L'usage des médias à l'école ne date pas d'hier.
Nombreux sont les professeurs qui les introduisent comme documents dans
leurs cours. Certes, le faible équipement des établissements
scolaires et le manque de formation des pédagogues aux technologies
limitent cette pratique qui pourrait être plus largement répandue.
Cependant, pour certains enseignants, les outils médiatiques jettent
de la poudre aux yeux. Ils pensent volontiers : "C'est si simple de
mettre une cassette dans l'appareil quand on est fatigué. Enseigner
véritablement, c'est autre chose ! " Alors, pour aider à
la clarification, pleins feux sur l'usage pédagogique des médias.
"A la fin du trimestre, c'est classique, la salle audiovisuelle
est abondamment réservée... y'en a qui ne savent plus quoi
faire avec leurs élèves !" La réflexion a
tout du camouflet, il faut bien le dire, pour ceux qui recourent régulièrement
aux médias dans leurs cours. Encore fautil prendre toute la mesure
de l'usage qui en est fait, car sinon il est vrai, on pourrait donner à
penser que l'on envoie "bêtement" les élèves
au spectacle... "eux qui sont déjà si souvent enclin
à zapper dès le premier effort demandé".
Du pé-da-go-gi-que
Que peut-on faire avec un support médiatique de qualité,
une coupure de presse, une émission enregistrée sur bande
vidéo, un cédérom au contenu numérisé
off-line ou un site Internet ? La première réponse du pédagogue
sera de dire que l'on peut "illustrer" le contenu de son cours.
Détaillons un peu la chose.
En encadré : Vous avez dit : "illustrer son cours"
?
1. Sensibiliser le groupe à l'existence de la réalité
que l'on va travailler et à son intérêt.
2. Evoquer l'étendue du sujet et ses diverses facettes,
la phase de sensibilisation pouvant n'aborder qu'une de cellesci.
3. Apporter les connaissances nécessaires.
4. Appliquer ce qui a été appris dans des exercices
pratiques.
5. Synthétiser les connaissances acquises.
6. Contrôler si les connaissances ont été
assimilées.
Accrochez--vous
Les pistes qu'évoque P. Lebel voir également notre encadré
(1) montrent bien que les usages sont variés et mis au service de
compétences multiples. De plus, on remarquera que le moment où
le média est sollicité, au sein du scénario pédagogique,
n'est pas unique. Sensibiliser d'abord, c'est une démarche d'accroche.
Typique en journalisme, dira-t-on. Mais faut-il laisser aux seuls acteurs
de la communication médiatique le souci de mettre le public en empathie
? Les enseignants aussi doivent convaincre de l'intérêt d'aborder
telle ou telle matière. Avec réalisme, il faut laisser aux
nostalgiques l'image d'une école qui n'accueille que ceux qui aiment
apprendre, pour faire de "l'obligation scolaire" une véritable
chance pour chacun. Comme dans la pratique médiatique, et sans tomber
dans la démagogie, il faut pouvoir "accrocher".
Focus... mon point de vue ?
Le média peut également évoquer l'étendue
du sujet que l'on va aborder. Cela permet de situer le décor d'une
problématique plus vaste et de" recadrer". Là aussi,
le média, audiovisuel cette fois, vient à la rescousse pour
rappeler que tout est question de cadrage. Rien de ce qui est énoncé,
pas même le discours de l'enseignant, qui ne soit une représentation,
un point de vue situé sur le réel. Et donc, apprendre à
élargir l'horizon d'une problématique ou au contraire entrer
dans le détail de l'analyse de cas, voilà bien une véritable
compétence, l'objet d'un vrai apprentissage.
Connaissances et représentations
Bien sûr, au delà du plaisir qui n'est pas un handicap à
la pédagogie puisque certains en font même le levier des apprentissages,
il y a la question de l'apport de contenu. Mais ici encore, il faut être
particulièrement attentif à ce qui passe véritablement
au sein de la classe, quand on introduit des médias. Reconnaissons-le,
nous les adultes, nous ne sommes pas de cette génération qui
"est tombée dedans dès le berceau". Nos élèves
eux, sont nés dans la BD, ont grandit avec les dessins animés
et consomment allègrement variétés et clips en tout
genre en surfant sur les nouvelles vagues. Cela signifie que chacun, selon
son expérience et sa culture familiale dispose d'un référent
médiatiquement situé. Vous parlez de Georges Simenon, ils
entendent Bruno Cremer. Vous dites "commissaire de police" pour
évoquer la justice, ils se la font façon Julie Lescaut ou
Nestor Burma. A moins que Colombo ou Navarro ne l'emporte haut la main.
