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Attention dangers : ils apprennent à lire et à écrire les médias


Elles sont nombreuses les enquêtes menées auprès des jeunes internautes, pour identifier les risques qu’ils encourent en naviguant sur la toile. Que ces documents proviennent d’associations représentatives de parents ou d’organismes de défenses des droits des consommateurs, on peut surtout y lire d’abord la crainte des adultes de ne pas remplir correctement leur devoir de parents. Encore faut-il savoir de quoi on parle quand il s’agit des médias d’aujourd’hui, et surtout choisir les valeurs à promouvoir, une tâche antérieure aux activités d’EAM à proprement parler.

 

Le rôle d’éducateur et de parents ne s’apprend pas à l’école. Dommage diront certains ! Chacun part donc des situations de terrain… se rappelle sa propre jeunesse et se réfère aussi au témoignage des pairs devenus parents à leur tour. En l’absence de référents labellisés (mais faut-il vraiment réclamer leur généralisation ?), la peur de mal faire paralyse ou, au contraire, pousse au train. De plus, le peu de temps disponible que laisse la vie professionnelle confine souvent cette prise en charge éducative, l’EAM, aux situations limites qui révèlent l’urgence d’intervenir. Mais le manque de recul est alors un risque évident… on s’abandonne à la lecture stéréotypée que fournissent ces situations de crise et l’on est friand d’avis tranchés et de recettes toute faites pour se sortir d’embarras.

 

Dans ce contexte, la pédagogie par la peur (Où est Arthur ?[1]) ou celles qui procèdent par l’évitement (filtrage, hotline…) sont des stratégies faciles. À l’examen toutefois, celles-ci se révèlent trop superficielles pour atteindre un résultat positif sur le long terme. Seule l’Education aux Médias se donne pour mission de travailler le terrain bien avant que ne se présentent les situations de crise, et autant de fois qu’il est possible… en dehors de celles-ci.

 

Certes, avec le développement incessant des technologies, cette démarche éducative réclame de plus en plus une bonne connaissance des procédés techniques mis en œuvre. La question du « Comment ça marche ? » comme le titre un site internet bien connu qui fait de la vulgarisation technique en ligne. Comprendre le BackOffice, les coulisses techniques de ces usages est une composante inévitable de l’Education aux Médias. Mais au delà des aspects techniques, il y a aussi les usages et leur impact sur les personnes. L’Education aux Médias se tracasse aussi de mesurer en quoi les aspects techniques et technologiques interfèrent dans la relation interpersonnelle et notamment dans la communication. Elle répond alors à une autre question : « Qu’est-ce qui se passe quand ça se passe ? »[2].

 

Or, quand on analyse un peu ce qui mobilise certaines campagnes tournant autour de la vigilance à propos des pratiques Internet, on peut voir qu’elles se basent sur la conviction que les dérapages de la communication par les technologies trouveront leur remède dans une meilleure connaissance du volet technologique de nos pratiques et donc par une meilleure appropriation des outils. Sans doute faut-il s’y appliquer. Mais une réalité est sans doute absente de cette manière d’envisager l’alphabétisation numérique : le fait que celle-ci s’ancre dans une éducation globale préalable.

 

En effet, pour chaque travers dans les usages et dans l’impact des technologies de communication sur les individus, on peut déceler des attitudes profondes, des manières de se comporter qui sont à la base de la dérive, voire de l’accident. Souvent, dans ces cas, le formateur en Education aux Médias doit-il alors rappeler que certains principes éducatifs sont préalables à l’appropriation des usages performants des technologies, et que leur absence, hélas, peut ouvrir la porte à ces risques que tous déplorent. Prenons quelques exemples pour illustrer le propos.

