Profitant de l’heure de
grande écoute des JT de la Première, la RTBf a présenté, ce dimanche 4 juillet
2014, ce qu’elle considère comme un problème de confidentialité inquiétant.
L’intervention du consultant en sécurité informatique, Olivier Bogaert, par
ailleurs commissaire de police à la Computer Crime Unit de Bruxelles, a révélé
au public que les utilisateurs de l’application mobile Facebook sous Androïd
autorisaient, sans doute sans le savoir et très certainement sans le vouloir,
la firme américaine à lire leurs sms. La pire des violations de vie privée s’il
en est !
L’affaire semblait toute nouvelle
et liée à des modifications récentes apportées dans les CGU (Conditions
Générales d’Utilisation) de l’application Facebook sous Android. Raison pour
laquelle sans doute, l’info est passée à tous les JT d’un dimanche très
familial… de sorte à susciter le débat intergénérationnel. « Facebook, le déjà très incriminé réseau social, se
permet une nouvelle intrusion dans votre vie privée : il peut désormais
lire tous vos messages privés ».
Le sujet est grave et justifie
que l’info circule non seulement en télé,
mais aussi sur le site web de la chaîne de service public.
« Un mot doux, un petit sms confidentiel ou un message purement
pratique concernant les courses à faire ou le prochain barbecue »… VOUS avez désormais donné l’autorisation à
Mark Zuckerberg de lire tous vos SMS. Ce qui veut dire qu’il lit « non
seulement tous vos messages, tout leur contenu, mais qu’il sait aussi de qui
vous l’avez reçu ou à qui vous l’avez envoyé. C’est écrit dans les conditions
d’usage de l’application : Facebook se donne le droit de lire les messages
contenus dans la mémoire de votre téléphone ou sur sa carte SIM. Du moins, si
vous êtes utilisateurs du système Androïd. Plus fort que les espions des séries
télé, les ingénieurs de Facebook se donnent donc le droit de se plonger un peu
plus dans notre vie privée ». Et le
consultant en informatique de déplorer que nous ne développions pas les bons
réflexes en continuant de fonctionner sur Internet comme dans la vie réelle. On
communique en tête à tête via le net et on croit que cela se passe comme si on
était en face à face. « Or les infos stockées sur ces nouveaux
outils peuvent être croisées et repartir » (NDLR : entendez… sortir du champ de la confidentialité).
La gravité des choses justifie
sans doute que Sud Presse reprenne l’info
en titrant « La police prévient : attention, Facebook peut lire
vos SMS ». Changement de statut :
ce n’est plus désormais une info développée par un consultant de la RTBf, mais
bien un avertissement de la police fédérale elle-même
!
A la RTFb, la journaliste
poursuivra en disant que cela pose question pour de nombreuses
professions : « ministres, médecins, avocats, policiers et
autres… . Et voilà,
signalera-t-elle, que le
mot « confidentiel » devient un véritable défi ».
Pour étayer le propos, la
journaliste interrogera ensuite un représentant de la CPVP, la commission pour
la protection de la vie privée. « Aujourd’hui, le moindre mouvement, le
moindre clic que vous faites sur votre ordinateur est mémorisé quelque part et
peut être, à un moment donné, agrégé avec d’autres informations qui vous
concernent. Finalement, la machine sait plus de choses sur vous que votre mari,
vos enfants, votre docteur et vos proches… car elle retient tout ». Et la chute revient sur Facebook qui, avec cette
capacité de TOUT archiver, retient donc désormais aussi vos sms.
Conclusion : « Aujourd’hui, plus que jamais, Facebook et
confidentialité ne font pas bon ménage ».
Où est donc l’info, dans cette
séquence ? Qu’est-ce qui est nouveau ? Qu’est-ce qui fait
« news » ? En quoi, comme le dit la maxime, le citoyen averti en
vaut-il deux ?
