Les techniques commerciales des milieux de la santé (les marchands de
médicaments, plus précisément) sont comparables aux manœuvres insistant
constamment sur les dangers d’Internet : médicaliser toutes les facettes
de la vie, exagérer les risques, vous convaincre que vous êtes malade
(accroc), simuler des pandémies, bref… faire peur pour vendre !
L’art de convaincre est un genre particulier de la communication. On le
retrouve décliné dans deux canaux devenus des classiques : la publicité
et la propagande. Sous-jacente à ces deux modèles d’expression, la
manipulation du destinataire qui justifie pleinement que l’on
entreprenne l’éducation critique de ce dernier, de sorte qu’il ne se
méprenne pas sur le contexte particulier de communication dont il est la
cible et qu’il dispose des clés d’interprétation adéquate.
Publicité et propagande ne sont toutefois pas à ranger dans le même
registre. La publicité est née de la nécessité pour le commercial de
porter à la connaissance d’un large public l’arrivée de nouveaux
produits ou services sur le marché des échanges. Il s’agit bien
d’information à caractère commercial. La propagande, elle, vise à
orienter la perception idéologique de faits dont on a pu se faire un
avis propre, dans un premier temps. La difficulté de ce positionnement
de départ tient à l’information dont on dispose pour le faire, la
propagande n’hésitant pas à travestir les faits pour une interprétation
orientée. Cette stratégie est évidemment tenue secrète, toute
identification révélant la manipulation [1].
Au contraire, les opérateurs publicitaires et les techniques
utilisées en marketing sont connus sur la place publique. Ce sont
généralement des agences qui ont pignon sur rue et qui vendent chères
leurs prestations. L’entreprise qui recourt à leurs services peut même
introduire ces frais de communication dans sa comptabilité… C’est dire
si tout est déclaré et public. De même, la publicité qui s’offre
aujourd’hui des pages entières dans la presse écrite ou des spots radio
et télé aux heures de grande écoute est-elle identifiée par une mise en
forme, par des génériques de début et de fin qui mettent le focus sur
« l’espace et le temps publicitaire » et permettent au consommateur de
se savoir la cible d’un discours qui a la fonction que l’on sait [2].
Vous êtes le message…
Bien sûr, la publicité a évolué depuis sa création. Les techniques se
sont affinées et on est loin de la délivrance d’un simple message
informatif à caractère commercial du genre : « Nous informons notre
aimable clientèle de la sortie d’une nouvelle gamme de nos produits bien
connus ». Les stratégies modernes jouent sur des finesses qui ont tout
du conditionnement. Mais elles ont le mérite de jouer cartes sur table
en se déclarant « message publicitaire ». Ce n’est que quand elles
contreviennent aux principes établis et qu’elles se muent en
publi-reportage qu’elles prêtent le flanc à la critique… le fait de
contrevenir aux règles portant préjudice tout autant à la publicité
qu’au journalisme qui l’héberge alors.
Certes, un genre nouveau est apparu ces dernières années, qui fait du
consommateur le vecteur principal de la promotion : la publicité
virale… encore appelée tribale. Mais là encore, le fait de céder à la
tentation reste un acte volontaire de la part des intervenants. Porter
un tee-shirt ou des pantoufles qui affichent la marque de
l’équipementier n’est plus du seul ressort des sportifs de haut niveau.
Si tous aujourd’hui veulent se prendre pour des panneaux publicitaires
et jouer les hommes et femmes sandwiches, c’est encore leur liberté de
le faire. Les alternatives existent qui rendent donc le choix délibéré.
C’est quand la manipulation s’appuie sur de la désinformation
insidieuse que l’on bascule dans cet autre registre, celui de la
propagande. On se rend compte alors que plus que de promotionner un
produit ou un service (quitte à entrer en opposition avec la concurrence
et à discréditer l’autre pour mieux briller - on parle alors de
publicité comparative) on entre dans un discours qui porte atteinte à
l’intégrité de l’individu, du consommateur. Celui-ci est malmené, son
appréciation est faussée du fait qu’il est privé des éléments
nécessaires à une autonomie de jugement. On lui ment sciemment. On le
désinforme. On le manipule.
Gardes-fous
Concernant les pratiques commerciales, la société démocratique a
d’ailleurs bien perçu la différence. Elle a prévu des gardes fous pour
les situations où la méprise entre les genres serait possible. Elle
interdit carrément par exemple la publicité pour les professions
libérales. Un médecin ne peut vanter les mérites de son art. Ayant
prononcé le serment d’Hippocrate, il entre dans la grande famille des
confrères auprès desquels il a notamment juré d’adresser les patients
qui seraient ainsi mieux lotis. Le service qu’il rend en exerçant comme
professionnel de la santé, n’est pas un commerce au sens où on l’entend
classiquement. Et c’est heureux, sans quoi…
La législation est également stricte sur la publicité dans le secteur des médicaments. Elle stipule que « Seuls
les médicaments qui ont une autorisation de mise sur le marché (AMM)
peuvent faire l’objet d’une publicité, que celle-ci doit favoriser
l’usage rationnel du médicament en le présentant de façon objective et
sans en exagérer les propriétés, qu’elle ne peut être trompeuse et doit
comporter un certain nombre de mentions obligatoires telles que : Ceci
est un médicament – Pas d’utilisation sans avis médical… Seuls les
médicaments qui ne sont pas soumis à une ordonnance peuvent faire
l’objet d’une publicité. Celle-ci doit être contrôlée avant diffusion. [3] »
Pour veiller au respect de cette pratique, il a été créé une AFMPS –
Agence Fédérale du Médicament et des Produits de Santé qui a pour
mission de veiller à ce que les patients disposent d’informations
pertinentes. C’est donc elle qui contrôle la publicité de ce secteur
particulier… pour qu’elle demeure un « message d’intérêt général ».
