Plus facile à dire qu’à faire ... les positions politiques citoyennes envahissent les réseaux
Il y a toujours des élections pas
loin... présidentielles et législatives françaises en mai-juin,
élections communales en Belgique en octobre 2012... Au-delà de cette
période du "tous aux urnes", c’est tout au long des 365 jours de l’année
que certains sont en campagne sur les réseaux, tenant des discours
engagés. Liberté d’expression citoyenne bien légitime… à condition
d’être constructive. Sinon, le poujadisme n’est pas loin, mettant en
question l’idéal démocratique.
S’il fallait camper le décor, la vie locale de la Capitale wallonne
pourrait servir d’exemple. Un groupe « Namur, Belgium » a été créé qui
comprend aujourd’hui 1415 membres, « habitants de Namur en Belgique ou
expatriés toujours amoureux de cette ville ». C’est du moins le motif
avoué de sa constitution. C’est aussi le groupe des fans du site www.bia-bouquet.com,
lequel a été créé à l’initiative d’un pensionné devenu, dès sa mise à
la retraite en 2005, photographe reporter et grand arpenteur de la cité
et de ses environs devant l’éternité.
A l’heure des réseaux sociaux, la page Facebook « Namur, Belgium »
fait donc office de miroir du site de partage de photos en ligne et
constitue une vitrine supplémentaire et un espace d’expression collectif
qui est à distinguer du mur personnel de l’intéressé : Christian
Delwiche. Car c’est une des caractéristiques de cette démultiplication
des espaces d’expression : certains constituent des canaux privés de
communication (messages privés), d’autres sont des lieux semi publics
puisque personnels mais susceptibles d’être partagés en lecture, voire
aussi en écriture (mur). Les Pages enfin, sont délibéremment espaces
collectifs… même s’ils demeurent sous la responsabilité éditoriale du
créateur, lequel doit alors choisir où publier ses propos, selon les
destinataires concernés et l’affichage de commentaires susceptibles de
nourrir des débats – privés ou publics.
Beau travail de mémoire locale
En l’occurrence ici, la vie locale est d’abord relatée par
l’affichage hebdomadaire de plus ou moins deux cents photos prises sur
le vif et mises en ligne sur le site www.bia-bouquet.com
avec l’accord des intéressés. Christian Delwiche a aussi dédié un de
ses albums Facebook pour collecter parmi ses tirages, les portraits de
ceux qui sont affiliés au réseau social. Une pratique en réseau qui
fédère les individus qui, s’ils ne se connaissent pas encore, se
rencontrent ainsi virtuellement et se voient présentés l’un à l’autre
bien sympathiquement. Et plus si affinités. Les habitudes se mettent dès
lors vite en place… L’immédiateté et la proximité des réseaux font que
les échanges sous forme de commentaires battent vite leur plein et
prennent librement la tournure des conversations du café du commerce.
Chaleur dans les propos et sympathie partagée quand l’artiste publie ses
nouveaux clichés. Il y a là un travail de mémoire qui participe de la
sauvegarde du patrimoine humain et architectural namurois, comme le
firent les anciens dont on expose les sténopés aujourd’hui encore au
pied de la Citadelle, et qui relatent le souvenir de ce quartier des
Sarrasins détruit en 1970, sur l’espace du Grognon. Sûr qu’un jour,
Christian Delwiche figurera dans la liste officielle de ces
immortaliseurs de notre riche vie locale.
Dire que tout va bien dans la cité mosane serait faire preuve de
naïveté, on s’en doute. Comme en toute métropole, la réflexion citoyenne
a de quoi se mobiliser autour de certains thèmes pour que la politique
de demain, soit encore plus en phase avec les besoins des citoyens. Et
il est à constater que les échanges sous forme de commentaires ont pris
la tournure d’une véritable campagne, quoique s’en défendent certains.
Et c’est sans doute là qu’il y a lieu de poser un regard critique.
Une photo a le mérite d’immortaliser une figure, un moment, une
situation... pour la postérité. Souvenir, souvenir. La photo ne
mentirait pas, ferait preuve d’objectivité, serait factuelle… C’est
oublier une série d’options de cadrage, de scénarisation qui
instrumentent la prise de vue… et ne rien dire du choix de ce que l’on
photographie et de ce qu’on laisse se perdre en le tenant hors champ.
Dénoncer sur la toile, facile…
Et donc, il est progressivement arrivé que notre baladeur photographe
sélectionne pour Facebook des clichés dénonçant les incivilités de
certains citoyens. Essentiellement des questions de parkings sauvages.
Pourquoi donc faudrait-il toujours être laudatif dans ses propos,
fussent-ils photographiques ? Mais la dimension réseau a donné sa pleine
mesure quand le succès de cette ligne éditoriale s’est vu octroyer un
espace spécifique : une page intitulée « Piétons, à Namur vous avez des
droits ». Deux raisons à cela, sans doute : ne pas inonder plus l’espace
d’expression généraliste (le « mur » de Namur Belgium) avec une
thématique quelque peu envahissante. Mais sans doute aussi donner tout
son retentissement à cette militance citoyenne sur les conditions de
mobilité dans la ville.
Comme au comptoir du café du commerce, les propos s’enflamment vite.
Ce que l’alcool peut stimuler dans un cas, se trouve encouragé ici du
fait du peu de distance psychologique que constitue le truchement de
l’écran et l’apparente cohésion du groupe qui se met à s’exprimer. Mais
tous ceux qui lisent souscrivent-ils aux propos qui sont tenus par le
groupe. Y a-t-il minorité ou majorité silencieuse ? Car tous n’ont
peut-être pas envie de s’engager dans un débat public qui participerait
de leur identité numérique.
