Les nouveaux outils de communication sont les
canaux par lesquels s’organise aujourd’hui la mobilisation citoyenne. Pour
mettre en place un flashmob ou faire camper au 16, rue de la loi plus de
163.499 personnes, les envois de SMS et les réseaux sociaux battent largement
le rappel. Mais quel serait le succès de ces rassemblements sans une part
active des médias classiques ? Et peut-on dès lors parler de révolution
2.0 ?
Pour
la 8ème édition du "No pants 2k9", cette « journée sans
pantalon », 2500 personnes au total dans 22 villes
différentes, et 1200 personnes à New York ont enlevé le bas dans le
métro ! (1) C’était en janvier 2009. Pas si récent, le phénomène. Quelques
mois plus tard, Improv Everywhere (2) réussissait à remplir un métro de jumeaux
face à face, créant un véritable "miroir humain". C’est déjà eux qui
avaient organisé le "frozen" ou "gel" de la gare Grand
Central, lors duquel on avait pu voir 200 personnes se figer au même moment
pendant 5 minutes, sous les yeux étonnés des passants (3). On ne compte plus
aujourd’hui les mobilisations éclairs chorégraphiées sur fond musical. En
Belgique, la plus médiatisée fut celle du 23 mars 2009 en gare
d’Anvers sur l’air de « Do-ré-mi », extrait de la comédie
musicale « La mélodie du bonheur » (4).
Mais,
direz-vous, il ne faut voir là que du divertissement, sans plus ! Ces
acteurs d’un jour ne se connaissent pas. Leur rassemblement sera sans
lendemain… et l’effet de leur action rien de plus que ludique. Peut-être !
Pourtant,
le concept est mobilisateur et commence à faire école. Et il est intéressant
dès lors, de l’analyser de façon plus détaillée, car il interpelle aussi nos
pratiques citoyennes. Doit-on craindre ces mouvements grégaires d’opinion
publique ? Y voir l’émergence de manifestations populistes un peu
facile ? Observons : une voix s’élève d’on ne sait où pour inviter à
un comportement convenu. Ici, il s’agit d’apprendre une chorégraphie pour la
présenter ensuite à un public médusé, là d’oser le ridicule vestimentaire.
Ailleurs encore de simuler la contagion spontanée d’une irrésistible envie de
chanter un alléluia de Noël. D’autres (pas loin de 21.000 venus assister à un
concert en plein air à Chicago), surprennent une vedette du petit écran (Oprah Winfrey) par une
gigantesque mise en scène lors de sa présentation toute innocente d’un concert
des Black eyed peas (5). La liste des exemples est longue. Pour la découvrir,
scrutez les résultats d’une recherche sur Youtube. Mot clé : flashmob,
bien sûr ! Pour beaucoup de ces situations, la réponse des internautes est
soudaine et calibrée par la consigne. Pas question de faire preuve d’originalité…
Tout a été pensé pour vous, il faut plutôt se couler dans le moule. Et même si
votre adhésion demande une longue préparation (apprentissage d’un chant, d’une
chorégraphie…) vous êtes tenus de calquer votre démarche sur celle du modèle
imposé. C’est l’effet de groupe, son caractère inattendu et sa démesure –quand
c’est possible- qui en feront le succès. Mouvement grégaire où l’on est un peu
mouton dans la masse ? Pourtant, si cette adhésion paraît assez impulsive
et irréfléchie, il faut reconnaître qu’elle vous introduit au cœur d’une action
collective, parfois très créative, où le rôle de chacun est décisif. En cela,
le phénomène est identique au lipdub (6), lui aussi très populaire. Adhérer à
un flashmob, c’est comme apporter sa pierre à l’élévation d’un édifice. Un peu
comme voter aux élections. Une voie isolée ne représente pas grand chose, mais
associée aux autres, elle participe et soutient une vision globale. De là,
cette invitation à aller « camper au 16 de la rue de la loi » (7). A
leur façon, les organisateurs invitent à manifester et proposent pour l’heure, une mobilisation
citoyenne…virtuelle. Alors que d’autres, (c’est le site internet SHAME),
invitaient à descendre IRL (8), dans la rue ce 23 janvier 2011. Plus de 30.000
personnes ont répondu à l’appel ! Les organisateurs se servent aujourd’hui
des réseaux pour mobiliser leur public. Basées sur le principe « les amis
de mes amis sont mes amis », ces communautés en ligne colportent leur
message, non plus de bouche à oreille, mais via les GSM, les flux RSS de
Twitter ou de Facebook, ou les vidéos de Youtube (9). Le succès est immédiat
car le buzz s’installe rapidement. Si ce sont des tentatives ludiques -et
quelque peu boys scout- qui ont popularisé le concept du flashmob, on peut
remarquer que, depuis, il a été mis au service de causes plus engagées.