Est-ce le caractère pérenne de
l’info mise en ligne qui fait nouveauté ? Non ! Ca, on le sait… (ce
qui n’empêche qu’il est toujours bon de répéter les choses). Est-ce la capacité
d’agréger des infos diffusées initialement dans des registres différents (par
la revente de listings de profils utilisateur de firme à firme) ? Pas
plus ! C’est aussi une chose connue. La nouveauté, sans doute, c’est
l’intrusion dans ce que l’on croyait peut-être être le dernier rempart de la
confidentialité : le mail interpersonnel. En effet, publier en ligne, aujourd’hui,
c’est prendre publiquement part au débat mondial, c’est y tenir une place qui
construit notre identité numérique … et c’est aussi, si on n’y prend pas
garde parfois, courir le risque de développer une e-réputation pas
nécessairement flatteuse. D’où toutes ces revendications pour le droit à
l’oubli… face à des expositions de soi qui, avec le temps, se révèlent très
gênantes si l’on a été trop insouciant ! Expositions dont on est soi-même
l’auteur ou que d’autres ont mis en ligne « à l’insu de notre plein
gré ». Mais le mail… ah ça non ! C’est « Top secret ».
Ainsi donc… la force de l’info,
son caractère « news » il est là : nos mails personnels sont lus
par Marck Zuckerberg, himself. Et ne l’accusez pas à tort : c’est VOUS qui
avez benoîtement autorisé la chose en validant le contrat qui vous lie
désormais à ces satanées CGU dont on oublie de faire la lecture critique avant
de marquer son accord (NDLR : c’est nous qui soulignons).
Y a-t-il problème dans cette
manière de présenter les choses ? Certes, on peut incriminer
l’utilisateur, de sorte à le responsabiliser dans ses usages ultérieurs :
demain, l’internaute averti reverra ses comportements trop impulsifs. Mais il y
a sans doute aussi à mesurer l’impact du message, tel qu’il est formulé. Que
dit-on ici à l’usager débutant sur les réseaux et la téléphonie mobile : « Marck
Zuckerberk lit les mots doux et les listes de courses enregistrés sur ton téléphone ». Mais, est-ce vrai ? Car si cela se vérifie,
il y aurait sans doute là de quoi flipper ! Heureusement non, ce n’est pas
ça ! A l’évidence, si l’on est un peu averti de la chose, on apprend que
matériellement et contractuellement, les outils de scannage de mes messages
sont susceptibles de restituer les infos contenues dans mon portable. Mais
personne, et certainement pas le patron de Facebook en personne ne lit
consciencieusement nos SMS. Il n’y a pas d’indiscrétion personnalisée .
Entendez bien la nuance ! En fait de pistage, c’est en cas d’enquête
légitime réclamée par les services de justice ad hoc que la firme américaine
s’intéresse en fait aux profils et aux mots clés susceptibles de correspondre à
des pratiques terroristes. Cela veut dire que, pour le reste, vos infos
personnelles sont intégrées de façon non nominative à des listes d’utilisateurs
type, dont les adresses sont susceptibles d’être revendues ou utilisées pour
être associées à de la publicité ciblée.
Si cela peut malgré tout éveiller
de la suspicion, c’est surtout parce qu’on ne cesse de présenter le caractère
négatif de cette réalité (la pub ciblée) qui a aussi pourtant son bon côté. Si
l’identification de mes thèmes de recherche et les mots clés de mes propos
-jusque y compris dans mes mails- font de moi le destinataire d’une publicité
ciblée… je peux aussi trouver cela très intéressant ! Pour le comprendre,
le parallèle peut être fait avec la publicité papier qui nous arrive
quotidiennement dans nos boîtes aux lettres. Si je refuse toute publicité, je
ne suis informé d’aucune promotion. Par contre, si j’accepte une publicité
ciblée sur base d’une identification non nominative de mes goûts et envies, je
suis susceptible de recevoir des informations promotionnelles particulièrement
alléchantes. Libre à moi, ensuite, de ne pas y souscrire à ces infos qui sont
pourtant susceptibles de m’intéresser au plus haut point du fait qu’elles
concernent mes domaines de prédilection.
