Coup de cœur, coup de foudre, recherche de l’âme sœur… des démarches qui se vivent aussi aujourd’hui par la méditation des nouvelles technologies. A tel point que des sites internet se sont spécialisés dans l’offre de ces services qui transposent sur la toile une déjà plus ancienne « messagerie rose (1) ».. Visiblement, les médias changent, mais les pratiques demeurent…
Dernièrement, à l’initiative de l’Institut d’Etude de la famille et de la Sexualité (IEFS – UCL), un colloque était consacré à cette thématique des amours virtuelles (2). Psychiatres, psychologues, thérapeutes et mêmes juristes se penchaient sur cette réalité qui envahit de plus en plus les cabinets de consultations conjugale ou familiale. Les Actes de ces deux journées néo-louvanistes seront prochainement à la disposition de ceux qui voudraient prendre la mesure de ces échanges intéressants (3).
C’est un fait, les sites de rencontres fleurissent allègrement sur la toile. Et ils harponnent le chaland par du spam (4) à tous crins. Bien échue que votre boîte mail n’ait pas reçu ce genre de proposition allant même jusqu’à offrir d’une semaine à un mois d’essai gratuit. Juste pour voir… Mais là où les agences matrimoniales offraient un certain sérieux, ou exerçaient à tout le moins un certain filtrage par leur médiation de professionnels, les services en ligne ouvrent à d’autres pratiques… directes, plus inattendues et plus déstabilisantes parfois aussi. Aucun problème en effet à ce qu’un internaute se crée plus d’un profil, puisque ce paramètre ne fait l’objet d’aucun contrôle strict (Il suffit de s’inscrire en utilisant des adresses mail différentes). Pas de souci non plus à changer de sexe pour l’occasion. Guère de difficultés enfin à alimenter en parallèle plusieurs liaisons, surtout si on se contente de rencontres uniquement dans le monde de la virtualité. Cela demande juste (mais pour certains, l’exercice est parfois difficile) une bonne organisation de son temps, de ses fichiers informatiques… et une bonne mémoire… mentale. En effet, mener de front plusieurs aventures virtuelles réclame de ne pas se tromper quand aux pièces du puzzle de chacun des profils avec qui vous avez « un rancard ».
Selon les professionnels qui se sont exprimés à Louvain-la-Neuve, la description de cette nouvelle réalité relationnelle appelée « Amours virtuelles » n’est pas simple à établir. En effet, à côté de démarches très honnêtes et fructueuses pour un certain nombre (5), il se vit dans ces « univers roses » beaucoup de tromperie, de désillusion et des jeux pas très avouables. De sorte que les victimes n’en parlent qu’à demi-mot. Celles qui s’expriment le font alors pour dénoncer le système. Quand elles n’ont pas peut d’avouer la naïveté avec laquelle elles se sont faites piéger. Leur témoignage est, la plupart du temps, postérieur aux événements… une fois que les intéressés en sont sortis… meurtris. Tout cela oriente certainement la couleur des témoignages collectés.
Une chose est sûre, lors de ces rencontres affectives en ligne, le modèle de l’amour romantique à la vie dure. Il serait d’ailleurs en déclin dans l’ensemble de la société qui se chercherait depuis un temps déjà un nouveau cadre normatif. Les nouvelles technologies apporteraient très certainement leur concours à cette mutation.
Elle était hautement évocatrice la typologie proposée par Jacques Marquet, sociologue et professeur à l’IEFS. Il mentionnait dans son panel tour à tour et en usant des termes des intéressés eux–mêmes : une victime du « plus grand bordel et du plus grand mensonge de la terre », un pêcheur à la ligne… en ligne, un mâle tantôt chasseur, tantôt kit à acheter et à monter et enfin un adepte du coup de foudre… version électronique : un flash émotionnel non pas inattendu comme il se devrait, mais à tout le moins recherché, si pas programmé. Une attirance sensée être fortuite qui répond ici, en fait, à une procédure rationnelle (recherche systématique, voire méthodique, parmi les profils et les photos). Une amorce affective qui ne s’appuie plus sur la rencontre d’un profil rare, voire unique, quasi investi d’un sentiment de sacré… puisqu’identifié désormais de plus en plus dans un espace où règne l’abondance potentielle d’un vivier particulièrement hétérogène. Le coup de foudre classique en effet se cantonnait malgré tout dans le cercle des milieux où l’on était déjà introduit, alors que, sur la toile, tout le monde côtoie tout le monde sans plus aucune classification ni repères sociaux. En ce sens, Internet ne met pas fin seulement au seul délit de « sale gueule ». Et pour certains, c’est un « net avantage ». Cela dit, pour le résumer en un mot, la toile serait un vaste marché de l’image et du paraître… (le grand méchant look) où l’offre et la demande étant en constante évolution, vous êtes invités à reporter sans cesse la décision de vous engager, puisque demain (ou un autre profil interpellé il y a quelques minutes sur le net) peut se révéler prometteur d’une liaison plus satisfaisante encore.
