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Et si nous collaborions à ce projet… encyclopédique


A l’heure des nouvelles technologies, dans le cadre d’une recherche documentaire sur internet, les jeunes mais aussi parfois leurs aînés, sont nombreux à être surpris en délit de co-pillage. Pire, la source la plus souvent citée sans la moindre prise de distance, c’est l’encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia, laquelle figure d’ailleurs parmi les dix sites les plus visités au monde. N’y a-t-il pourtant pas lieu de faire preuve d’un peu d’esprit critique ?

Wikipédia est un vaste chantier de partage du savoir au bénéfice du plus grand nombre. Digne fille du monde du logiciel libre, cette encyclopédie initiée en 2001 par Jimmy Wales et Larry Sander  est  portée par une application logicielle gratuite : un wiki. S’appuyant sur une puissante base de données dans laquelle chacun peut introduire ses contributions, le site se décline de manière sobre en quelques pages types. Son usage est on ne peut plus simple. Actuellement, 595 745 articles ont été rédigés en français et, au total, plus de 9 millions dans plus de 250 langues. C’est ce contenu, toujours renouvelé, qui en fait sa richesse. C’est sans doute là aussi que le bât blesse.

Vaste chantier

Quand on est à la recherche d’une information sur le net, et que l’on introduit un mot clé dans un moteur ou un annuaire, il est fréquent que le site de Wikipédia apparaisse dans les premiers résultats. On a dès lors quasi tous déjà visité quelques écrans de cette encyclopédie et, selon la chance que l’on a eue, on s’y est arrêté ou, au contraire, on a fui ! Car, selon les thèmes, l’encyclopédie est une mine, un désert ou un ramassis d’insuffisances. En effet, la table des matières ne faisant pas l’objet d’une ligne éditoriale définie, le tronc commun des articles se développe de façon aléatoire, au gré des contributions volontaires des internautes. Bien sûr, on s’apercevra à l’usage, qu’il y a des portails thématiques et que des projets sont mis sur pied de sorte à fédérer des contributeurs autour de chantiers communs. Ainsi, le portail « Belgique », le portail « Wallonie » ou encore des projets thématiques comme ceux créés autour de la cynophilie, de la musique soul et funk ou de Thomas d’Aquin. Et il faut le constater, malgré ces grandes avenues autour desquelles plusieurs s’attellent à construire des corps d’articles, cela part dans tous les sens.

Ce serait un sérieux problème si on envisageait une production papier. On devrait constater qu l’on est en présence d’un immense gruyère aux larges trous. Mais en fait ici, la chose n’est pas importante en soi, car celui qui cherche un thème n’a qu’un souci : être rencontré dans son questionnement en découvrant des articles de qualité. Peu importe les vides. Si l’on accepte ce principe, tout le problème réside alors dans la validation des renseignements que l’on trouve dans cette encyclopédie libre. En effet, le système est ouvert au point que n’importe quel visiteur qui le souhaite peut activer le mode « Edition » de toute page article et y introduire des modifications, légères ou substantielles. Cette permissivité maximale est là pour garantir l’amélioration incessante du contenu. Une contribution qui démarre sous la forme d’une « ébauche » aura toutes les chances d’évoluer vers un statut d’ « article de qualité » si, tout contributeur compétent qui souhaite apporter son concours n’est pas freiné dans la démarche par une interface complexe ou l’octroi d’autorisation en écriture après contrôle et validation. Mais le risque est à la mesure : un troll qui passe par là peut déverser ses folies avec la même facilité.

Pourtant, le système maintient son choix d’ouverture et préfère croire que les vandales se fatigueront plus vite que la vigilance citoyenne qui patrouille en la personne de contributeurs bénévoles qui pratiquent un arbitrage, voire une administration contraignante, quand la nécessité se fait sentir. Il y a donc bien parfois des « guerres d’édition  », mais les wikipompiers veillent à calmer le jeu et à réclamer parfois l’arbitrage des internautes.