 

Pour vivre heureux

Une première situation illustrera ce propos : l’affichage des photos personnelles sur son profil Facebook. C’est devenu un grand classique de la mise en garde telle que les médias la proposent : « Faites attention à l’exposition des souvenirs de vos soirées trop arrosées sur votre profil Facebook. Votre réputation numérique vous poursuivra tout au long de votre vie. Ne vous étonnez pas que, lors d’un entretien d’embauche, un futur employeur vous interroge sur telle ou telle photo ou propos publié et où vous n’êtes pas à votre avantage ». Est-ce là de l’Education aux Médias ? C’est certes une mise en garde qui joue sur la corde sensible de la peur que tout un chacun peut avoir que son passé d’adolescent exubérant resurgisse à un moment inapproprié. Peut-être certains y seront-ils sensibles de façon primaire. Mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’il est inopportun de publier. Parlant des photos, on peut conclure que les clichés salaces sont évidemment à proscrire. Mais bâtir sa pédagogie sur des cas limites n’attire pas l’attention sur le fait que tout cliché dit quelque chose de ma personne et que toute représentation doit donc être appréciée à sa juste valeur avant publication. De plus, insister sur le caractère privé ou public (via le bon réglage des paramètres de confidentialité) de la publication de photos ne met pas en avant le fait que tout cliché publié numériquement, même à des intimes, peut très facilement être dupliqué et re-posté en libre accès à tout moment par un indélicat parmi ses proches. La vraie réflexion éducative n’est donc pas dans les réglages de l’interface Facebook qu’il est pourtant bien utile aussi d’enseigner. Ni non plus seulement dans l’éveil critique d’un internaute encore naïf quand il croit que publication privée restera privée. La véritable consigne éducative à distiller depuis le plus jeune âge, c’est qu’il vaut mieux éviter d’être jamais surpris en situation préjudiciable, car l’évocation de celle-ci pourra toujours être rapportée par quelqu’un qui ne vous veut pas nécessairement du bien. Sur Internet certes, mais aussi verbalement, au détour d’une simple conversation[3].

 

Vivons modérés

Educativement, ce n’est donc pas d’abord un problème de photos scabreuses, mais bien plutôt de mode de vie. Faire preuve de modération, de respect du sens commun, de sobriété, de discrétion, d’excellence… cela s’apprend d’abord au jour le jour dans la vie réelle et cela se décline aussi, plus tard, dans les pratiques en ligne. Mais avant tout parce qu’on en a fait un habitus et non parce qu’une séquence pédagogique dramatisante aura fait peur en agitant des menaces douteuses.

 

Car en fait, on est sur Internet comme on a appris à être dans la vie de tous les jours : prudent ou impulsif, réfléchi ou casse-cou, courtois ou « rentre-dedans ». On le constate tous les jours, non seulement chez les jeunes, mais aussi chez les aînés. A la différence près que les technologies démultiplient souvent l’ampleur des effets.

 

Pièces jointes en disent long sur qui vous êtes

Autre exemple : les pièces jointes. C’est devenu une vraie plaie du courrier électronique ! Si le mail est la transposition numérique de l’envoi postal, la pièce qui lui est jointe, elle, prend de plus en plus des allures de cadeaux Bonux… pas demandé et souvent sans grande valeur ajoutée… Encore que, justement, cela dépende de celui qui vous l’envoie. Car certains diaporamas qui font aujourd’hui le tour de la planète sont particulièrement révélateurs de qui vous êtes. Avant de faire suivre : ré-flé-chis-sons donc !

 

