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Le droit à la parole - revendication d autonomie


Quand l'écoute totale réclame l'expression libre, ... c'est parfois le silence absolu


"Parle-moi, j'ai des choses à te dire". La bonne blague ! Encore qu'il s'agisse d'un livre tout ce qu'il y a de sérieux, sorti en librairie sous la plume du bien connu Jacques Salomé qui n'est pas un ignare en fait de communication. Tout cela pour dire qu'il y a des moments où l'écoute peut être vécue comme une mise à l'interrogatoire ou, à contrario, l'occasion pour l'autre de déverser ses propres états d'âme. Le piège quoi !

La communication inter-générationnelle n'est pas une chose simple. L'a-t-elle d'ailleurs jamais été ? Car il est sans doute illusoire de croire ceux qui s'illusionneraient au point de penser que "de leur temps, les relations se vivaient autrement ...mieux " Encore que, dans certains milieux, la chose était claire : il n'y avait pas de conflit de communication, puisque les enfants n'avaient tout simplement pas le droit à la parole. Mais regardons aujourd'hui : le conflit de générations n'est-il pas avant tout une question de mauvaise communication ?
Et pourtant, ... si dans ce conflit se trouvait aussi une part obligée de l'accès à notre identité ?

Affirmation de soi

Peut-on en effet grandir sans qu'il y ait ces phases d'opposition que nous décrivent aujourd'hui les psychologues et les pédo-psychiatres, phases par lesquelles nous sommes tous passés, et qui font qu'aujourd'hui, avec plus ou moins de bonheur, nous avons trouvé un certain équilibre. Cet équilibre qui nous permet de nous situer comme "je" face à un "tu" qui n'est pas, qui n'est plus, un ennemi mais le partenaire plus ou moins proche de mes jours et de mes nuits. Mais laissons, la communication conjugale pour ne nous intéresser qu'aux rapports inter-générationnels.

Allo, j'écoute

On sait depuis longtemps, l'importance de la communication dans la construction des relations humaines. Dire et se dire permet de rencontrer l'autre avec plus de vérité que dans la seule présence physique. Encore que, faut-il le rappeler, le non-verbal qui comprend notamment la vie affective est aussi une communication qui a sa richesse et qui exprime à sa façon, toute une série de sentiments de notre vécu bien mieux que ne le pourraient les mots. Mais laissons, à nouveau. Car nous voudrions illustrer combien le contexte est tout aussi important, au moment de se mettre à écouter. Reconnaissons-le, l'écoute totale, celle que l'on pourrait définir par la mise à disposition immédiate et sans limite de notre faculté d'entendre, est sans doute inefficace dans beaucoup de situations. Car comme pour l'appel téléphonique, malgré la disponibilité affichée dès le traditionel "allo" il faut reconnaître que je ne suis toutefois pas disposé à entendre n'importe quoi.

Qu'as-tu à me dire ?

"Parles-moi, j'ai des choses à "te" dire", c'est un peu ça ! Et l'interlocuteur perspicace ne s'y trompe pas, qui parfois alors se referme comme une huitre, dans le silence absolu. C'est que l'exercice ressemble trop à un "passage à table", ... un passage à tabac ! Eh quoi, ... la liberté d'expression, cela se conquiert, non ? N'y a-t-il pas un relent de combat dans l'idée de liberté ? Alors pourquoi se laisser aller à l'invitation de celui qui vous la présente sur un plateau d'argent ? D'ailleurs, certains qui s'y sont risqués se sont brûlé les ailes.

Presse à l'école

On leur avait dit que le journal à l'école, c'est un formidable outil d'expression. De démocratie, même ! Alors ils avaient plongé. Z'avaient pris la chance à bras-le-corps et la plume à pleine main. Le premier numéro étaient sorti du service photocopie de l'institution et avait connu un franc succès de diffusion. L'article de la Une avait été choisi à dessein : une remise en question radicale de certaines décisions intra muros et dont la responsabilité incombait au sous-directeur. Bref, on avait secoué le cocotier ! Et les conséquences ne s'étaient pas fait attendre : le numéro deux devrait donner un droit de réponse au sous-directeur incriminé. Polémique inégale entre celui qui détient toute une série de moments-clé de la vie de l'étudiant en ses mains, et des jeunes encore inexpérimentés dans l'échange communicationnel nuancé ! Le titulaire du cours, accompagnateur du projet appelé auprès de la direction, pour réajustement pédagogique, ... Puis un troisième numéro plus soft, ... et de numéro quatre, ... jamais ! Il y avait encore à apprendre la manière de dire les choses. Et puis l'apprentissage de ce que tout ne doit peut-être pas être traité sur la place publique !

