Home / Les médias créent ils nos représentations

Les médias créent ils nos représentations


La trouble image du Vlaams B



 
La diffusion de « Vlaams choc » sur la Deux, ce dimanche 29 janvier2005, pose la question de la responsabilité des médias dans la construcution de nos représentations collectives. Comment parler du Vlaams Belang, de façon déontologique ? Sur le plateau, les journalistes étaient divisés.

 
Ce n’était pas un exercice de style auquel se prêtait Peter Boeckx, réalisateur du court métrage. Il reprenait en fait un genre télévisuel bien connu des spectateurs francophones et traitait à sa façon un sujet épineux à plus d’un titre, il est vrai : l’extrême droite flamande en Belgique. Mais sa défense était simple et de bonne foi : je pratique là un genre télévisuel clairement identifié qui n’a pas la prétention de tout faire comprendre. Il disait en substance : « C’est au spectateur à se construire son avis. Cette contribution audiovisuelle s’ajoute d’ailleurs à la masse documentaire existante et déjà diffusée en d’autres moments par la RTBf ».

Face à ce point de vue, que certains qualifiaient volontiers de naïf, Jean-Claude Defossé était lui, démonté. Impatient, il réclamait le droit de mettre « les pieds dans le plat », déplorant tout d’abord que la compréhension d’un documentaire réclame un débat pour être complète… sûr qu’il était qu’au moment où débutait ce complément d’information (le débat) la majeure partie du public avait vraisemblablement déjà zappé sur une autre chaîne, avec pour seule vision donc : le reportage incriminé

 

Reproche


Le motif principal de mécontentement du journaliste bien connu pour ne pas danser en rond dans l’équipe journalistique de la RTBf (Les pieds dans le plat, les travaux inutiles) était bien le style même de l’émission de son collègue Boeckx. « Striptease » et sa reprise ultérieure sous le titre « Tout ça (ne nous rendra pas le congo) » est caractérisé par un tournage dans les conditions du direct auquel n’est adjoint aucun commentaire (ni sonore, ni en sous-titrage). La logique est un peu celle du « comprenne qui  pourra ». Certes, le choix des événements relatés et le traitement de l’image et du son ambiant sont une possibilité d’orienter la compréhension…Il y a donc bien traitement journalistique. Qu’on ne se méprenne pas en croyant à un montage en toute objectivité. Mais la règle du jeu implique que le héros au centre de la séquence,  décide quand les caméras tournent et quand elles cessent de filmer. Premier reproche de J-Cl. Defossé : Philip de Winter est un communicateur hors pair. Il n’a bien sûr pas laissé filmer ce qu’il ne voulait pas que l’on montre. A tout moment, il se surveille dans ses propos, faits et gestes. Résultat : le portraît parfait d’un « gendre idéal ». Comment décoder là-derrière tout le cynisme du leader politique que l’on sait. D’autant que pour décoder, il faut identifier ce qui peut l’être. Deuxième raison pour Defossé de monter au créneau. Les francophones du grand public ne connaissent pas toute une série de figures qui apparaissent en arrière plan de ce tournage. Lui-même, bien que journaliste d’investigation spécialiste du sujet, a du être secondé dans la lecture du document, par des collguès neerlandophones notamment. Mais les images ne mentent pas. D’anciens collaborateurs ou des symparthisants de ceux-ci gravitent autour du personnage central, De Winter. Les identifier et réaliser toute la compromition nauséabonde que cela signifie, avec Léon Degrelle et le Rexisme par exemple,  n’est toutefois pas identifiable par le commun du sud du pays. Pour les neerlandophones, par contre, l’exercice est plus simple. On comprend dès lors qu’un spécialiste flamand de ces questions, porte parole des anti-Vlaams Belang, trouve ce reportage bien fait… et donc diffusable. La question est donc celle du degré de compréhension que les téléspectateurs peuvent avoir… sans autres commentaires.

Prêche-t-on à des convaincus ? Ou donne-t-on un portaît trop complaisant à un public qui risque de prendre pour argent comptant cette auto-promotion et ce, par méconnaissance des coulisses du parti et des caractéristiques de ce genre télévisuel particulier quand il « déshabille à sa façon l’actualité » ?

 

Autre scénario

Pour Jean-Claude Defossé, la réponse est claire : il faut éduquer le téléspectateur. L’informer, c’est lui donner le moyen de comprendre, sans lui imposer de faire trop d’efforts. Son option rédactionnelle est radicalement différente. Il n’hésite pas à faire entrer en scène des jeunes, dont le profil est bien de figurer les candides. (A leur âge, il est normal qu’il ne connaisssent pas toutes ces choses !) Et l’émission prend alors une tournure que certains apprécient (un sondage réalisé cite une très large audience lors de la diffusion des « Casseroles du Front National)  et que d’autres jugeront peut-être un peu démagogique –à tout le moins paternaliste- : « Connaissez-vous ce monsieur… ? Non… eh bien, je vais vous expliquer… ». C’est le genre développé dans deux reportages par ailleurs très bien documentés : « La face cachée du Vlaams Blok » et « L’arrière-cuisine du Front National ». Le ton y est différent. Pas complaisant pour un sous ! Le journaliste ne se gène pas pour poser les questions qui dérangent, pour rappeler en direct, les casseroles qui devraient faire pâlir l’interviewé. Et ce qui doit arriver arrive… en direct : le héros se fâche et annonce que sa collaboration s’arrête là… que la suite se passera devant les tribunaux.

