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Encore scotché devant ton écran. T'en as pas plein le dos


Dans cette même rubrique, le numéro 54 posait la question de la Fracture numérique… insistant sur le fait que le « tout au numérique » risquait de creuser le fossé entre « ceux qui ont » et « ceux qui n’ont pas »… la technologie à disposition. Poursuivons donc en évoquant les dérives de ceux qui verseraient à l’excès dans l’usage des écrans[1].

 

Osons d’emblée la question qui fâchera peut-être : « Le sous-titre choisi pour cette rubrique « Génération médias » serait-il un pousse au crime ? » En effet, « Reste branché » est peut-être pour certains d’entre nous une invitation déplacée, tant leur consommation des écrans a déjà atteint des quotas inavouables. « Mais non ! » répondront peut-être alors plusieurs d’entre nous, mi-amusés, mi excédés… tant il est vrai qu’en matière de regard critique, on est plus prompt à voir ce qui cloche dans le comportement du voisin que dans le sien !

 

Mea culpa

Et si on profitait malgré tout de cet article pour oser une introspection lucide ? « Suis-je accro à mes écrans ? »… Tous mes écrans ! La télé, bien sûr, mais aussi l’ordi, les consoles de jeux, l’écran du GSM… Car il y a maintenant un tas de petites lucarnes incrustées dans nos vies. Non ? Alors, combien d’heures quotidiennes durant lesquelles des millions de pixels hypnotiseurs s’activent à nous baigner les mirettes ? En fait, le chiffre exact importe peu… L’indice révélateur d’un éventuel dérapage est d’abord à chercher dans la réaction de notre entourage. L’alerte est en effet souvent donnée par les membres de la famille ou du voisinage qui interpellent sur le temps passé, sur le choix des priorités, sur les inconvénients subis du fait de cette mobilisation excessive devant les écrans. Avez-nous déjà reçu ce type de remarque de votre entourage ? Vous pensez peut-être : « Si ma consommation est excessive, après tout, c’est encore mon droit, non ? Il y en a bien qui ne résistent pas à l’appel d’une barre de chocolat. D’autres qui s’achètent des fringues sans regarder à la dépense, etc. C’est une question de choix, après tout ! » Le problème, c’est quand la démesure s’installe. « L’excès nuit en tout », dit-on communément. De l’excès, nous sommes nous-mêmes la seule victime. Par contre, basculer dans l’abus, c’est enclencher une consommation dont les effets déteignent également sur l’entourage. Selon la typologie des niveaux de cyberdépendance[2], on est certes encore loin d’une situation pathologique, mais il y a déjà du mal vécu collectif qui réclame que l’on se ressaisisse.

 

Multi usages A.O.

Si vous êtes adeptes du net, vous trouverez en ligne des questionnaires[3] qui ont pour but de vous ouvrir les yeux : « Jusqu’où allez-vous trop loin –peut-être- dans votre consommation médiatique ? ». Il y a des questions qui visent juste. Et donc, pas la peine de se mettre en pétard avec son entourage : si la renégociation de votre emploi du temps rétablit un juste équilibre, autant revoir ses priorités. Le problème réside pourtant bien dans l’appréciation des choses. Car, c’est vrai, le temps passé au clavier doit être évalué à l’aune des multiples usages « assistés par ordinateur (A.O)[4] ». Passer plusieurs heures sur Internet peut en fait se justifier par des préoccupations bien différentes : suivre l’actualité, faire son courrier (le relever, le trier, y répondre), chercher de l’information (pour s’inscrire et participer à une activité, pour optimiser des achats, pour éclaircir un questionnement), nouer ou entretenir des contacts avec des connaissances par le partage d’informations relatives à son quotidien (alimenter son blog, ses réseaux sociaux)… Des usages complémentaires et très différents qui, cumulés, représentent un temps de présence au clavier parfois très conséquent. La critique un peu facile « Tu es toujours scotché à ton écran » devrait donc être quelque peu nuancée ! À l’ordi, on ne se consacre pas nécessairement qu’à une seule chose, fut-elle captivante, mais on alimente aussi consécutivement toute une série de préoccupations bien légitimes.