Le jeu de l’amour et du hasard sur internet a tout de l’E-marivaudage, pourrait-on dire ! Les témoins évoqués lors du colloque sont explicites : « Faire le paon pour séduire. Séduire vite. Plus vite que le concurrent. Lever le poisson avant qu’un autre soit dessus avant nous. Chasser sans donner l’impression d’être un prédateur. Tout un travail pour choisir… et se faire choisir. Mais avec le choix qui s’offre à vous, vous pouvez vous permettre d’être exigeant. Comme on ne sait pas tout contrôler dans ce plus grand mensonge qui soit sur terre, prendre plusieurs tickets à la fois ! Ce qui donne l’impression de maîtriser un peu mieux l’aléatoire des rencontres fortuites. Sans oublier pourtant, qu’on est tour à tour un produit, un vendeur et un acheteur ! » (Sic !)
Qui cherche qui, sur cet océan d’e-affectivité ? Le roman de Marguerite Duras « Le Navire night(6) » évoqué par Patrick Schmoll (7) révèle bien toute l’ambiguïté de ce jeu de séduction mise à distance : « Se chercher à distance. Se rencontrer au travers d’un CV mis en ligne pour séduire. Appâter par une photo bien choisie… qui n’est peut-être même pas la sienne (mais est-ce important ?). Sélectionner un individu qui comble un manque… parce qu’il s’offre en partage. Il s’offre lui… ou son avatar. Car nous sommes tous et chacun une multitude de facettes d’une identité composite. En arriver donc peut-être à la conclusion qu’il vaut mieux ne pas se rencontrer dans la vie réelle, pour pouvoir continuer de planer sur ce qui n’est peut-être qu’un assemblage de faux-semblants… mais se dire qu’après tout peu importe, peut-être, qui est l’autre véritablement, pourvu que ce qu’il m’offre me convienne ».
Folle recherche d’un « Autre »… qui n’est peut-être qu’un autre… moi-même ! Non pas un différent qui m’invite à l’altérité, mais un « Même » qui me séduit par le reflet de nature narcissique qu’il me renvoie. Homme, femme, jeune, vieux, peu importe alors, cette contingence… la réalité d’un autre type : une E-réalité en somme… mais pas virtuelle pour autant.
Qui sait ce que deviendront les relations si nous continuons de pousser plus avant cette tendance ? Et faut-il croire que nous ne le ferons pas ?
Connaissez-vous Second life ? C’est un univers en 3 dimensions auquel vous vous inscrivez comme vous le feriez innocemment pour une messagerie ou un forum en ligne. Puis vous vous choisissez un avatar. C’est le profil – en 3D – sous lequel vous apparaîtrez désormais. Votre carte de visite, en quelque sorte. Avez-vous envie d’être une fille ou garçon, homme ou femme, jeune ou vieux… ? A vous de choisir. Voulez-vous même endosser plusieurs entités ? Il vous suffit alors de vous inscrire plusieurs fois dans Second live. Un univers de jeu, penserez-vous peut-être ? Eh bien non ! Pas seulement. Certes, on peut en rester à une activité ludique. Comme un partie de cartes que vous joueriez chaque soir pour vous détendre. Mais savez-vous que certains internautes ont investi Second live d’une dimension professionnelle, voire économique bien réelle. On y fait du vrai business. Savez-vous que des institutions tout-ce-qu’il-y-a de plus officiel sont présentes sur Second live ? Des ministères. Des organisations gouvernementales. C’est une déclinaison en ligne de la vie réelle, en fait ! Une seconde vie… sans qu’il faille nécessairement y voir une « double vie ».