Dernier exemple en date : l’histoire du Bol de bois (un récit philosophique suranné vous invitant à ne pas choisir d’éteindre la bougie allumée en 197… en interrompant la chaîne des envois successifs vers d’autres destinataires). Selon moi, du vrai mauvais goût. Je l’avoue tout net, j’ai soufflé la bougie ! Mais ma collection se complète d’exemplaires très différents les uns des autres : je vous propose en magasin les fresques des rues de Bruxelles jalonnant le parcours « Découverte BD au cœur de la capitale », un diaporama baroque sur le Dôme de Milan avec fond musical vivaldien, un conte de Noël aux accents de flûte de pan me rappelant que « Les parents et les amis(e)s sont comme des anges qui nous soutiennent lorsque nos ailes ont de la difficulté à se rappeler comment voler... », 29 phrases attribuées à Dieu, incrustées sur de superbes paysages, et conçues à l’origine dans le cadre d’une campagne de presse d’une Eglise de Singapour. Les interpellations vont du déjà très moralisateur « S’il-te-plaît! Ne bois pas d’alcool quand tu conduis.Tu n’es pas encore prêt à venir me voir. » au plus ironique : « Qu’est-ce que je dois faire pour retenir ton attention ? Placer une annonce dans le journal ? signé Dieu ». J’ai aussi une superbe collection de clichés lunaires habillés d’une sonate au clair de… Beethoven, la Toccata et fugue de Bach pour accompagner 40 des plus belles orgues d’Europe, mais aussi des réalisations architecturales insolites aux quatre coins de la planète, des interpellations écologistes sur fond de marées noires et de décharges publiques, sans oublier a contrario les paysages remarquables (le Grand canyon de la butte du Coyote en Arizona, mais aussi la grotte de Lascaux), les plus beaux exemplaires de « Street Art » (dessins à la craie au raz des pavés), les clichés animaliers les plus insolites… et même un quizz sur l’histoire de France, façon « Marignan : 1515 ! Applaudissements ! Christophe Colomb découvre l’Amérique en… ? Savez pas : retournez à l’école, sur fond sonore d’explosion ! Etc. Tout ceci n’est cité qu’à titre exemplatif, car il y a de fortes chances que vous ayez été arrosés, vous aussi, de ce genre de publications… très narcissiques. Car pour certains de ces diaporamas, que d’heures de travail passées au clavier. En soi, pas de grand danger Internet à dénoncer. Encore que l’on doive rappeler que beaucoup de chevaux de troies (virus informatiques) soient envoyés prioritairement pas pièces jointes…[4] Pas de risque majeur non plus pour la santé mentale du jeune internaute. Alors, en faire un objet d’Education aux Médias ? Certes, d’abord pour attirer l’attention sur le fait que ces envois massifs (à tout votre carnet d’adresses, vous dit-on) crée du trafic bien inutile sur la toile. Les embouteillages sur les autoroutes de la communication, ce n’est pas du vent ! Mazi il faut surtout pointer le manque de respect d’autrui à qui l’on communique intempestivement du contenu pas toujours labellisé en le laissant soi-disant libre de faire le tri qui lui convient. Loin d’adresser de façon spécifique un message précis à quelqu’un qui serait à coup sûr intéressé, on déverse massivement. Or on le sait, trop d’infos tue l’info. De plus, la nature des messages envoyés dans ce genre de circonstances en dit long de la personnalité des émetteurs. Allez-vous cautionner ces discours en les faisant suivre ? Facile certes –juste un clic-, mais pas très sensé si votre justification se limite à « Oh, mais cela ne coûte rien… Et puis, on n’est pas obligé de lire ! » Du bruit ! Voilà ce qui en résulte. Et donc, on le voit bien, les vraies interrogations dans ce cas de figure, ne sont pas technologiques mais de respect d’autrui et de vie en société. Des questions d’éducation globale préalable à l’usage des technologies.

 

Elle court, elle court

Mais dans les pièces jointes qui circulent, il en est aussi d’autres qu’il faut déplorer avec encore plus de véhémence. En effet, parmi les dérapages sur les routes de l’information, il est un grand classique : la rumeur et les arnaques[5] qui circulent dans les boîtes mail. Certes, une approche critique de ces situations doit-elle évoquer l’existence de sites qui se sont donné comme mission de répertorier ces troublions et d’éveiller la vigilance des internautes quelque peu naïfs… Mais justement, … Est-ce d’abord une question d’habileté technique que de déceler ce genre de supercherie ? Rien ne ressemble plus à un mail qu’un autre mail. Mais une fois qu’il a été adressé à des dizaines et des dizaines de destinataires en listes visibles dans l’en-tête du message… et que l’on vous invite à faire de même, cela devrait déjà titiller votre sens critique. Et puis penchez-vous sur le contenu !