Plus d’une fois, on se prend à dire : « Mais comment ose-t-il ? » Et si les services d’ordre respectent le matériel des équipes de tournage, quand elles évincent le journaliste fort curieux… (Faut tout de même pas donner l’impression que l’on censurerait la presse libre)… on ne peut s’empêcher de se demander si les choses en resteront là ou si Jean-Claude Defossé ne subira pas ultérieurement des pressions personnelles, pour ne pas dire plus.

Nous sommes en présence de deux journalismes. Et de deux genres journalistiques. Le spectateur est-il à même de décoder les différences de genres et de contextes. En apprend-t-il tout autant de l’une ou de l’autre séquence? C’est toute la question.

Au sein des rédactions du service public, les avis ont été échangé avec vigueur. Le responsable de l’info, Yves Thiran, chargé par ailleurs de formation au journalisme à l’Université de Louvain,  a pu mesurer des réactions rejoignant les deux extrêmes parmi ses collègues. Certains pensent que ce film est un « subtil décodage de la réalité ». D’autres estiment qu’il s’agit carrément d’une pub pour le parti extrémiste ».

 

Décision à Reyers

Invité, le directeur général, Jean-Paul Philippot a lui même exprimé sa gène, sur le plateau. Certes, disait-il,  dans ce genre que nous aimons beaucoup à la RTBf, le court métrage de Peter Boeckx rodé à l’exercice, est très bien réalisé. On peut y saisir toute une série d’éléments qui renforceront l’avis critique de ceux qui connaissent déjà les tendances du Vlaams Belang. Mais sa crainte, il la confiait aussi, c’est que certains citoyens encore mal informés passent à côté de ce décodage nécessaire et reçoivent alors le reportage comme une véritable promotion de ce parti  raciste.  « On ne pouvait courir ce risque » a-t-il immédiatement déclaré, d’où la raison de reporter à plus tard une diffusion initialement prévue en octobre et, raison aussi, de faire suivre cette diffusion d’un débat explicatif du malaise ressenti au sein des rédactions. Parmi les professionnels eux-mêmes, donc !

Si le débat posait les bonnes questions, il n’a bien entendu pas apporté la réponse unique et définitive aux contradicteurs. En effet, cette question précise « Fallait-il diffuser « Le Vlaams choc » a été recadrée dans un débat plus large et combien intéressant : « Faut-il donner la parole aux partis liberticides ? Et dans ce cas, comment le faire ? Peut-on informer sans banaliser ? Comment ne pas diaboliser dans le traitement, pour ne pas donner à penser que ces partis stigmatisés catalysent finalement toute la rancœur publique… avec pour résultat que les électeurs pensent que le Vlaams B. est dès lors le meilleur porte-parole des minorités opprimées? »

 

En parler ou se taire ?

Donner  un espace d’expression à certaines idéologies, c’est les faire connaître mieux…. Selon l’impact et les effets produits, il s’en suivra une meilleure critique… ou une adhésion plus massive encore. Une chose paraît pourtant claire : tenir à l’écart des micros et des caméras ne produit pour l’instant qu’une augmentation de popularité.  C’est la raison pour laquelle certains imaginent d’autres stratégies : donner de la visibilité, voire même laisser accéder au pouvoir, de sorte que l’on « juge le maçon au pied du mur ! »

On pourrait bien sûr en rester là, concluant que le compromis tenté par la cité Reyers a ceci d’intéressant, que la parole a circulé sur antenne, preuve qu’elle avait circulé préalablement au sein des rédactions et que les professionnels sont encore à s’interogger sur leur déontologie. Signe de santé, en fait. Mais le débat va sans doute plus loin encore, et demande donc à être un peu plus développé.

