se démocratiser ( chute des prix du matériel) et même si l'image n'est pas formidable dans sa définition, quel plaisir de voir son correspondant. Bientôt le système sera possible avec le téléphone et devrait développer ce type de communication".
Amal B. (son prénom signifie Espoir) est libanaise et vit à Sidney. Elle fait partie du staff de direction d'une école de journalisme et utilise Internet pour son travail. Elle et moi nous sommes rencontrés un peu par hasard, dans une séance de tchache sur un serveur français. Préparant cette intervention pour les Nouvelles Feuilles Familiales, j'ai profité de ce contact fortuit pour lui poser quelques questions.
Nff : Comment est née cette aventure de la communication via Internet
dans ta famille ?
Je suis arrivée en Australie, il y a déjà 14 ans. Tony était venu en vacances dans mon pays. Quand est venu le moment pour lui de retourner...il m'a demandé de le suivre. Et j'ai franchi le pas. La plupart des membres de ma famille sont encore aujourd'hui au Liban. J'avais aussi un frère installé en France. Il étudiait la génétique. Avant de connaître Internet, je lui télephonais tous les quinze jours. Puis il a commencé à travailler dans un laboratoire qui était équipé du courrier électronique. Puisque je travaillais dans un bureau ou l'informatique est un très important outil de communication, je lui ai envoyé des Emails chaque semaine car c’était moins cher que le téléphone. Voilà comment nous avons commencé. Quand mon frère a eu cet accident qui lui ôta la vie, toute la famille était très chagrine. Je télephonais alors à mes parents au Liban chaque semaine, mais cela coûtait beaucoup. C'est alors que mon neveu qui travaillait dans un Internet Café au Liban m’a donné son adresse mail pour que je puisse lui envoyer des messages quand je peux, et pour pas cher. Quand Yahoo a introduit son service en ligne, la tchache (dialogue en ligne), je me suis inscrite moi même pour chatter. C’est moins cher que le téléphone et plus instantané que l’Email ou la poste. La messagerie aérienne prend à peu près dix jours pour arriver en France et au Liban. Si je n’ai pas de choses à envoyer, l’Email est plus fonctionnel. La tchatche elle est plus spontanée et plus rapide. Quands tu envois un e-mail avec la différence du temps, mon correspondant libanais le recoit après sept heures au moins, et puis quand il répond, c'est à peu près après 24 heures que j'en prends connaissance. Mais quand nous parlons au tchache c'est instantané. Je pose la question et recois la réponse après quelques secondes....
Nff. Quelles limites pressens-tu à cette manière de communiquer ?
Si tu n’as pas les ressources et les compétences technologiques, tu ne peux pas parler avec les autres. Et puis, quelques fois les lignes sont occupées, alors quand tu as fixé rendez-vous... De plus, si tu oublies le décalage horaire, tu fixes un rendez-vous pour un temps, et les autres t'attendent à un autre moment. C'est ce qui arrive quand j'oublie le passage à l'heure d'été (daylight saving) en Australie. Cela me perturbe bien pendant quelques semaines.
Nff. Quel avenir penses-tu que ce type de relation aura ?
Les jeunes maintenant se connaissent avec le chat, il y en a beaucoup qui se rencontrent avec cela aussi. La chose qui manque malgré tout, c'est la touche personnelle. Quand je tchache, j'invite des correspondants que je connais et je parle avec les membres de ma famille. Je ne peux pas faire confiance au Chat Room car n'importe qui peut y venir et lire ce que j'ai écrit.
Nff. Quelle genre de nouvelles familiales se communique-t-on par l'Internet ?
Généralement, la famille ne me dit pas de mauvaises nouvelles à l'internet, pour ne pas me choquer... Par contre, quand ma belle soeur a accouché, mon frère m'a écrit un email pour m'informer. Quand j'ai été passer quelques jours au Liban j'ai donné le numéro du vol à mon neveux par l'email pour l'informer de l'arrivée de notre vol afin qu'il vienne à l'aéroport pour nous conduire ensuite à la maison.
Nff. Tu nous a parlé de ton frère qui est décédé accidentellement en France. Ses derniers contacts avec lui avant son décès se sont-ils passés par Internet ? Est-ce que cela donne une dimension particulière à cette rupture que tu as du vivre ? As-tu gardé ses mails comme on garde des lettres postales ? Ses derniers contacts ont-ils eu lieu par Chat, auquel cas il n'y a plus de trace ? Est-ce alors une source de regret par rapport à la poste ?
Tu as raison Michel, j'ai gardé un de ses emails, celui où il m'a informe qu'il va se marier. Je regrette ne pas avoir imprimé les autres. Mon frère était jeune, je n'ai jamais pensé que cela pourrait se passer... Il prenait bien soin de lui même... J'ai par contre gardé ses lettres et ses cartes postales.C'est son anniversaire aujourd'hui, il aurrait 35 ans.
Nff. T'es-tu fait des connaissances avec Internet, des connaissances que tu entretiens avec régularité ? Dans le même ordre d'idée, connais-tu des gens dans ton entourage qui se sont connus par Internet et qui vivent ensemble aujourd'hui ?
Quand je suis retournée qualques temps au Liban, mes enfants ont partagé cette forme de communication avec leur père (mon mari Tony resté en Australie ) tous les jours. C'était moins cher, car il n'est pas alleé avec nous cette fois. J'ai fait un peu de connaissances sur l'internet mais je n'ai pas rencontré réellement mes Email Pal (correspondants virtuels) ni ne les ai entendus au téléphone. J'ai un ami à Pennsylvania aux Etats Unis, mais les autres ne sont pas très réguliers. Tony, mon mari est Australien et ses ancestres sont Libanais. Il est comptable comme moi. Lui n'aime pas beaucoup chatter sur l'internet... Il est content pour moi de savoir que je peux communiquer avec ma famille et il sourit quand je lui dis que j'ai chatté avec d'autres personnes comme toi et le jeune-homme aux Etats-Unis...
Propos recueillis virtuellement par Michel BERHIN