A chacun ses représentations. Au professeur alors de reconstruire
le réel en partant de la fiction. Sinon, comme le dessinait Kroll
il y a dix ans déjà, Cléopâtre ne cessera d'être
Liz Tailor.
Appliquez-vous donc
Si les médias sont souvent intégrés au parcours
pédagogique comme élément déclencheur ou comme
apport de contenus, ils n'en recèlent pas moins d'autres potentialités.
L'étude de cas est une de celles-ci. Une fois un contenu abordé,
un savoir mis en place, on peut solliciter le support médiatique
pour demander aux élèves d'exerciser leur nouveau savoir.
Il peut s'agir par exemple d'une démarche d'analyse d'un fait de
société ou la mise en place d'un processus sur un nouveau
contenu. On le sait, l'apprentissage requiert que le scénario pédagogique
avance en spirale, revenant sans cesse sur des choses déjà
mises en place pour pousser plus loin l'acquisition. Il est dès lors
opportun de disposer dans son arsenal pédagogique de plusieurs documents
médiatiques sur un même sujet. Ils donneront l'occasion à
nos étudiants de se pencher plusieurs fois sur une problématique
et d'approfondir la mise en place de leurs compétences. Souvent,
dans l'usage des médias, ne se contente-t-on pas d'une bonne émission,
d'un bon article "qui dit tout , si bien" ?
Joker au bon moment
Plus rares encore sont les usages du média comme occasion de synthèse.
Quand l'enseignant dispose d'un "bon" document, comme les enfants
qui découvrent les règles d'un jeu de cartes, il est tenté
d'utiliser tous ses attouts dès les premiers moments de la partie,
pour déployer toute sa force et emporter l'enthousiasme. Or, il est
des documents médiatiques qui se prêtent à merveille
à la synthèse d'un parcours. Certes à nouveau, il ne
faut pas tomber dans la démagogie et vouloir à tout prix amener
les élèves à énoncer les choses comme elles
sont exprimées dans le document de synthèse, fut-il un article
du meilleur spécialiste de la question ou le reportage du plus grand
des chasseurs d'images sur la question. Mais se saisir d'un document médiatique
bien choisi pour mettre ensemble et structurer tous les éléments
d'une problématique que l'on aura "triturée" ensemble,
voilà un bon procédé pédagogique. Quitte même
à ce que la proposition médiatique ne soit qu'une pierre à
casser.
Interro face à l'écran
On peut même imaginer de faire le contrôle des connaissances,
des compétences et des capacités en mettant l'élève
en pratique médiatique, que l'on soit en approche analytique, voire
même en situation de production médiatique (presse scolaire
ou production d'un petit vidéogramme). Dans l'évaluation,
on sera néanmoins attentif à faire la part des choses entre
les compétences mesurées qui seront à la fois de connaissances
de contenus et d'éducation aux médias. Car, comme nous l'avons
dit, face à l'écran, on ne voit pas tous la même chose
et on ne donne pas nécessairement la même signification aux
choses représentées. On parlera de connotation et de dénotation.
La littérature toujours très controversée sur la difficile
question de la violence à la télé en est une illustration
sensible.
Eduquer aux médias
S'il est aujourd'hui passé dans les moeurs de beaucoup de recourir
au média comme support, on peut aussi faire de celui-ci une véritable
finalité pédagogique, un objet d'analyse à part entière.
A ce moment, on enseigne non seulement par les médias, mais
on enseigne aussi aux médias. Découvrir leurs langages,
l'importance de la technologie, les relations bien réelles entre
le pôle producteur (un groupe de presse, une chaîne de télé,
un webmaster...) et le public-cible que l'on est, parfois innocemment, dans
toute situation de communication. Se pencher sur les représentations
véhiculées... tout un programme -une compétence transversale
en fait- que l'on commence à mettre en place dès l'enseignement
maternel !
Médiacteur de sa discipline
Oui, les élèves qui nous arrivent sont de moins en moins
enclin à faire l'impasse sur les médias leurs langages et
leurs représentations. Un nouveau défi pour l'enseignant ?
Certes, mais une nouvelle approche sémiologique des contenus qu'il
maîtrise. C'est là que se situe le challenge. Apporter son
expertise disciplinaire dans le champ technologique de la communication
d'aujourd'hui : la presse, la radio, la télé, Internet et
le multimédia, lesquels peuvent se révéler alors de
véritables supporters de votre pédagogie.
[Note]
(1) Cf. Pierre Lebel, article intitulé Audio-visuel
et pédagogie films , diapositives et magnétoscope édité
en 1979 dans la collection "Formation permanente en sciences humaines".