Libre contribution

Un article naît de l’envie d’un contributeur qui doit juste vérifier qu’il ne va pas commettre ainsi un doublon. Si sa contribution correspond aux critères d’admissibilité d’un nouvel article , la page vierge s’offre à lui : il peut tenter une première ébauche. Pour l’aider, des conseils sont donnés sur la structure type d’un article. L’internaute, selon qu’il est nouveau venu ou contributeur chevronné, s’y soumettra peu ou prou. Cela n’a pas grande importance, car cette nouvelle contribution paraîtra en mention, sur la page des nouveaux articles du jour. Un ou plusieurs autres contributeurs auront donc l’attention attirée et la veille citoyenne que nous évoquions il y a un instant, se manifestera dans la mesure du nécessaire. Une reformulation, une correction orthographique, une invitation à développer plus, une interpellation sur le sourçage de l’info apportée et sur le respect des droits d’auteurs qui seraient éventuellement malmenés… autant de raisons pour que la collaboration s’installe autour de cette première contribution.

Premiers pas

Mais avant de se lancer dans la rédaction d’un nouvel article, c’est souvent par la modification d’un article existant que l’on fait ses premiers pas de contributeur. La correction d’une faute de frappe, l’ajout d’un paragraphe ou d’une photo d’illustration… voilà des démarrages classiques. Et la première fois qu’on s’y autorise, on est toujours interloqué de la facilité. Aussi simple que ça ! Mais alors n’importe qui peut écrire n’importe quoi !? C’est ce que l’on retrouve dans ce témoignage repris du journal des nouveaux arrivants , où un jeune s’étonne de ce qu’il a pu introduire dans l’encyclopédie, et qui l’exprime d’une manière qui laisse percevoir toute l’acuité de la problématique dont il est certes bien conscient, par ailleurs.

« Erreur dans les articles [titre] bonjour à tous, je veut vous poser concernant la participation plutot la modification d'un article dans wikipédia. je vien d'ajouter à un article sur robert de niro un film que l'auteur à oublié, il s'agit de "stardust", le probleme ne se pose pas ici, mais dans la facilité de modifier, imaginez que je me trompai, ou que je voulais plaisenter et ajouter n'importe quoi, ce n'est pas avec moi, mais il existe des personnes comme ça...........vous n'avais pas pris le temps de verifier l'information que j'ai ajouté, donc s'il y avait une faute et que quelqu'un lise cet article, les gens vont prendre de fausses informations, ce n'est pas logique non??????? j'attend votre réponse avec impatiance. »

L’intérêt de contribuer, comme de passer derrière la caméra en matière de vidéo, c’est de se rendre compte de la manière dont les choses fonctionnent. En effet, quand on voit la simplicité avec laquelle les modifications sont apportées et que l’on mesure combien une formulation initiale peut être par la suite retravaillée avant d’atteindre un statut d’article de qualité, on relativise sérieusement l’adhésion spontanée à quelque expression qui revendiquerait le statut de dogme. Certes, pour évoquer d’autres référents, le dictionnaire par exemple énonce toute une série de concepts dans une formulation qui a fait l’objet d’un consensus. Mais une encyclopédie va plus loin qu’un dictionnaire. Les articles présentent des idées, des théories, des explications,… ou  relatent des faits. Et l’on se rend compte alors que les formulations ont plus de difficultés à recueillir un large consensus. On comprend par l’exercice même de la formulation provisoire et de l’acceptation de la correction mutuelle, que les connaissances et les savoirs humains sont véritablement des constructions, des élaborations. Et il saute aux yeux qu’il peut alors y avoir des a priori, des jugements, des emportements qui expliquent que les énonciations ne soient pas si facilement acquises. C’est pourquoi, toute page « article » de l’encyclopédie comporte sa sous-couche « Discuter ». Et cela, cà n’existe pas dans les ouvrages papier comme la Britannica, l’Universalis ou l’encyclopédie Larousse. C’est toute la force et toute la faiblesse de Wikipédia. Plutôt que de garantir une et une seule formulation qui soit indiscutable, le choix a été fait de laisser souveraine la communauté des utilisateurs-contributeurs.

L’usage de l’encyclopédie Wikipédia requiert donc un esprit critique particulièrement aiguisé. Pour tout article que l’on consulte, il y a lieu d’interroger la sous-couche « Historique ». C’est là que l’on peut découvrir la trace des contributions qui ont produit la version actuelle de l’article. Et c’est ainsi que l’on peut interroger les auteurs de ces contributions successives, en se rendant sur leur page personnelle de contributeur enregistré et en entamant éventuellement le débat dans la sous-couche « Discuter ».

