Dans cette même rubrique,
le numéro 54 posait la question de la Fracture numérique… insistant sur le fait
que le « tout au numérique » risquait de creuser le fossé entre
« ceux qui ont » et « ceux qui n’ont pas »… la technologie
à disposition. Poursuivons donc en évoquant les dérives de ceux qui verseraient à l’excès dans l’usage
des écrans.
Osons
d’emblée la question qui fâchera peut-être : « Le sous-titre choisi
pour cette rubrique « Génération médias » serait-il un pousse au crime ? » En effet,
« Reste branché » est
peut-être pour certains d’entre nous une invitation déplacée, tant leur
consommation des écrans a déjà atteint des quotas inavouables. « Mais
non ! » répondront peut-être alors plusieurs d’entre nous, mi-amusés,
mi excédés… tant il est vrai qu’en matière de regard critique, on est plus prompt
à voir ce qui cloche dans le comportement du voisin que dans le sien !
Mea
culpa
Et
si on profitait malgré tout de cet article pour oser une introspection
lucide ? « Suis-je accro à mes écrans ? »… Tous mes
écrans ! La télé, bien sûr, mais aussi l’ordi, les consoles de jeux,
l’écran du GSM… Car il y a maintenant un tas de petites lucarnes incrustées
dans nos vies. Non ? Alors, combien d’heures quotidiennes durant
lesquelles des millions de pixels hypnotiseurs s’activent à nous baigner
les mirettes ? En fait, le chiffre exact importe peu… L’indice révélateur d’un
éventuel dérapage est d’abord à chercher dans la réaction de notre entourage.
L’alerte est en effet souvent donnée par les membres de la famille ou du
voisinage qui interpellent sur le temps passé, sur le choix des priorités, sur
les inconvénients subis du fait de cette mobilisation excessive devant les
écrans. Avez-nous déjà reçu ce type de remarque de votre entourage ? Vous
pensez peut-être : « Si ma consommation est excessive, après tout,
c’est encore mon droit, non ? Il y en a bien qui ne résistent pas à
l’appel d’une barre de chocolat. D’autres qui s’achètent des fringues sans
regarder à la dépense, etc. C’est une question de choix, après
tout ! » Le problème, c’est
quand la démesure s’installe. « L’excès nuit en tout », dit-on communément. De l’excès, nous sommes nous-mêmes la seule victime. Par contre,
basculer dans l’abus, c’est
enclencher une consommation dont les effets déteignent également sur
l’entourage. Selon la typologie des niveaux de cyberdépendance, on est certes encore loin d’une situation
pathologique, mais il y a déjà du mal vécu collectif qui réclame que l’on se
ressaisisse.
Multi
usages A.O.
Si
vous êtes adeptes du net, vous trouverez en ligne des questionnaires qui ont pour but de vous ouvrir les yeux :
« Jusqu’où allez-vous trop loin –peut-être- dans votre consommation
médiatique ? ». Il y a des questions qui visent juste. Et donc, pas
la peine de se mettre en pétard avec son entourage : si la renégociation
de votre emploi du temps rétablit un juste équilibre, autant revoir ses
priorités. Le problème réside pourtant bien dans l’appréciation des choses.
Car, c’est vrai, le temps passé au clavier doit être évalué à l’aune des
multiples usages « assistés par ordinateur (A.O) ».
Passer plusieurs heures sur Internet peut en fait se justifier par des
préoccupations bien différentes : suivre l’actualité, faire son courrier
(le relever, le trier, y répondre), chercher de l’information (pour s’inscrire
et participer à une activité, pour optimiser des achats, pour éclaircir un
questionnement), nouer ou entretenir des contacts avec des connaissances par le
partage d’informations relatives à son quotidien (alimenter son blog, ses
réseaux sociaux)… Des usages complémentaires et très différents qui, cumulés,
représentent un temps de présence au clavier parfois très conséquent. La critique un peu facile « Tu es
toujours scotché à ton écran » devrait donc être quelque peu nuancée !
À l’ordi, on ne se consacre pas nécessairement qu’à une seule chose, fut-elle
captivante, mais on alimente aussi consécutivement toute une série de
préoccupations bien légitimes.