Au marché des arnaques en ligne, il y a ces messages qui vous promettent des gains énormes et faciles… (par tirage au sort –oui, justement vous-, la participation à jeux de hasard mais aussi par complicité de fraude – les lettres nigérianes[6]-). Il y a ces rumeurs qui concernent des cas de disparition (avérées ou non, on peut déjà se poser la question) mais pour lesquelles surtout, on vous invite à agir d’une façon naïve mais totalement inefficace (vérifier l’info auprès d’un organisme… dont le central téléphonique se trouve tout d’un coup importuné sans arrêt), ou encore ces peurs que l’on répand à propos de situations dont vous pourriez être la victime (virus informatiques, transmission de maladies…) et qui instrumentent une vraie prise de risque celle-là… du fait de votre naïveté à suivre les consignes proposées (supprimer un fichier informatique pourtant bien nécessaire à votre ordi, par exemple). Il y a les solutions miracles (connaissez-vous l’omelette anti-brûlures ?) et les désinformations pseudo médicales (le citron guérisseur de cancer) ou franco racistes (Un Français sur quatre serait musulman)… Au delà des aspects techniques (bloquer une adresse importune, filtrer vos messages, dénoncer le spam…), ou de la déontologie de bon aloi (on ne destine pas un message à tout son carnet d’adresse si ce n’est en mode non visible – en utilisant le champ cci : copie conforme incognito), l’Education aux Médias mail renvoie inévitablement vers l’éducation globale préalable, non seulement pour rendre sa place au bon sens, mais pour en appeler à des valeurs éprouvées : sens de l’effort, rejet de toute explication simpliste qui dispense de prendre ses responsabilités, de tout sectarisme et de tout racisme, réalisme de bon aloi, sens critique face à tout approche jouant sur la pitié, l’ignorance, les peurs ou misant au contraire sur le bon droit d’une élite (de préférence celle dont vous pourriez vous revendiquer), la chance, etc.

 

Les « il n’y a qu’à » simplistes que l’on entend souvent énoncer dans la vie de tous les jours ont leur pendant dans l’approche technologique. Ce sont les solutions à l’emporte-pièce qui consistent à installer des logiciels, cliquer sur des boutons, régler des paramètres… L’efficacité sur le long terme est souvent bien au delà des trucs et ficelles, dans une véritable compréhension des réalités en jeu, dans la perception de leurs conséquences sur les acteurs, mais aussi dans l’adhésion ferme et indéfectible à certaines valeurs desquelles rien, pas même l’évolution des technologies et leurs boutons-miracles ne doivent nous détourner. Toute explication qui, nous proposant des solutions simplistes fussent-elles technologiques, dispenseraient de réfléchir, devrait éveiller doublement notre vigilance.



[1] Ce spot vidéo alerte particulièrement les parents sur les problèmes de « rencontres et discussions avec des inconnus » et l’excès de temps passé à jouer à des jeux vidéos notamment, tout en incitant les parents à activer un filtre de contrôle parental

[2] Que ça marche… ou que ça ne marche pas, d’ailleurs ! Car il faut aussi pouvoir expliquer les pannes du système.

[3] Un club de vacances aux Pays Bas a développé une campagne humoristique pour conscientiser ses jeunes vacanciers à toute situation qui pourrait faire l’objet d’une publication photo sur Facebook. Jouant la carte de la parodie, elle offre des tee shirts avec un code-barre QR imprimé sur le devant et qui est sensé flouter automatiquement votre visage si, une fois photographié, votre portrait est mis en ligne. Une manière de se pincer « à tout moment » pour ne pas s’exposer de façon désavantageuse… et de responsabiliser le photographe-éditeur sur le net.

[4] Mais rarement logés au cœur des diaporamas dont on parle ici.

[5] On évoque aussi cette réalité en utilisant l’anglicisme : hoax


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