Drame à Schaerbeeck
Il a été abatttu "comme dans un film"
"Quand j'entre dans la classe, nous confie le directeur, quelques secondes après qu'il ait tiré six, sept ou huit balles, je ne sais plus très bien, il est quelque peu hagard, mais visiblement pas trop secoué. Et je pense effectivement que c'est moi qui ai utilisé cette expression à un moment donné, "il a tiré comme dans un film, à la différence près que c'était avec des vraies balles."
Pierre Wibrin, directeur de l'APAJI (1) de Schaerbeeck, réagit : " Je ne voudrais pas que ces événements soient interprétés aussi simplistement : "Un bougnoul abat un autre bougnoul dans une école de bougnouls !" Ce qui s'est passé poursuit-il, dépasse largement le cadre de cette institution et même plus largement le cadre scolaire. Cet acte doit être perçu pour ce qu'il est : un fait de société, celui de la banalisation de la violence poussée à l'extrême et de la facilitation de se procurer les moyens d'arriver à pareille fin." Sa conviction profonde, Mr. Wibrin l'avait déjà confiée à nos collègues de la RTBF : "Quand Celal est mort, c'est tous les jeunes de Belgique qui ont perdu un camarade de classe. Nous devons dès lors nous sentir tous concernés par ce qui s'est déroulé de façon dramatique et en tirer des leçons de vie. "
Attention, les enfants regardent
La lecture des faits que Mr. Wibrin pose quelques semaines après le drame, reste empreinte de la stupeur qui a succédé immédiatement à l'effroyable : un jeune de quatorze ans abattu en pleine classe, par un de ses condisciples, de sept balles tirées à bout portant, comme on le voit faire dans certains film. A se demander d'ailleurs s'il ne faut pas trouver là l'explication de la banalisation de ce geste. Il poursuit :"Il y a tout lieu de croire que les spectacles auxquels assistent un grand nombre de jeunes, quel que soit leur milieu -notamment à la télévision- ne peuvent qu'influencer de façon dramatique des jeunes esprits plus perturbés. Je suis assez agacé, poursuit-il quand j'entends encore ce genre de débat "L'agressivité au cinéma ou à la télévision a-t-elle un rôle qui rend plus violent, ou au contraire, est-ce que çà permet d'évacuer celle-ci... bref la théorie de la catharsis (2). Or nous savons bien qu'à la suite de toute une série d'expériences, il a été démontré de façon incontournable que la vue de spectacles violents rend le spectateur plus agressif."
Mise à distance critique
Il est pourtant vrai que les avis ont toujours été partagés sur cette question de l'influence de la violence à la télé. Et le directeur lui-même d'évoquer le point de vue de Lorhenz, prix Nobel de Médecine qui soutenait l'effet cathartique. Ce que l'on peut en tout cas dire, c'est que, les élèves de l'APAJI font preuve de beaucoup de maturité. Face au drame, leur première réaction va spontanément et unanimement dans le sens de se désolidariser du geste meurtrier. "Que ce soit chez les petits de première, nous commente le directeur et jusqu'aux aînés de sixième ,et y compris chez tous les anciens qui se sont manifestés, tous ont dit: " çà, ce n'est pas nous ! On n'aurait pas pu faire un truc pareil. Quand on a des problèmes entre nous, on se fout sur la gueule, puis on ne se parle plus pendant un mois, deux mois, trois mois, puis tout rentre dans l'ordre. Mais alors là ..., régler ses comptes comme çà, ce n'est pas nous qui ferions çà. Se rendre compte que tous ces jeunes se sont désolidarisés de ce geste m'a réconforté. Ma crainte était évidemment, qu'il y ait une telle fascination par rapport à un tel acte -une effroyable horreur en fait- que des jeunes me disent : C'est bien fait, il a vengé son honneur, ou toutes ces choses là...or il n'en a rien été. Beaucoup d'élèves aussi ont exprimé leur regret de n'être pas intervenu, de ne pas s'être interposés. Et chaque fois, le directeur, dans un échange qu'il voulait déculpabilisateur, posait la question : "Où as-tu déjà vu faire cela ?". Unanimement la réponse était "A la télévision". Et tous de réaliser qu'il y a un monde entre le cinéma et la vie. Preuve qu'on ne perd pas pour autant sa distance critique quand on assite "à un mauvais film" comme celui qui s'est déroulé à Schaerbeek. Il n'y a pas eu de geste téméraire, de qui que ce soit qui se serait pris à faire comme au cinéma.
Sans doute est-ce plus un acte de folie qui aura guidé Isa, que l'identification à un modèle télévisuel. Ses condisciples doivent aujourd'hui supporter le souvenir de ce rôle combien difficile qu'ils ont assumé, de figurants impuissants. Ils ne manqueront sans doute pas de se rappeler encore longtemps, que la réalité, hélas, rejoint parfois la fiction sans que l'on puisse forcer la "happy end".
(1) APAJI Association Pédagogique d'Accueil des Jeunes (Immigrés)
(2) Catharsis : purification, liquidation des affects