Et si, dans cet univers, sous le couvert d’un avatar fidèle ou travesti, vous développiez de jour en jour une identité et une « vie active » toujours plus équilibrée, qu’est-ce qui vous empêcherait d’y localiser désormais votre étant, votre identité la plus vraie.
Car ontologiquement, qui sommes-nous vraiment ? N’est-ce pas du regard des autres et de nos rapports sociaux qu’émerge progressivement notre identité profonde. Et si cela devait se passer désormais aussi dans le monde de la virtualité, cela justifierait-il de dire que notre identité est mensongère ? Voilà où il nous faut désormais apprendre à aller. Nous, un peu… Nos enfants, très certainement plus !
Je n’ai jamais rencontré Barak Obama. Ce n’est jamais que par la médiation de tiers, de médias et de technologies que j’ai appris à le connaître mieux depuis le premier jour de son entrée en politique. Je pourrai peut-être lui parler un jour au téléphone et m’en sentir encore plus proche. Peut-être serons-nous à l’avenir, lui et moi, membres d’une même association, d’un même club. Peut-être échangerons-nous de plus en plus régulièrement sur la toile par mail, forum ou chat. Peut-être me présentera-t-il sa cousine et serai-je séduit par elle…
Si vous pensez que tout ceci est de la fiction, reconnaissez que cela tient plus au fait qu’il est président des Etats-Unis d’Amérique et moi simple citoyen européen… car, pour le reste, tout ce que j’ai commencé de décrire est matériellement possible et pourrait à l’avenir être un des vecteurs principaux (et universel) de la rencontre interpersonnelle.
Peut-être que votre objection majeure résidera dans le fait que nous ne nous serons jamais rencontrés physiquement et que cela compromet toute la crédibilité de l’histoire. A quoi je répondrai que, tout en reconnaissant la force de la temporalité et la sensorialité, l’argument me semble faible eu égard à ce qui commence à se construite entre les internautes d’aujourd’hui… lesquels n’en sont qu’aux débuts de leur exploration en ligne. Je prendrai pour preuve la grande proximité que je viens de vivre par le seul Internet avec une de mes nièces partie en coopération pendant 6 mois au centre de l’Afrique. J’ai été en plus grande connivence avec elle qu’avec ses frère et sœurs restés au pays, par le simple fait que son blog a bien mieux alimenté notre relation que les quelques opportunités de rencontres présentielles avec le reste de la fratrie. Si le média est un intermédiaire qui force à la médiation, la distanciation… reconnaissons que, bien utilisé, il est aussi le message…. comme disait Mac Luhan. Alors en relation vraie par le net ? Eh bien oui… de plus en plus !
En ce sens, je rejoins sans scrupule la prudence de Camille Labaki, psychologue et psychothérapeute systémicienne, formatrice au CEFORES qui intervenait aussi à Louvain-la-Neuve. Elle se refusait à définir, une fois pour toute et de façon universelle, « le couple », alors qu’elle en reçoit à longueur d’année dans son cabinet de consultation. Qui peut en effet enfermer dans des mots un concept relationnel si riche, quand on sait que sa déclinaison est à chaque fois différente, d’un individu à l’autre, d’une réponse à l’autre… et aujourd’hui, d’un monde à l’autre ? Notamment quand les vecteurs de la communication se renouvellent tellement du fait de l’évolution qui les sous-tend.
Bien malin qui pourra dire ce que sera un couple, des amants, des amis, des collègues, une famille… dans dix ans… et au siècle prochain.
(1) Celle à laquelle on pense prioritairement s’est développé sur Minitel français.
(2) « Amours vituelles – Sexualité et internet », 40e colloque de l’IEFS, 8 et 9 mai 2009, à Louvain-la-Neuve.
(3) Adresse de l’IEFS pour commander ?
(4) Spam : courrier électronique non demandé, intrusif donc. Ce que les canadiens ont joliment baptisé : pourriel (courrier électronique pourri).
(5) Certaines débouchant même, et c’est de plus en plus fréquent, sur des engagements au mariage ou, à tout le moins, à des projets de vie commune.
(6) Voir bibliographie à la fin du volume.
(7) Psychosociologue et anthropologue travaillant au CNRS – Université de Strasbourg.