Printemps arabe. Le cas de la Tunisie
Depuis
la révolte tunisienne, on ne parle plus que de cela : Le printemps arabe,
une révolution 2.0 ? Vrai et pas vrai à la fois ! Car on n’a pas
attendu l’internet pour faire la révolution de par le monde. « …,
depuis que le monde est monde, les réseaux sociaux existent, professionnels,
culturels, religieux, de classes sociales ou encore d’origines scolaires… et
internet n’a rien inventé là-dedans ! Simplement, l’essor d’internet et la
faculté de créer des connexions et d’interagir à vitesse grand V grâce à ce
dernier a multiplié en un temps record le nombre d’utilisateurs des réseaux
sociaux en ligne.(10) » Et il
semble bien que, dans les pays en proie à un pouvoir fortement centralisé, les
jeunes –généralement désoeuvrés –
soient influencés par l’accès généralisé au spectacle de la planète terre. Leur
pratique des nouveaux médias renforce leur envie d’être citoyens d’un pays
libre, d’un pays ouvert sur l’extérieur… afin aussi d’accéder à une économie de
marché qui semble plus souhaitable que leur sort du moment. Les nouveaux médias
seraient donc à la fois révélateurs d’un besoin viscéral de démocratie et
déclencheurs de la démarche citoyenne pour y répondre : la mobilisation
populaire. Mais, plusieurs s’accordent à le dire, le moteur de la révolution
tunisienne n’est pas d’abord numérique. En effet, comme le fait remarquer
Olivier Cimelière, « Pourquoi a-t-il fallu tant de tentatives avortées
avant qu’enfin le régime de Ben Ali ne s’écroule ? N’a-t-on pas prêté un impact
un peu trop disproportionné à l’agitation digitale qui ne date pas d’hier en
Tunisie ?(11) » Et de poursuivre
l’instant d’après : « Il est indéniable que les réseaux sociaux
ont été d’un précieux recours pour attiser les braises de la révolte. Mais se
cantonner à l’effet numérique revient à négliger un point crucial. Un point que
l’on retrouve dans quasiment toutes les révoltes à travers les temps : la
misère et l’absence de justice et d’espoir. Longtemps cité en exergue comme un
miracle économique, le pays a surtout laissé pourrir et se creuser une
irréversible fracture sociale où les richesses étaient captées par une minorité
de nantis et où les jeunes diplômés très éduqués rejoignaient en masse les listes
du chômage. ». Pourquoi alors,
cette fois-ci, cela a-t-il marché ? Parce que précédemment, les médias
plus anciens, chaînes de radio et télévisions notamment, étaient sans doute
plus contrôlés par le pouvoir en
place, et contenus dans une ligne éditoriale aux référents sous étroite
surveillance. Avec l’ouverture des frontières que constitue l’émergence du net,
les référents sont désormais ceux-là que véhicule la mondialisation des
rapports humains… Fussent-ils virtuels. A tel point d’ailleurs que les accès
aux réseaux ont été restreints par les pouvoirs en place, une fois découverte,
la nature mobilisatrice des réseaux sociaux. C’était visiblement sans compter
sur le niveau de compétence des jeunes internautes déjà rompus à l’usage du
cryptage, des proxys de liaisons et des téléphones satellites (12). Et donc, «faute
de médias puissants et libres, les réseaux sociaux ont permis alors de
catalyser la rage et d’agréger les aspirations au changement ». Mais la révolution ne se fait pas derrière un écran.