 

Symptômes corporels

Aussi, pour vérifier où l’on en est de sa consommation peut-être excessive, il est un second indice intéressant à prendre en considération. À côté des récriminations de l’entourage, interrogeons-nous : « Comment notre corps réagit-il ? » On le constate en effet aujourd’hui, de plus en plus d’utilisateurs des écrans sont sujets à des troubles atypiques que l’on nomme les TMS, les troubles musculo-squelettiques. Des douleurs bien réelles à l’origine de déficits fonctionnels dépassant le stade de l’inconfort. Dans le monde du travail, on estime d’ailleurs qu’ils mériteraient d’être reconnus comme symptomatiques de maladies professionnelles. Alors, votre corps ne vous demande-t-il pas parfois : « T’en as pas plein le dos ? » S’il est courant que l’on identifie ses excès télévisuels du fait que l’on s’endort devant le petit écran, il est sans doute plus difficile d’établir le diagnostique correspondant pour les écrans, quand on est actif au clavier –ou la console- des heures durant. L’investissement est tel que l’on s’entête activement dans ce qui peut devenir alors, si on n’y prend pas garde, de la compulsion. Comme dans une activité ludique passionnante[5], l’emballement est tel qu’à partir d’un certain seuil, l’on ne prend plus de recul critique. L’activité peut alors avoir des effets négatifs, on la poursuit malgré tout, se disant qu’un intérêt supérieur sera malgré tout au rendez-vous de la prochaine séance[6]. Le seuil qui est alors franchi est de l’ordre de la perte d’autonomie. Le sujet ne contrôle plus vraiment ce qui se passe. Est-ce votre cas ? Sans doute pas ! J’espère, en tout cas car, à ce stade, il faut sérieusement se poser des questions.

 

Perte de contrôle

Qu’il s’agisse de jeu, d’écrans, de boulimie ou, à l’inverse, d’anorexie… etc., le comportement de compulsion s’il s’installe, cache une situation de manque que l’assuétude cherche inefficacement à compenser. Il faut alors oser regarder les choses en face et les résoudre par une autre voie plus responsable. Un accompagnement spécialisé s’avérera peut-être nécessaire pour aider au choix de comportements plus appropriés à la résolution du mal-être. Car, comme le décrit Jean Garneau, « …en cas de la compulsion, on est victime d'une angoisse qui ne cesse que lorsqu'on cède à son impulsion. On est passé plus ou moins imperceptiblement d'une passion (avec les excès normaux qui l'accompagnent) à une nécessité (un désir impérieux qui s'est développé à travers un excès répété), un "besoin" à assouvir pour calmer son angoisse. Le malade le ressent comme une obligation et non plus comme une recherche de satisfaction ». Disons-le clairement, il ne s’en trouve pas bien, mais ne trouve généralement pas seul le moyen de s’en sortir.

 

Et la cyberdépendance ? Atteindre ce quatrième stade, c’est verser résolument dans la pathologie lourde. Regardons autour de nous et constatons-le : c’est relativement rare comme situation… Quand bien même les médias trouvent porteurs de faire de ce thème les choux gras de leurs colonnes. Nombreux, en effet, sont les articles qui traitent sous ce terme de « cyberdépendance » des dérives comportementales des ados d’aujourd’hui. Certes, il y a parfois trop de temps passés devant les écrans, si on prend en compte le manque d’activité physique au grand air. Mais ne versons pas dans la caricature. Si certains faits-divers rapportés dans les médias attestent d’une pratique pathologique chez certains individus en déséquilibre profond, la plupart des analyses comportementales faites chez les jeunes justifient tout au plus une mise en garde de bon sens, voire des sanctions éducatives salutaires, et non des mesures de prophylaxie dans un souci de santé publique. 

 

OJ prophylac-tic

«  Ouf », direz-vous peut-être. « Faisons de cet article l’occasion d’une introspection lucide » adoptait un ton que vous avez peut-être jugé paternaliste, laissant penser que je voulais jouer le rabat-joie ? Eh bien non ! Mais soyons tout de même responsables : « Si beaucoup de tâches, et sans doute de plus en plus à l’avenir, devront se faire par le truchement des écrans, n’oublions pas tout de même de compenser cette activité « statuaire » par de la saine fatigue, sportive ou autre… En cela, les activités proposées par les sections des OJ constituent-elles sans aucun doute un complément très sain.

 



[1] L’auteur a consacré un article plus complet sur ce sujet (lire : http://www.media-animation.be/Faut-il-craindre-une.html)

[2] Notre préférence va à celle établie par Jean Garneau http://redpsy.com/infopsy/cyberdependance.html

[3] En voici un, par exemple. Le parcourir pour se poser les bonnes questions est déjà en soi une attitude positive : http://www.psynternaute.com/html/questionnaire.cfm

[4] AO : acronyme utilisé en complément de plusieurs modes de production quand ils sont Assisté par Ordinateur : DAO, PAO…

[5] Bien sûr, car on fait rarement de la compulsion pour activité qui ne nous plait pas !

[6] Voilà où commence l’addiction.

 
 


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