Difficile dans ce contexte très surveillé, de promouvoir un marché
commercial qui, à beaucoup d’autres pareils, veut d’abord et avant tout
faire du chiffre. Dès lors, il faut contourner les lois et harponner le
client par d’autres voies. D’autant que, comme le précise Maurice
Vanbellinghen collaborateur à la revue Test-Santé, la publicité a un
inconvénient majeur : « Le consommateur la reconnaît d’emblée pour ce qu’elle est… ce dont, après des décennies de matraquage, il commence à se lasser ».
C’est pourquoi d’autres stratégies sont imaginées : des campagnes
d’informations sur les maladies à éviter ou sur les comportements de
prévention à adopter (sans citer vaccins et médicaments nommément, mais
en jouant sur une charte graphique qui rappelle étrangement celle de
gammes de produits), le développement de sites internet à contenu
informatif comprenant des études, des statistiques, des suggestions en
matière de santé publique… et surtout des campagnes de promotion pour
combattre des situations diagnostiquées désormais comme maladies ou
troubles de la santé.
Exploiter les peurs
C’est le grand retour du Dr Knock, conclut Marc Vanbellinghen : « On
essaye de convaincre des personnes en bonne santé qu’elles sont
malades, ou des personnes avec un problème bénin qu’elles ont une
maladie sérieuse qui demande un traitement médical ». La
philosophie sous-jacente est celle de Knock imaginé par Jules Romain en
1923 : « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent ». C’est
donc de la même façon que les stratégies marketing des plus grosses
firmes pharmaceutiques qui pèsent quelque 500 milliards de dollars sur
le marché international, ciblent dorénavant les bien-portants de manière
agressive, exploitant leurs peurs les plus profondes : de la mort, du
délabrement physique et de la maladie et changent ainsi littéralement ce
qu’être humain signifie : les hauts et les bas de la vie de tous les
jours sont en effet devenus des troubles mentaux ; des plaintes somme
toute communes sont transformées en affections effrayantes, et de plus
en plus de gens ordinaires sont métamorphosés en malades [4].
Quel rapport avec tous ces articles qui nous mettent volontiers en
garde contre les « dangers du net ? » Le parallèle est aisé à faire.
Présenter un simple facteur de risque comme un sérieux danger à dépister
dans toute la population (rencontrer un inconnu pervers via le web),
exagérer les risques d’un comportement excessif pour envoyer un maximum
de gens consulter un spécialiste (les jeux en ligne), conférencer,
soutenir, voire créer des associations qui s’inquiètent d’usages encore
méconnus et donc déstabilisants (haro sur les réseaux sociaux), dénoncer
une fracture intergénérationnelle qui, bien sûr, ne peut qu’être
dommageable à la jeune génération inconsciente (ils copient-collent tous
à partir de Wikipédia), émouvoir le sens de la responsabilité parentale
en imaginant une typologie des débordements possibles et en les nommant
de néologismes aussi effrayants qu’incompréhensibles (connaissez-vous
le sexting, le phising, le cyberbullying ? Pas plus que l’onychomycose [5], j’imagine ! Ou que l’hypotrichose ciliaire [6])… Les stratégies de propagande se ressemblent entre les deux secteurs.
Le problème, comme le dit Marc Vanbellinghen toujours, c’est que « Ces
pratiques ne sont elles-mêmes pas toujours dénuées de risques. Le
bénéfice qu’un individu peut en attendre doit toujours être mis en
balance avec les effets indésirables directs et indirects possibles. Or,
dans les prétendues campagnes d’information et de sensibilisation (des
firmes) les données [7]
qui permettent une telle évaluation brillent généralement par leur
absence. Le consommateur risque dès lors d’être exposé à une
intervention dont les risques peuvent être plus importants que les
bienfaits. […] En outre, ces pratiques risquent de distraire d’une prise
en charge (non médicamenteuse) des facteurs de risque. Elles créent
enfin un perpétuel sentiment d’insécurité (en matière de santé) qui a un
impact négatif sur le bien-être psychique et la qualité de vie. »
Le salaire de la peur…
Ces pratiques tendancieuses des entreprises pharmaceutiques sont de
même nature que les discours exagérément alarmistes de certains
opérateurs du net. Faut-il pourtant croire que cela rapporte d’inquiéter
les gens ! Sous la direction de la commissaire Nellie Kroes, la
Commission européenne a organisé une enquête sur le secteur
pharmaceutique (par des inspections et des perquisitions non annoncées).