Il faut descendre dans la rue ! Plusieurs jeunes manifestants le disent,
agacés qu’ils sont parfois d’entendre parler de révolution 2.0. Les réseaux
sociaux sont en effet pour certains analystes, basés sur des relations faibles
qui sont loin d’être des vecteurs d’activismes puissants : « C’est
fantastique pour la diffusion de l’innovation, la collaboration
interdisciplinaire, la mise en contact entre acheteurs et vendeurs ou encore la
logistique du monde de la drague. Mais les liens faibles ont rarement conduit à
l’activisme à haut risque » (13). En d’autres termes, l’engagement sur les
réseaux sociaux –le désormais bien connu clic sur le bouton
« J’aime »- serait plutôt une manière de s’acheter à peu de frais une
conscience révolutionnaire mais pas une façon d’entrer en résistance et de
mener le combat pour une cause. L’engagement politique : tout le contraire
des batailles de polochons (14) ou des freeze (15). Du flashmob à la révolution
donc, il y a de la marge ! Entrer en révolution n’est pas une simple chorégraphie
urbaine. Sans un vrai travail
socio-politique de terrain, IRL (16), très peu de chance que le virtuel suffise
à mobiliser au delà d’un simple happening.
(1) url : http://www.lepost.fr/article/2009/01/16/1388689_mobilisation-eclair-sans-pantalons-dans-le-metro.html
(2) Improv Everywhere : société de mise en scène de
chaos ou de liesse collective dans des lieux publics.
(3) url :
http://www.dailymotion.com/video/x48nid_207-personnes-gelees-grand-central_fun
(4) url :
http://www.dhnet.be/cine-tele/musique/article/258009/la-gare-d-anvers-se-transforme-en-ballet.html
(5) url : http://www.truestories.fr/2975-Le_plus_grand_Flash_Mob_pour_Oprah_Winfrey
(6) Lipdub :
littéralement : doublage du liping. Autre concept web mobilisateur des
foules : à la façon d’un clip tourné en un seul plan, une foule
d’individus passe devant la caméra, chacun immortalisant à son tour quelques
mots d’une chanson pendant que le travelling donne à découvrir le lieu de
tournage : une école, une entreprise…
(7) http://www.camping16.be/index.php?l=fr
(8) IRL : in real live
– dans la vie réelle :
url : http://230111.be/
(9) url : politieke chaos (sous-titrée
fr) : http://www.youtube.com/watch?v=7RaJJCrIQLw&feature=related
(10) http://www.revolutiondeuxzero.com/?p=1272
(11) http://www.leblogducommunicant2-0.com/2011/01/31/tunisie-%E2%80%93-egypte-peut-on-vraiment-parler-de-revolution-2-0/
(12) http://www.agf-consultant.ca/2011/04/05/rvolution-2-0-dans-les-pays-arabes-bilan/
(13) Sur
la révolution 2.0 : http://zeboute.wordpress.com/2011/02/21/reseaux-sociaux-le-mythe-de-la-revolution-2-0/
(14) http://www.leblogducommunicant2-0.com/2011/01/31/tunisie-%E2%80%93-egypte-peut-on-vraiment-parler-de-revolution-2-0/
(15) Idem :
http://www.forum-edemocratie.com/2011/02/r%C3%A9volution-20-acte-ii.html
(16) http://www.youtube.com/watch?v=y47gbuF0orQ
(17) http://www.youtube.com/watch?v=jwMj3PJDxuo
(18) IRL :
in real live dit-on dans le langage des
technologies