Licence libre

On se rend compte, donc, que l’encyclopédie Wikipédia est tout autant intéressante à être considérée comme un réservoir de connaissances que comme un chantier de construction des savoirs. D’utilisateurs, l’internaute se découvre une capacité de contributeur, à la condition, bien sûr qu’il entende et respecte les règles du jeu. Tout contenu qui sera apporté doit correspondre aux critères d’admissibilité. Clairement, il ne s’agit pas de faire de Wikipédia une plate-forme d’expression personnelle, car le souci doit d’abord être de partager des connaissances qui intéressent tout le monde et pas d’abord soi-même. De plus, pour des questions de fiabilité, il est demandé de ne produire que des apports déjà publiés par ailleurs et ayant en quelque sorte reçu un cachet de validation externe. Il est demandé toutefois de respecter la législation en matière de droits d’auteur. En effet, le principe de publication sous licence libre est au centre de Wikipédia. Tout le contenu apporté doit pouvoir être appréhendé et réutilisé par tout internaute, sans devoir s’acquitter de quelconque frais. C’est l’intuition de départ des fondateurs : offrir au public un accès gratuit à un savoir le plus large possible.

Face à cette démarche de construction et de partage du savoir, il en est encore qui insistent sur l’intérêt de valider à tout prix. Ils posent la question de l’expertise mais reconnaissent très vite que la validation de l’expert est déjà en soi une source de difficulté. Pourtant, beaucoup continuent d’insister en ce sens, car ils aimeraient pouvoir publier des parties thématiques WIkipédia sur supports mobiles (Dvd, CD-rom…) de sorte à fournir des référents de qualité à des publics victimes de la fracture numérique, notamment de par le fait qu’ils ne sont pas connectés en permanence et à des coûts raisonnables. Mas cette volonté généreuse de sortir un certain nombre d’articles (selon quels critères, plutôt ceux-ci que ceux-là, et dans quelle version parmi toutes celles que ces articles ont déjà connus ?) du processus permanent de réécriture ne dénature-t-elle pas le fondement même de l’encyclopédie collaborative ? Ce vaste double débat, expertise et validation de contenu, a retenu l’attention de deux des trois ateliers organisés l’après-midi du samedi lors du Premier colloque Wikipédia qui s’est tenu en octobre 2007 à Paris, à l’initiative de Wikimédia France. On verra dans les prochains mois, si la problématique évolue vers la mise en place de nouveaux processus. Nous dirons pour notre part, qu’un conférencier est intervenu de façon très intéressante sur la problématique de la validation des contenus, mais en faisant une proposition qui, à notre sens, respecte le fondement de l’encyclopédie. Il s’agissait de présenter un certain nombre de pictos qui pourraient dans un proche avenir, agrémenter les pages de chaque article de l’encyclopédie. Il ne s’agirait pas d’indices définitifs de validation, mais bien de mise en forme statistique  de critère d’appréciation, lesquels réclameraient malgré tout d’être interprétés, travail qui ne dispenserait donc pas l’utilisateur de réfléchir, mais qui attireraient plutôt son attention en posant de bonnes questions. Comme formateur en éducation aux médias, je ne pouvais qu’être séduit par cette méthodologie critique qui laisse la responsabilité finale à l’utilisateur. Le risque en effet était grand de voir apparaître des instruments de validation définitifs qui dispenseraient l’utilisateur d’être vigilant et qui, comme un air-bag installé sur nos puissants véhicules, nous donneraient peut-être à  tort, un sentiment de sécurité qui nous ferait trop vite baisser notre garde. En cela, la proposition faite était très attrayante parce que très responsabilisante et très éducative, en somme.


Le chercheur est d’abord quelqu’un qui cherche avant de devenir quelqu’un qui trouve. Dans le même ordre d’idée, Wikipédia nous plonge dans le réalisme du savoir en train de se construire plutôt que devant l’illusion d’une réalité qui, telle une pensée unique, s’imposerait à tous, de façon monolithe.
 

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