En fait, la technique de ciblage,
(ici le scannage de mes mails, comme ailleurs l’usage de coockies lors de ma
navigation sur le net) est intrusive si j’en ignore l’existence et ne mesure
pas son implication sur l’info qui m’est adressée. Mais si j’en reste
l’utilisateur conscientisé –et responsable- celle-ci peut révéler aussi des
bons usages que je ne souhaite alors pas nécessairement désactiver.
Car si l’on entend les conseils
du commissaire, il n’y aurait finalement qu’une solution : désinstaller
l’application Mobile Facebook. Un message qui ne passera sans doute pas dans
les familles… Une injonction semblable à celle qui inviterait à renoncer à
l’usage de l’électricité dont on vous informerait quelle peut-être mortelle en
cas d’électrocution, sans vous dire aussi ce qu’elle permet comme usages
domestiques intéressants.
Et puis, ce qui est assez curieux
dans cette info assez déstabilisante, c’est aussi que l’on présente les choses
en incriminant le déjà très célèbre réseau social, alors que d’autres services
en ligne pratiquent de la même façon sans qu’ils soient ici cités pour que l’on
comprenne bien que ce qui est dénoncé ici est devenu en fait la règle du jeu de
l’usage des outils du net.
Prenons le cas du moteur de
recherche Google. Lui aussi est le fer de lance d’une batterie d’outils en
ligne développés en interconnexion les uns avec les autres. Google, c’est le
bien nommé moteur de recherche le plus utilisé au monde.
Mais c’est aussi une messagerie en ligne, Gmail. C’est encore un réseau social,
Google+ (un équivalent de Facebook donc), c’est également un service de partage
de documents en ligne, c’est un développeur d’outils de géolocalisation (les
bien connus Google Streetview et Google Maps)… De sorte que vos usages de tous
ces outils, une fois que vous êtes référencés et que vous activez vos
sessions d’utilisateur identifié, sont
agrégés en un profil consommateur centralisé, hautement monnayable du fait de
sa valeur ajoutée. Ce n’est pas nouveau et c’est même ce qui fait la force du
groupe : la centralisation des infos. A l’utilisateur averti de se
comporter doublement de façon responsable pour en tirer profit sans y perdre
son intégrité numérique.
S’il y avait à attirer
l’attention sur les largesses d’intrusion que nous concédons quand nous
installons une application sur notre tablette ou notre smartphone, il serait
plus indiqué encore de le faire en dénonçant TOUTES les applications et surtout
celles proposées par des développeurs dont on ignore souvent tout du profil
commercial… et idéologique. La plupart des applications développées pour la
téléphonie aujourd’hui réclament le droit non seulement de modifier des
fichiers sur votre carte téléphonique (on pense bien sûr qu’ils se contenteront
de modifier ceux qui sont en lien avec l’application, en faisant des mises à
jour donc)… mais même d’en effacer le contenu, purement et simplement ! Et
nous validons cette demande la plupart du temps, sans trop nous soucier des
conséquences.
Mais plutôt que de dire que
l’utilisateur est irresponsable et ferait mieux de ne pas souscrire, il y a
lieu de réclamer la mise en place d’une législation d’application
internationale qui interdise cette pratique intrusive. C’est le monde politique
qui doit garantir la mise sur le marché d’outils respectueux des droits des
individus et des états.
Mais sans doute est-ce plus
tapageur, et donc médiatiquement plus rentable, de choisir un consultant qui
porte les insignes de la police fédérale, et qui agite la menace que nous
soyons « espionnés » du fait de notre ignorance et de notre
irresponsabilité !
L’effet attendu n’est sans doute
pas au rendez-vous : les jeunes riront au nez de ces adultes qui leurs
disent en conclusion de quitter Facebook. Et les adultes, convaincus qu’ils ont
donc raison de ne pas y être, se croiront en sécurité dans leurs autres usages
du net, alors que c’est partout que cette exposition est aujourd’hui consentie
par l’internaute… et qu’il serait plus intéressant de conscientiser au fait et
d’apprendre à gérer cette réalité devenue incontournable.