A coup de bombes

Autre exemple. Il y a eu récemment une initiative de plusieurs organismes, pour tenter de canaliser ce mode bien contemporain d'expression que constitue le tag. En effet, l'impact psychologique des grafitis sur le climat de nos cités, ajouté au coût économique que constitue la remise en état des bâtiments et autres supports maculés -pardon, ...artistement décorés- réclamait à juste titre que des dispositions soient envisagées. Et donc, des magasins aux larges volets, la Sncb et d'autres organismes culturels d'animation de rue ont proposé des espaces d'expression pour ces jeunes avides de créer. Mais crée-t-on sur commande ? Et le choix du support correspond-t-il à la recherche -peut-être anarchique- de liberté d'expression que ceux-ci ressentent ? Certes, il faut reconnaître que, selon l'adage bien connu, "ma liberté s'arrête où commence celle d'autrui". Toutefois, si je ne peux exprimer que ce que l'on est prêt à m'entendre dire et sur le seul support que l'on met à ma disposition, ... n'y a-t-il pas guet-apen ?

Créativité subversive

C'est bien en cela qu'il s'agit d'un conflit de génération. La création qui, par définition, fait du neuf, force à la remise en question de ce que l'on a établi -parfois péniblement- en fait de convention, de norme, dans le monde des adultes. La créativité, artistique notamment, est donc subversive. Même si, comme la mode, elle est un éternel recommencement. Partant, il s'agit donc d'accepter d'entendre, mieux d'écouter des choses auxquelles on ne s'attendait pas. C'est là que se trouve tout l'intérêt du dialogue : percevoir les richesses de la différence, de l'altérité. Tout ce qu'exècre les défenseurs de l'ordre établi, les milices de l'armada fasciste, quelque soit sa couleur politique, ... de l'extrême droite ou de l'extrême gauche.
Curieux alors, de constater que très souvent l'écoute "saute" une génération et que les jeunes sont mieux compris de leurs grands-parents,. Ceux-ci en effet, ne pensent plus devoir toujours défendre ces sacro-saintes conventions, l'expérience de leur grand-âge leur en faisant voir le caractère rapidement dépassé.

Conflit à tout prix ?

Cela étant dit, ne me faites pas dire ce que je ne pense pas. Le nécessaire conflit auquel je crois devoir faire allusion ici se situe plus vraisemblablement dans l'affirmation d'idées différentes de celles de nos parents, que dans l'opposition systématique à leur personne. Autrement dit, il s'agit sans doute plus de se démarquer que de s'affronter. Et donc la crise évoquée peut-elle aussi très bien se concevoir dans un climat relationnel serein. Il ne faudrait pas voir dans ce qui vient d'être dit, une apologie de la violence verbale ou physique, mais bien la supposition d'une nécessaire affirmation de soi, par la mise à distance, la démarcation. Cela étant dit, il faut rappeler que ce principe fonctionne dans les deux sens et qu'il est tout aussi important de s'entendre dire des "non" que d'en adresser aux autres, la véritable écoute se situant dans l'ouverture à la différence. Parlons ensemble, nous avons des choses à nous dire. Et , fort heureusement, nous pouvons nous enrichir d'un véritable échange d'idées différentes. Et la chose n'est pas simple, mais quand elle se passe en toute sérénité. En effet, la capacité d'écoute est bien supérieure à la seule faculté d'entendre. Derrière les mots, se cachent des messages plus ou moins codés ou codifiés, que colore plus ou moins fortement notre inconscient. Ecouter, tout comme parler d'ailleurs, c'est donc aussi s'entendre. En commençant par l'écoute de soi-même. On devrait donc être plus tolérant, avec tout le monde, préoccupé que nous devrions être de comprendre ce qui s'exprime chez l'autre et en nous-mêmes.

Et en animation ?