Pendant cette période, il apparaît que « les investissements
consentis en Recherche et Développement se sont élevés à 17% du chiffre
d’affaire global. Les coûts de fabrication quant à eux, ont représentés
21 % du chiffre d’affaire. Et ce ne sont pas moins de 23 % qui
représentent les dépenses faites en opérations de vente et de promotion…
la publicité dépassant donc, en termes de budget, le montant de la
recherche scientifique par laquelle les multinationales pharmaceutiques
justifient le coût élevés de leurs produits [8] ».
Dans le domaine de l’Internet apparemment, il est aussi porteur
d’inquiéter plus que d’éduquer. La démarche est plus simple dans la
mesure où elle joue avec les fondamentaux de l’individu : santé,
sécurité, adhésion à la norme, protection des plus faibles, défense de
son confort personnel et du droit de chacun à une vie privée… Des
principes auxquels on adhère sans trop devoir réfléchir. Des principes
qui éveillent des peurs viscérales quand ils semblent menacés. Or tout
cela a un coût pour la collectivité. Comme nous le reprenions ci-dessus à
propos de la prévention en matière de santé, « ces alarmismes risquent de distraire d’une prise en charge sereine des facteurs de risque ». Car, il faut réalistement l’admettre, les risques sont inhérents à la vie. De plus, « ces discours créent un perpétuel sentiment d’insécurité qui a un impact négatif sur le bien-être psychique et la qualité de vie ».
Ce n’est pas rien non plus en matière d‘éducation. La jeunesse a droit à
un climat de sérénité pour réaliser ses apprentissages. La jeunesse a
droit à une relation de confiance pour oser se mettre à l’école des
adultes qui les encadrent [9].
Elle a droit aussi à une vision positivante de son avenir qui lui donne
le cadre motivant pour vouloir avancer. Bien sûr, il ne s’agit pas de
leurrer nos enfants… Mais qui trompe qui, quand on entre de la sorte en
propagande avec, derrière la tête, de telles intentions mercantiles (les
industries pharmaceutiques) ou de telles rigidités idéologiques basées
sur des attentes sécuritaires à ce point excessives (certains
opérateurs du net) ?
Aux pseudos malades, les entreprises pharmaceutiques proposent leurs
petites pilules miracle. Mais que suggérera-t-on aux jeunes utilisateurs
du net, si inconsciemment livrés aux dangers du net ? Quelle parade en
gélule ou transfusion logicielles ? Ont-ils seulement besoin d’une
potion magique pour user correctement des nouvelles technologies, eux
qui sont tombés dedans « tout petit » ? Cessons de leurs faire peur… ces
stratégies de propagande les distraient des vraies compétences à mettre
en place pour un usage réfléchi et performant des outils de leur
modernité.
Michel BERHIN
Juillet 2012
[1]
Pour ne pas toujours parler des charniers de Timisoara (Roumanie,
1989), on choisira le tout aussi célèbre cas de la destruction des
incubateurs qui aurait emporté la décision du peuple américain de
soutenir l’intervention militaire - par ailleurs déjà enclenchée - au
début de la Guerre du Golfe (Koweit, 1990)
[2]
Rien d’anormal et de choquant là-dedans. C’est plutôt, on le
rappellera, les propos de Patrick LeLay, directeur de TF1, qui devraient
soulever l’indignation quand il disait « fournir du temps de cerveaux
disponibles aux publicitaires », en programmant les émissions de sa
chaîne, véritable machine à laver la pensée critique citoyenne.
[3]
Dans la revue « Le Chaînon, n° 22 – Avril-Juin 2011, Ligue des Usagers
des Services de Santé, LUSS ASBL - Dossier : « La publicité des
médicaments », page 4.
[4] En substance, tiré de « Selling sickness de par Ray Moynihan et Alan Cassels, http://pharmacritique.20minutes-blo...
[5]
Pourtant tous nous connaissons Diggy le Dermatophyte qui présente à
l’heure du repas cette mycose de l’ongle de l’orteil qui, pour être
disgracieuse, n’est en rien une maladie grave.
[6]
Si vous en êtes atteints, votre cas n’est pas sans appel : vous avez
juste les cils plus courts que la norme. Mais il paraît que ça se
soigne !
[7]
NDLR : des données précises, fiables et représentatives… car on ne
manque pas de citations en copier/coller, d’études basées sur des
approximations méthodologiques, plus alarmistes les unes que les autres.
[8]
Dans la revue « Le Chaînon, n° 22 – Avril-Juin 2011, Ligue des Usagers
des Services de Santé, LUSS ASBL - Dossier : « La publicité des
médicaments », page 10 (article du Dr. Johan Vandepaer : « Publicité
pharmaceutique : information indépendante… ou doper les ventes »).
[9] Lire à ce propos notre analyse à propos de Loys Bonod : « E-conoclaste pédagogie : un Troll de prof sabote le net » http://www.media-animation.be/E-con...