La discussion citoyenne à connotation politique est saine pour le
débat populaire. Sa tenue dans les réseaux tient à l’évolution des
technologies. Normal que cet espace de rencontre soit aussi annexé à
cette fin. Mais, comme pour le journalisme citoyen développé en toute
spontanéité, on s’aperçoit rapidement que les propos sont assez
déjantés. Non qu’ils fassent toujours preuve de malhonnêteté
intellectuelle, mais du fait, à tout le moins, qu’ils sont désincarnés
de tout engagement concret. « Facile à dire, pas si facile à faire »
pourrait-on commenter.
L’espace Facebook créé par notre « amoureux de sa ville, désespéré
certains jours » a en effet très vite vu les commentaires de ses abonnés
s’emballer pour dénoncer systématiquement des manquements politiques.
C’est un fait, on ne s’improvise pas modérateur online. Difficile
d’arbitrer des propos tenus en public, surtout quand il faut faire la
part des choses entre la sympathie interpersonnelle dont on est l’objet
et la nécessaire tempérance quand on exprime des points de vue
partisans. Quoi de plus simple en effet de dénoncer, tous partis
confondus. Un point de vue radical qui, s’il devait se concrétiser dans
un mandat concret, ne trouverait aucun parti pour être mis en programme
électoral, ni aucune coalition pour être mis en œuvre dans une politique
concertée.
La démagogie n’est pas loin quand on lance ainsi des propos
incendiaires sur la place publique que constituent les réseaux, et de
surcroît au nom d’une liberté d’expression que l’on n’aurait plus non
plus dans les médias, eux aussi tous pourris ! Le parallèle avec le
journalisme citoyen est rapide… Combien s’expriment aussi sur la toile
aujourd’hui pour relater leur vision de l’actualité, en se démarquant
des médias officiels dans lesquels leurs propos ne trouveraient pas
place. Certes fondamentalement, il y a lieu de s’en réjouir quand cela
élargit le débat citoyen… mais cela réclame alors de la part de ces
acteurs amateurs, un savoir-faire et une conscience « professionnelle »
qui n’est pas fournie avec l’hébergement du site ou du réseau dans
lequel on s’exprime en toute facilité. Faire campagne sans fonder parti,
proposer une vision politique généreuse sans assumer la responsabilité
du pouvoir, c’est un peu facile. Et c’est très populiste… surtout si le
réseau, finalement, fait s’exprimer ceux qui au comptoir du café du
commerce auraient la gorge chaude sans que, pour autant, on puisse
dénombrer ceux qui se tenant dans la salle désapprouvent silencieusement
mais fermement les propos échangés.
La réponse des intéressés mis ici en cause sera sans doute rapide et à
l’image des acteurs de la blogosphère qui pratiquent semblablement en
développant leur ligne éditoriale : « Si cela ne vous plait pas, allez
voir ailleurs ! ». A la différence toutefois qu’ici, par le fait que les
amis de ses amis sont ses amis dans un réseau, l’internaute est
bombardé des réactions et commentaires auquel participe son contact. Des
débats auxquels il n’a pas personnellement toujours choisi de vouloir
participer, mais qui s’invitent dans le flux d’actualité rapatrié
automatiquement.
Le modérateur jette le gant
Trop lourde tâche alors pour le modérateur improvisé qui, interpellé
en message privé par l’un ou l’autre de ses contacts, a préféré fermer
la page Facebook infectée de virulence incontrôlable. Le débat se devait
donc de trouver d’autres voies pour continuer de s’exprimer… des canaux
finalement plus appropriés… où les interlocuteurs se choisissent
désormais en toute clarté. Faut-il en conclure que le net ne convient
qu’à l’expression d’un consensus mou, où qui se ressemble s’assemble
pour s’auto congratuler en se pavanant ? Certes pas… mais sans doute y
a-t-il des outils de communication qui ne conviennent pas à certaines
expressions… le privé et le public, le généraliste et le dédié s’y
mêlant dans une ambiguïté regrettable, les acteurs silencieux donnant
peut-être alors à tort l’impression de souscrire aux propos échangés.
La morale s’apparenterait-elle finalement à une dénonciation des
« grandes gueules » trop invasives dans la sphère publique ? Sans doute
faut-il plutôt conclure qu’en matière de débat politique (comme en
situation de journalisme citoyen, nous avions déjà proposé ce
parallèle), il est peut-être facile de défendre des points de vue
généreux mais théoriques qui n’ont que peu de chance de se voir un jour
proposés au suffrage de l’électeur (ou à la sanction d’un lectorat
exigeant). La sanction populaire n’aboutissant jamais, dans ce cas, il
est très facile de s’auto satisfaire en cercle restreint, sans admettre
que l’exercice de la chose publique est encore une autre affaire… un
leurre que la pratique des réseaux sociaux risque de gonfler encore un
peu plus et de façon illusoire. Qu’est-ce finalement que 1514 membres,
(seraient-ils même tous d’accord avec la teneur des échanges…) face à la
population globale constituée des quelque 120.000 namurois ? A ceux
qui sont en campagne toute l’année, ne faut-il pas rappeler que la
politique se décide par la voie des urnes… et pas dans les engueul… d’un
groupe Facebook, quand bien même il s’y échangerait des vérités,
incontestables aux yeux de plus d’un ?
Michel BERHIN
Média Animation
mai 2012