Je me souviendrai toujours de Jean-Michel, ce petit louveteau, qui sur le chemin vers les espaces de jeu de la Citadelle de Namur, me racontait à moi seul son Akéla, les envols qu'il faisait régulièrement au dessus de la ville, à bord de son petit avion personnel. Que ne fallait-il pas entendre, me direz-vous ! Car il s'entêtait si je le ramenais à la dure réalité du plancher des vaches. Il avait vraisemblablement des choses à dire, bien au delà des mots, au monde des adultes que je représentais un peu pour lui, ... à propos de sa volonté d'exister, de s'élever peut-être, de se faire remarquer. D'être quelqu'un, tout simplement ... Encore qu'apparemment, il lui semblait devoir en rajouter un peu pour être reconnu. Signe d'un manque d'écoute des adultes, de son manque de confiance encore balbutiant ? Allez savoir ! Mais rien ne lui était sans doute plus précieux, pour lui, que ces moments où il pouvait s'affirmer. Et cela, c'est toute la raison d'être de la vie de la Meute ! Reconnaître l'identité de chacun et la faire grandir. Le louveteau écoute le Vieux Loup, mais il est aussi des moments où c'est aussi au Vieux Loup à se mettre à l'écoute. Pour faire grandir.
 
 


Dialogue de sourds

ou comment les structures neutralisent une saine communication



Nous partirons d'un cas vécu, bien concret. La pratique est aujourd'hui bien établie dans l'ensemble des établissements scolaires. Les élèves des classes terminales, arrivés au terme de leur cursus, fêtent l'apothéose de leurs années communes par l'organisation d'un "voyage de rhéto".
Chaque année, j'ai assisté impuissant à la mise en place d'une communication a tout le moins inefficace qui ruinait, dès l'abord, toute chance d'organisation satisfaisante. Le piège était simple et redoutable à la fois. Un professeur bien intentionné, enseignant dans les deux années du degré supérieur, sollicitait les élèves de cinquième à propos d'une destination à laquelle il avait préalablement pensé. Son choix était souvent intéressant. La formule, il est vrai assez classique : voyage en car, séjour en hotel, visites guidées, ... Le choix de la destination, d'année en année couvrant des régions qu'il n'avait pas encore visitées. Et les élèves de se mobiliser en pro et contra, entrant ainsi en conflit avec l'idée même d'un voyage de tous qui eut été conçu sur base d'un projet commun.

Sacré tradition

L'expérience des années précédentes où tout le monde n'avait pas participé relançait donc une mécanique implacable : l'agence de tourisme sollicitée faisait une proposition pour un nombre raisonnable, signifiant par la qu'elle ne pouvait de toute façon embarquer l'ensemble des élèves. Mais la chose semblait acquise institutionnellement : tous ne seraient pas du voyage. Dès lors, la boule de neige roulait plus loin, ... si tous n'y venaient pas, certains estimaient ne pas vouloir y aller. Le nombre des déçus augmentait, les place disponibles également, ... et pour combler les trous, pour que les chiffres annoncés au départ restent vrais (prix en fonction du nombre de voyageurs et places gratuites pour les accompagnateurs), le professeur organisateur accueillait certains de ses élèves de cinquième. Le piège structurel se refermait donc ainsi chaque année, laissant sur le trottoir, ... un nombre sérieux de désappointés.

Que faut-il entendre ?

C'est que l'écoute requiert d'être prêt à entendre, même ce que l'on  n'est pas susceptible d'imaginer. Que veulent réellement ces jeunes qui feraient la fête de leur dernière année ? Est-ce à coup sûr un voyage ? Est-ce nécessairement en car, à l'hôtel, pour visiter ... ? Leurs posait-on la question ou y répondait-on avant même de l'avoir posée, ... et ce bien intentionnellement, naturellement ! Et si ces jeunes avaient émis le souhait de terminer leur rhéto par un camp sous tente, une balade de quelques jours à vélo, un chantier social ou culturel, une rencontre interculturelle avec une autre rhéto à l'étranger, ... que sais-je ? Qu'est-ce qui aurait empêché que la concrétisation en soit faite, avec l'aide des enseignants aussi, d'ailleurs !

Et toi, ma fille

Mais l'institution a son poids, les habitudes leur ancres et les élèves, dès lors ... bon dos. De grâce, ma fille, toi qui sera en sixième, l'année prochaine... prends la parole, et avec tes copains et tes copines, ouvre largement les portes du débat. Comment fêterez-vous votre sortie de rhéto ? C'est à vous d'en parler, dès aujourd'hui. Et peut-être, non seulement prendrez-vous votre liberté, mais par là même, la rendrez-vous possible à ceux qui vous suivent, ayant les premiers osé rompre ce cercle institutionnel qui paralyse la véritable écoute de vos envies et de vos rêves.

 

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