 

Plus comme avant

En effet, au delà du cas des partis politiques extrémistes, la question du choix éditorial et de la déontologie qui y prévaut est bien plus large. Je n’en prendrai pour illustration que cette expression par beaucoup partagée et encore relayée récemment, par un jeune que je prenais en stop. Son commentaire pour briser le silence évoquait l’attitude des jeunes aujourd’hui, de tout ce qu’on voit… et l’avenir qui s’annonce… sombre !
« Dites-moi si je me trompe, demandait-il, mais la société ne tourne vraiment plus rond, ! Ne trouvez-vous pas ? » Mes commentaires sur les constats objectifs de progrès social dans une multitude de domaines (travail, santé, instruction…)  n’auront pas fait démordre mon co-voiturier que le monde est toujourrs plus violent (on ne voit que des images de guerres à la télé), la politique pourrie, les jeunes désabusés, fainéants et délinquants. Et la nostalgie du passé de remonter alors à la surface de la conversation pour confirmer que : « Décidément, avant… tout allait quand même mieux ! »

Ce grand classique de la perception de la société qui nous entoure se nourrit bien sûr d’une certaine manière de lire les médias. Mais au delà de cette lecture, n’y a-t-il pas aussi, objectivement, une responsabilité des médias eux-mêmes, relativement à la sélection qu’ils font des infos dont ils traitent.

En cela, sans doute faut-il rejoindre Jean-Claude Defossé sur la nécessité de faire de l’Education aux médias à destination du grand public. En effet, la sélection des sujets qui seront traitées, c’est déjà un élément important de l’analyse critique. Pourquoi parle-t-on de tel événement et pas de tel autre ? La raison de base est évidente : on ne traite que ce dont on est au courant. Les médias sont eux aussi clients de l’info. Leurs fournisseurs : les agences de presse. Pour traiter d’un sujet, il faut de la matière intéressante à travailler. En radio, le texte peut suffire, en télé, il faut des images… et si possible, des bonnes. Puis, à défaut de tout prendre, il faut abandonner ce qui n’entre pas dans le gabarit de l’émission que l’on réalise : 1 minute trente pour un sujet de JT, en moyenne,  28 ou 52 minutes pour un reportage d’actualité présenté en magazine. Partant de là, les critères vont se compléter de ceux issus des lois de la concurrence qui font que l’on traite ce que les autres chaînes ont évoqué. En essayant de traiter mieux. Et puis, on sélectionne ce qui a des chances de maintenir le téléspectateur « scottché » à l’antenne. Et là, il faut bien le reconnaître : le dramatique fait recette.

 

Loi de proximité

Dans cette jungle commerciale, la ligne éditoriale a malgré tout son droit de cité. En fonction du public cible que l’on se définit, des sujets sont plus ou moins prioritaires. Joue alors la loi de proximité.  On privilégie les infos qui touchent le téléspectateur de façon plus personnelle, soit parce qu’elles se déroulent près de chez lui, soit parce qu’elles traitent d’un sujet qui le concerne, personnellement ou par identification, soit parce que ces événements ont des retombées qui ne sont pas sans conséquence pour lui personnel lement ou pour la collectivité.

Revenons donc à mon auto-stoppeur. Comme beaucoup de citoyens, le voilà impressionné par ce qu’il voit à la télé et lit dans les médias. Cette sélection, il ne la remet visiblement pas en question et semble donc conclure que « ce qui se passe dans sa télé, c’est ce qui se passe dans le monde ». Or, ce n’en est qu’une infime partie, sélectionnée sur base de critères qu’il n’aurait pourtant peut-être pas choisis si on lui en avait laissé l’opportunité.

Faut-il pour autant réagir comme certains qui disent : « Depuis que je lis comment va le monde dans mon journal… j’ai pris une sage décision : je ne lis plus les journaux ! ». Au delà de la boutade, est-ce une solution ?  Psychologiquement, certains jours on serait tenté de répondre affirmativement. Et pourtant, le travail d’éducation aux médias ne va-t-il pas dans le sens de faire percevoir avec réalisme que la sélection et le traitement d’infos incombent à des rédactions qui subissent les lois d’un marché de l’information et que le résultat final de cette sélection est une représentation toute relative de ce qui se passe dans le monde. A chacun de compléter alors sa vision du monde. Localement, il est déjà possible de pressentir le décalage entre le réel et le récit médiatique. Se poser la question « Que s’est-il  passé dans ma commune » et comparer à « ce que les médias en disent »., voilà un travail à portée de chacun. La transposition à l’échelle mondiale n’est pas un exercice facile… mais il vaut la peine d’être tenté. On en ressort sans doute un peu rasséréné. Non, le monde n’est pas proportionnellement si noir que les médias nous le présentent. Oui, le public, éduqué, est en mesure d’en faire la lecture critique.  Avec Jean-Paul Philippot à propos d’un docu comme « Le vlaams choc » , il faut alors dire: « Présentons ce document imparfait, risqué… et fauisons confiance à l’intelligence du public. Entourons-le des commentaires explicatifs minimum et revenons à l’avenir sur ce sujet délicat avec d’autres outils de communication, de sorte que rien ne reste trouble, dans le discours qui doit aider le grand public à comprendre le monde. A côté du divertissement, c’est ça aussi, la double mission de service public : informer et éduquer.




 

 

    Post a comment

    Your Name or E-mail ID (mandatory)

     

    Note: Your comment will be published after approval of the owner.




     RSS of this page

    Le portfolio d'un formateur en Education aux Médias