Symptômes
corporels
Aussi,
pour vérifier où l’on en est de sa consommation peut-être excessive, il est un
second indice intéressant à prendre en considération. À côté des récriminations
de l’entourage, interrogeons-nous : « Comment notre corps
réagit-il ? » On le constate en effet aujourd’hui, de plus en plus
d’utilisateurs des écrans sont sujets à des troubles atypiques que l’on nomme
les TMS, les troubles musculo-squelettiques. Des douleurs bien réelles à
l’origine de déficits fonctionnels dépassant le stade de l’inconfort. Dans le
monde du travail, on estime d’ailleurs qu’ils mériteraient d’être reconnus
comme symptomatiques de maladies professionnelles. Alors, votre corps ne vous demande-t-il pas parfois :
« T’en as pas plein le dos ? » S’il est courant que l’on identifie ses excès télévisuels du fait
que l’on s’endort devant le petit écran, il est sans doute plus difficile
d’établir le diagnostique correspondant pour les écrans, quand on est actif au
clavier –ou la console- des heures durant. L’investissement est tel que l’on
s’entête activement dans ce qui peut devenir alors, si on n’y prend pas garde,
de la compulsion. Comme dans une
activité ludique passionnante,
l’emballement est tel qu’à partir d’un certain seuil, l’on ne prend plus de
recul critique. L’activité peut alors avoir des effets négatifs, on la poursuit
malgré tout, se disant qu’un intérêt supérieur sera malgré tout au rendez-vous
de la prochaine séance.
Le seuil qui est alors franchi est de l’ordre de la perte d’autonomie. Le sujet
ne contrôle plus vraiment ce qui se passe. Est-ce votre cas ? Sans doute
pas ! J’espère, en tout cas car, à ce stade, il faut sérieusement se poser
des questions.
Perte
de contrôle
Qu’il
s’agisse de jeu, d’écrans, de boulimie ou, à l’inverse, d’anorexie… etc., le
comportement de compulsion s’il s’installe, cache une situation de manque que
l’assuétude cherche inefficacement à compenser. Il faut alors oser regarder les
choses en face et les résoudre par une autre voie plus responsable. Un
accompagnement spécialisé s’avérera peut-être nécessaire pour aider au choix de
comportements plus appropriés à la résolution du mal-être. Car, comme le décrit
Jean Garneau, « …en cas de la compulsion, on est victime d'une
angoisse qui ne cesse que lorsqu'on cède à son impulsion. On est passé plus ou
moins imperceptiblement d'une passion (avec les excès normaux qui
l'accompagnent) à une nécessité (un désir impérieux qui s'est développé à
travers un excès répété), un "besoin" à assouvir pour calmer son
angoisse. Le malade le ressent comme une obligation et non plus comme une
recherche de satisfaction ». Disons-le clairement, il ne s’en trouve
pas bien, mais ne trouve généralement pas seul le moyen de s’en sortir.
Et
la cyberdépendance ? Atteindre ce
quatrième stade, c’est verser résolument dans la pathologie lourde. Regardons
autour de nous et constatons-le : c’est relativement rare comme situation…
Quand bien même les médias trouvent porteurs de faire de ce thème les choux
gras de leurs colonnes. Nombreux, en effet, sont les articles qui traitent sous
ce terme de « cyberdépendance » des dérives comportementales des ados
d’aujourd’hui. Certes, il y a parfois trop de temps passés devant les écrans,
si on prend en compte le manque d’activité physique au grand air. Mais ne
versons pas dans la caricature. Si certains faits-divers rapportés dans les
médias attestent d’une pratique pathologique chez certains individus en
déséquilibre profond, la plupart des analyses comportementales faites chez les
jeunes justifient tout au plus une mise en garde de bon sens, voire des
sanctions éducatives salutaires, et non des mesures de prophylaxie dans un
souci de santé publique.
OJ prophylac-tic
«
Ouf », direz-vous peut-être. « Faisons de cet article l’occasion
d’une introspection lucide » adoptait un ton que vous avez peut-être jugé
paternaliste, laissant penser que je voulais jouer le rabat-joie ? Eh bien
non ! Mais soyons tout de même responsables : « Si beaucoup de
tâches, et sans doute de plus en plus à l’avenir, devront se faire par le
truchement des écrans, n’oublions pas tout de même de compenser cette activité
« statuaire » par de la saine fatigue, sportive ou autre… En cela,
les activités proposées par les sections des OJ constituent-elles sans aucun
doute un complément très sain.